Lettre aux insoumises et insoumis qui veulent réfléchir
(première partie)
La Lettre de La Commune, nouvelle série, n° 4 – samedi 8 juillet 2017
Chers camarades et amis insoumises et insoumis,
Nous avons longuement polémiqué à propos des prises de position et propositions de Jean Luc Mélenchon. Nous savions cependant que des salariés, des jeunes, des chômeurs se tourneraient vers la France Insoumise : FI et son candidat se prononçaient pour l’abrogation de la loi Travail, pour l’augmentation du SMIC, pour un changement de régime et contre les traités « européens ».
Pour autant, nous n’avons pas renoncé à dire ce que nous pensions de la politique « mélenchoniste ». D’autres de la même « famille » que nous préfèrent taire leurs divergences et épouser le « mouvement ». C’est ce qu’on appelle des faux amis. Nous pouvons dire sans fard que nous sommes antimélenchonistes et expliquer en quoi nous le sommes. Pas pour les mêmes raisons que tant d’autres, en tous cas ; pas pour les mêmes raisons que ceux qui méprisent du haut de leur chaire les dizaines de milliers de personnes qui ont rejoint la FI. Et, encore moins, pour les mêmes motifs que ceux qui sont du côté du manche. Ainsi, nous avons appuyé les dizaines de milliers d’insoumis qui, entre deux tours, ont dit haut et clair : « sans nous le 7 mai » et nous sommes du côté de tous les insoumis qui sont mécontent des « stratégies » syndicales imposées par Mailly et Martinez. Bien entendu, si nous avions pensé que par le bulletin de vote, la loi El Khomri pouvait être abolie, nous n’aurions pas hésité une seconde à voter pour Mélenchon « sans réserve, ni illusion », tout en continuant bien sûr à dire nos divergences. En outre, nous n’avons pas soutenu les candidatures potentiellement concurrentes à JLM. Nous n’avons pas davantage été « unitariste »
Notre organisation est encore petite mais elle fait partie de quelque chose de grand, d’un courant international qui comprend des partis comme le MST en Argentine ou Marea socialista au Venezuela, qui se construit en Biélorussie et a des antennes dans de nombreux pays. Le MST, ce sont des milliers de militants actifs, syndicalistes et jeunes. Marea socialista est « la troisième force » au Venezuela qui combat tout à la fois la MUD 1 (la droite) et Maduro, le fossoyeur des acquis du chavisme.
Le style, c’est l’homme
Notre lettre ouverte s’adresse aux insoumises et insoumis qui veulent réfléchir. Réfléchir n’est pas une obligation, il arrive que l’instinct soit plus pertinent qu’une bonne douzaine de « raisonnements ». Le bilan des courses fait cependant appel à un certain recul. Il est tentant de dire, par exemple, que Mélenchon n’a pas gagné la présidentielles à cause des autres : Poutou, Arthaud ou Hamon. Nous pensons que Mélenchon, par son style et par certains propos, a rebuté une partie des gens qui étaient prêts à voter pour lui. Le style, c’est l’homme, disait le naturaliste Buffon et l’homme n’est pas dissociable de sa politique. Nous pensons aussi qu’une partie des propositions de son programme étaient très mauvaises. Sans compter son étrange « politique étrangère »
Il est cependant indéniable que Mélenchon a su créer une dynamique. Indiscutablement. Nous reviendrons sur les conditions qui lui ont permis cette dynamique-là. Il a su trouver les cordes sensibles et a alors fait rêver.
Les insurrections dans les urnes et leurs suites
Camarades insoumis, Mélenchon jurait qu’il serait qualifié pour le second tour des présidentielles. Puis, il a juré que fort de la dynamique des présidentielles, vous obtiendriez une majorité de députés aux législatives et qu’ainsi, Mélenchon deviendrait Premier ministre. Impossible n’est pas français, certes mais rien n’était moins sûr sur le terrain miné des élections. Même Bonaparte ne disait pas « on va gagner », il disait « on s’engage et on voit ». L’insurrection dans les urnes a donc échoué. Ce n’est pas uniquement la faute à Mélenchon et à son équipe. Il faudra parler du caractère antidémocratique de cette élection « suprême » où les deux « qualifiés » au second tour totalisent à deux moins de 35% des électeurs inscrits et 45% des électeurs exprimés. Comme l’a souligné Mélenchon lui-même, il s’agissait d’élire un monarque au suffrage universel, nanti de pouvoirs exorbitants et « irresponsable » au sens constitutionnel du mot, c’est-à-dire « au-dessus de tout soupçon », incontrôlable, irrévocable.
Nous avons connu en tout et pour trois insurrections électorales depuis 1958 :
-27 avril 1969 : victoire du NON au référendum du général de Gaulle aboutissant à sa démission
-10 mai 1981 : défaite du candidat du capital financier, Giscard d’Estaing, « sortant »
- 29 mai 2005 : victoire du NON au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen
Dans aucun de ces trois cas, ces insurrections électorales n’ont été suivies d’effets bénéfiques pour le peuple travailleur.
En 1969, Pompidou a succédé à de Gaulle
En 1981, dès le mois de septembre, le blocage des salaires a été mis en route
En 2005, les grands de ce monde ont commencé à mettre au point le Traité de l’Union Européenne, dit « Traité de Lisbonne »
Nous n’aborderons pas ici les suites du référendum de 1969 (parmi ces suites : une implacable répression contre les « gauchistes », les lycéens, les immigrés ; des grèves très dures , crimes racistes de l’année 73, milices patronales et basses œuvres du SAC). Mélenchon venait juste d’éclore à la politique.
Les « années Mitterrand » méritent qu’on s’y arrête un instant : Mélenchon, tout dernièrement, a assuré que Mitterrand n’a pas trahi : comment pourrait-on appeler par un autre nom : la désindexation des salaires et des prix, la terrible saignée dans la sidérurgie et l’automobile, la réforme des universités pour leur « autonomie », la libéralisation de la Bourse, pour ne parler que de ces trois faits ? Mélenchon est encore peu influent, à ce moment-là
En revanche, Mélenchon a joué un rôle en 2005-2006. En 2000, comme ministre, il avait généralisé le système de l’Alternance Ecole-entreprise, timidement amorcé sous Giscard en 1980 et ouvert en grand les portes des lycées professionnels au MEDEF. En 2005, cet ancien partisan de Maastricht va mener campagne pour le NON aux côtés de Marie-Georges Buffet et d’Olivier Besancenot. Il est encore au PS où d’autres personnages se prononcent pour le NON : Fabius, Valls, Emmanuelli, Hamon, Montebourg, Peillon. Nous pouvions penser que Mélenchon se lançait sur la bonne voie, celle de la rupture avec les bonzes du PS.
Un pas en avant, deux pas en arrière : Sitôt le référendum passé, Mélenchon se range du côté de Hollande, partisan du OUI, qui prétend marier l’eau et le feu, en faisant la « synthèse » entre partisans du oui et partisans du non au sein du Parti socialiste. Seuls Marc Dolez, député du Nord et Gérard Filoche rejettent cette misérable manœuvre. Le 23 novembre 2005, Mélenchon écrit : « En votant un texte de synthèse, personne ne renonce à son point de vue ou à son identité culturelle dans le mouvement socialiste. La synthèse désigne la mise au point d’un texte d’orientation qui devient commun à ceux qui l’amendent. On part de la motion qui a recueilli le plus de voix, et on discute pour voir si ce qui parait essentiel à chacun peut se retrouver dans un même texte. C’est ce qui a été fait. Il fallait ensuite savoir si j’approuvais ce compromis. C’est ce que j’ai fait avec la quasi-totalité des congressistes. Je l’ai fait parce que sur un point décisif à mes yeux j’obtenais gain de cause. Je parle, bien sûr, du refus de signer la Constitution européenne au lendemain de la prochaine élection présidentielle »2
Nous connaissons la suite : la fameuse « synthèse » soutenue par Mélenchon, sera le tremplin vers le vote « socialiste » pour le Traité de l’UE.
Piégé par lui-même, Mélenchon quitte le PS en 2008 (07.11) C’est en 2011 qu’il livrera enfin son autocritique sur son soutien au Traité de Maastricht de 1992. (20 ans après !)
Mélenchon et Tsipras
Nous avions donc de bonnes raisons de considérer en 2016 que Mélenchon était un imposteur, un « insoumis du dimanche ». La suite va éclairer le personnage sous un jour plus repoussant. Mais avant de parler de certaines déclarations indignes de Mélenchon, il faut revenir sur les réactions de Mélenchon et de son parti de gauche le 14 juillet 2015. A ce moment-là, Alexis Tsipras vient de trahir définitivement le peuple grec.
Mélenchon dit : « « Telle est dorénavant l’Union européenne. Un revolver sur la tempe, une nation déjà asphyxiée et placée sous blocus financier doit conclure un « accord » après treize heures de « discussion ».
Cet « accord », négocié dans un cadre restreint, sans aucune existence dans les institutions européennes. En apparence, il y a trois présents du côté des bourreaux mais Donald Tusk 3et François Hollande sont de simples assesseurs d’Angela Merkel. Le gouvernement d’Alexis Tsipras a résisté pied à pied comme nul autre ne l’a aujourd’hui fait en Europe. Il accepte donc un armistice dans la guerre qui lui est menée.
Nous condamnons cette guerre, ceux qui la mènent et leurs objectifs. Nous condamnons les sacrifices encore demandés au Grecs et la violence qui leur est imposée. Nous soutenons Alexis Tsipras et son combat pour permettre la résistance du peuple grec. Nous savons que le meilleur atout de la Grèce serait la victoire de Podemos en Espagne et la nôtre en France. Nous y travaillons ! »4
Son co-équipier Eric Coquerel dit : « Je n’ai nul désir de joindre ma voix à ceux qui, dans notre « camp », crient trahison en parlant d’Alexis Tsipras. Ils ne voient pas ainsi qu’ils mêlent leur voix à celles de Le Pen et des Sarkozystes trop heureux de dénigrer l’espoir ainsi soulevé. Ce n’est pas Alexis Tsipras le problème. Ce serait confondre bourreau et victime. Le problème c’est Mme Merkel et ceux qui ont soutenu son bras qui tenait le révolver sur la tempe de Tsipras, M. Hollande en tête . Le gouvernement de M. Tsipras aura résisté pied à pied pendant des mois comme aucun autre gouvernement ne l’a fait et ce dans un rapport de force ô combien inégal. A tel point que je veux encore croire à quelques surprises venant de son côté dans les jours à venir. »5
Nous pouvons dire sans exagération que la pseudo-victime Tsipras est devenue bourreau
Tsipras était l’idole de toute la gauche radicale anti-austérité et, à ce titre, il fallait tout lui pardonner. Hissé au pouvoir en janvier 2015, il a aussitôt formé un gouvernement avec l’ANEL, parti xénophobe, anti-immigré et de droite conservatrice. Mais, il ne fallait rien dire pour « ne pas faire le jeu de … » ou « mêler sa voix aux voix de … ». Pourtant, dès octobre 2015, Coquerel va changer de ton et dire que l’application de l’accord signé par Tsipras avec les « eurocrates », c’est « du sang et des larmes »… après avoir insulté ceux qui l’on dit avant lui. Ensuite, Mélenchon va jurer ses grands dieux qu’il ne sera jamais le « Tsipras français ».
Mélenchon et les étrangers
Mélenchon va faire pire que cela. Le 11 juillet 2016 devant le parlement européen, le député Mélenchon dit « « Je crois que l’Europe qui a été construite est celle de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché qui VOLE SON PAIN à celui qui se trouve sur place ». 6 . Ses amis proches vont alors nous expliquer que la phrase a été sortie de son contexte, qu’il y avait des guillemets implicites. Ce qui n’est pas forcément un grand service à rendre à Mélenchon. De façon plus réfléchie et sobre, il déclare au journal le Monde quelques semaines plus tard, à propos de l’immigration « Je n'ai jamais été pour la liberté d'installation et je ne vais pas commencer aujourd'hui. ».7
Nous connaissons tous les arguments « humanistes » à l’encontre de l’immigration : aidons-les sur place et tout le toutime. Les peuples n’ont pas besoin d’une aide paternaliste de « l’occident » ou de la « France universelle ». Richard Bohringer avait très bien résumé la situation lors d’une émission où il était face à Henri Guaino : finissons-en avec ces Dettes qui affament et asphyxient les peuples, avait-il dit en substance…Finissons-en avec la Françafrique. Finissons-en avec l’impérialisme et toutes les tutelles coloniales, directes, indirectes ou financières. Les dettes ne sont pas celles des peuples ! Finissons-en avec ces interventions de la « communauté internationale » qui, en Côte d’Ivoire, décident, contre le Conseil constitutionnel lui-même, décident qu’un Dramane Ouattara a « gagné » les élections en 2011 (ce qui tombe bien puisqu’il est membre du FMI). Les peuples n’ont pas besoin de charité. Ils ont besoin de disposer librement d’eux-mêmes. Dans ces conditions, nous sommes totalement pour la liberté d’installation des étrangers
Mélenchon, connu pour sa connaissance et son amour de la grande Révolution française a-t-il oublié l’article 4 de la Constitution du 24 juin 1793
« Article 4: Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français »8
Cet article signifiait : Aucune entrave à la liberté d’installation !
A SUIVRE
le 8 juillet 2017
En deuxième partie :
Les propositions de Mélenchon après le 7 mai
Nos perspectives…
1 Mesa Unitaria y Democratica = table unitaire et démocratique.
2 http://www.jean-luc-melenchon.fr/2005/11/23/a-propos-de-la-synthese/
3 Donald Tusk est désigné lors du sommet du Conseil européen de Bruxelles
4 http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/07/13/un-revolver-sur-la-tempe/
5 https://fdg-info13.com/2015/07/14/eric-coquerel-la-grece-nest-pas-un-protectorat-allemand/
6 https://www.youtube.com/watch?v=1ittrbXNohY
7 http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/03/17/35003-20170317ARTFIG00147-melenchon-regrette-ses-propos-sur-les-travailleurs-detaches-qui-volent-le-pain-des-francais.php
8 http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-constitutions-de-la-france/constitution-du-24-juin-1793.5084.html
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