Méfaits divers et autres mœurs d’un pouvoir isolé

La Lettre de La Commune, nouvelle série, n° 60 – mardi 14 août 2018

Commençons par l’affaire Koehler, du nom du secrétaire général de l’Elysée. Une affaire qui, jusqu’à présent, n’avait pas eu la faveur des fabricants d’opinion publique que sont les grands médias. Jusqu’à ce que surgisse l’affaire Benalla, ouvrant une sorte de boîte de Pandore ou de boîte à gifles.  Avant de dire quelques mots sur le corps du délit, nous reviendrons sur les privilèges « légaux » que s’octroient certains énarques. Sans oublier l’essentiel, la violence sociale et liberticide du Pouvoir et la nécessité de la conjurer, par tous les moyens nécessaires.

Méfaits divers et autres mœurs d’un pouvoir isolé

Ce qui devrait surprendre dans l’Affaire Koehler, c’est son aspect légal. A savoir qu’un haut-fonctionnaire, un énarque, ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), peut travailler tantôt dans la Fonction publique, tantôt dans les hautes sphères du Privé.

L’ENA avait été créée en 1945 pour démocratiser l'accès à la haute fonction publique de l'État. A cet effet, les élèves de l’ENA sont rémunérés pendant leur formation, aux alentours de 1300 euros nets. Pourquoi pas ? La plupart d’entre eux qui ont bénéficié de ce droit collectif se dresseront plus tard contre ce « privilège exorbitant du droit commun qu’est le statut des cheminots », cheminots « nantis » dont une grande partie atteint les 1300 euros nets en milieu ou fin de carrière. Passons.

Les mercenaires de l’Etat

Mais au détour de l’affaire Koehler, les communs des mortels que nous sommes apprennent que ces « énarques » peuvent « pantoufler », ce qui, dans leur jargon ésotérique, signifie travailler tantôt dans le privé, tantôt dans le public, au gré des vents. Dans cette haute administration truffée d’éthique et de déontologie (il y a même des commissions pour ça), cette pratique du va-et-vient ne choque pas, puisque c’est légal ! Nous autres, communs des mortels, n’appelons pas « pantoufleur » les haut-fonctionnaires de cette sorte, nous les appelons « mercenaires ».

Koehler, en sa qualité de haut fonctionnaire qui « se sent de gauche » 1 , a siégé dans les conseils d’administration d’entreprises où l’Etat est actionnaire : Renault, RATP, Aéroport de Paris, Port du Havre et STX (chantiers navals).

En 2014, il devient directeur de cabinet de Macron alors ministre de l’Economie et quand Macron quitte ce ministère en août 2016 pour briguer la présidence de la république, Koehler devient directeur financier de MSC (Mediterranean Shipping Company, numéro 2 mondial du fret maritime - porte-conteneurs et de bateaux de croisières). Puis, quelques mois plus tard, il revient au bercail de l’Etat, comme secrétaire général de l’Elysée. Désormais, ses liens familiaux avec un actionnaire de MSC sont connus, MSC qui a bénéficié de fonds publics en qualité de client de STX. MSC qui avait des contrats avec le Port du Havre, négociés avec Koehler.

Le voici à présent accusé de « corruption passive » et « trafic d’influence », etc.

Nous pourrions dire la même chose de Macron : « Sorti de l'École nationale d'administration (ENA) en 2004, il est inspecteur des finances. En 2008, il rejoint la banque d'affaires Rothschild & Cie, dont il devient deux ans plus tard associé-gérant . » 2 . Ce mercenaire est donc devenu « qui vous savez ». Mercenaire en business et mercenaire en politique puisqu’à ses débuts, il était militant du mouvement euro-frigide de Chevènement, puis au PS jusqu’en 2009, puis « et de gauche, et de droite » mais surtout de droite.

Pauvreté des moyens, misère des fins

Voilà donc « l’exercice de l’Etat » au quotidien. Sur le fond, ces « parcours »illustrent l’entrelacement du Grand Capital et de la Très haute administration, que certains appellent « la technostructure ». Ce sont ces gens-là, tenons-nous bien, qui mijotent un plan anti-pauvreté, lequel part du principe que ce plan ne doit pas coûter un euro de plus à l’Etat. Un plan dont la ministre Buzyn parle quelques jours après la suppression par décret des 300 000 euros qui devait revenir aux communes sinistrées.

Cette ministre présente la chose ainsi : « Les prestations monétaires ont jusqu’ici permis de réduire l’impact de la crise économique, pas de diminuer les inégalités de destin. En France, quand on naît dans une famille pauvre, on le reste pendant des générations . ». Il est vrai que les aides sociales, à l’origine, ne sont pas faites pour « réduire les inégalités de destin » (elles ne les aggravent pas non plus) mais pour se nourrir, se loger, se vêtir et avoir encore un peu de loisirs. Ainsi, le salarié de plus de 45 ans qui est licencié et ne trouve plus de travail stable n’est en rien victime d’une « inégalité de destin ».

Le but poursuivi est d’instaurer une allocation unique. D’ores et déjà, la ministre Buzyn annonce qu’il sera procédé au versement unique des allocations dès janvier 2019. Pas besoin de loi votée au parlement pour en décider. C’est comme si c’était fait, et d’ailleurs, c’est fait. On nous chantera que c’est pour simplifier la vie des allocataires. Les choses sont « simplifiées » de telle sorte que le montant des aides sociales variera d’un mois sur l’autre. En effet grâce au dispositif de prélèvement à la source et au mois des impôts, les services financiers de l’Etat sauront ce que chacun gagne par mois et « ajustera » aussitôt le montant des allocations de chacun selon ce qu’il a gagné.

Nous n’osons pas encore imaginer la suite d’un plan remplaçant les allocations actuelles par un revenu unique. Mais connaissant ce que ces « décideurs » ont dans la tête, nous sommes fondés à craindre le pire. Il suffit de regarder le sort des chômeurs qui risquent de se voir couper les vivres s’ils refusent une « offre raisonnable d’emploi » ( c’est à dire la mobilité géographique et la reconversion professionnelle permanente, la déqualification « tout au long de la vie »), pour avoir un aperçu de ce qui attend les exclus du marché du travail si le Plan Macron de Pauvreté vient à s’appliquer : des « activités d’utilité collective » que l’on appellera « missions ponctuelles » pour « amortir » les 120 000 suppressions d’emploi programmées dans la fonction publique, par exemple. Nous n’en sommes fort heureusement pas là mais Agnès Buzyn a prévenu : aucune augmentation des minima sociaux…Au moment où l’inflation repart, au moment où les tarifs publics flambent.

Précarité et déqualification « tout au long de la vie »

Les ministres qui, dans l’organigramme réel de l’Etat, sont « en dessous » des hommes de l’Elysée, éprouvent sans doute le besoin de se donner bonne conscience et de s’enquérir des inégalités. Le mot « inégalité » devient même un euphémisme pour décrire la polarisation de la société : accumulation de la richesse à un pôle toujours plus réduit, aggravation de la pauvreté et de la précarité à l’autre pôle, toujours plus nombreux. A tel point qu’un ouvrier hautement qualifié ou un technicien sont situés désormais par les hommes politiques et nombres de statisticiens, dans la classe moyenne. Et, ce, bien qu’ils soient déjà atteints par la précarité, l’instabilité professionnelle « tout au long de la vie ». Ainsi, à Pôle emploi, les jeunes travailleurs s’entendent dire : « n’espérez pas rester plus de trois ans dans une entreprise. Trois ans, c’est déjà beau ».

Illégitimes parce minoritaires, minoritaires parce qu’illégitimes

Quel contraste avec les carrières public-privé des mercenaires de la Très haute administration ! Lesquels peuvent hausser les épaules si l’on en parle, « les français sont jaloux » dirait encore Macron dans sa bulle stérile. Ces mercenaires-là sont, pour leur part, rongés par la convoitise entre eux. Leur zèle puise à cette source-là, l’intarissable besoin de reconnaissance…et de luxe.

Ont-ils été élus, par exemple ? Non. Ils sont les hommes d’un Président illégitime parce que minoritaire et minoritaire parce qu’illégitime, tout comme la Cour des miracles qu’abrite l’assemblée nationale. C’est pourtant cette technostructure élyséenne et son chef de bande qui concentrent tous les pouvoirs entre leurs mains (même le chef des sénateurs de la droite le dit) et décident contre la majorité sociale de ce pays.

Opposition et révolution

L’épisode des joutes parlementaires autour de l’affaire Benalla a apporté la preuve en direct que l’opposition « antilibérale » ne veut pas que Macron soit destitué. Cette opposition-là désire que Macron aille au bout de son mandat, 2022. Elle a des répliques toutes prêtes pour contrer l’aspiration à renverser Macron le plus vite possible : « vous voulez faire la révolution avec des fourches ? » « Vous avez la recette pour la révolution ? ».

La recette de la révolution est pourtant simple : Crise de la domination politique du Capital (crise du sommet de l’Etat et de l’Etat lui-même) et Crise sociale, les masses n’ayant plus la force de la supporter et ne voulant pas continuer à mener cette vie-là. Pour éviter que cette recette porte ses fruits, se dressent des démagogues qui prônent un jour « l’insurrection dans les urnes » et un autre jour, invitent la Droite xénophobe et antiouvrière à une université d’été placée sous le signe du beau mot d’Insoumission. Pour éviter que se produise la révolution sociale, se dressent les Hautes directions confédérales qui parlent au nom de nos syndicats préférant être les partenaires sociaux de Macron plutôt que de prendre la moindre initiative pouvant aider la riposte générale aux coups portés sans arrêt par le Pouvoir et le patronat. Eux sont les cuisiniers de résignation, la révolution, elle, se passe de cuisiniers.

La révolution ne présente pas de préavis, la météo politique de la veille ne l’annonce pas. Ce sont les femmes et les hommes qui, après des changements d’humeur incessants, ne savent plus supporter, ni leur sort, ni le Pouvoir et commencent à prendre leurs affaires en main, en comptant d’abord sur la force du nombre. Les révolutions et grands mouvements sociaux ont toujours commencé ainsi. Sans calendrier, ni agenda, spontanément.

Pour l’heure, nous ne dirons pas que la révolution est « inévitable » ou même « imminente ». Nous disons que les événements politiques, sociaux, économiques et quotidiens d’aujourd’hui nous entraînent vers le point de rupture et, ainsi même, vers la révolution.

Contrairement aux « respectables » opposants au gouvernement et aux « experts sociaux » - hauts directeurs de nos syndicats, de plus en plus de jeunes, de salariés, de retraités, d’agriculteurs démunis ne supportent plus Macron. Des millions de femmes et d’hommes ne veulent pas se faire à l’idée qu’il puisse rester en place plus longtemps. Beaucoup de gens comprennent que seul le nombre, seule la masse feront la force qui en viendra à bout de Macron, de tout ce qu’il incarne et représente.


14-08-2018



1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexis_Kohler

2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Macron

Modifié le mardi 14 août 2018
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