Cahuzac, 1er mai, 5 mai et Commune de Paris
Cahuzac | Chronique hebdo, 17 avril 2013A la suite de l'affaire Cahuzac, Mélenchon d'abord et le Front de gauche, ensuite ont appelé à manifester le 5 mai pour la VIème République. Nous avons pour notre part considéré que cette initiative était une diversion et que la participation du NPA à ce rassemblement serait une erreur politique car cela nous placera, de fait, à la remorque de Mélenchon et du PCF.A quels problèmes sommes-nous confrontés ?
Dix mois après l'élection de François Hollande, les travailleurs et la population sont confrontés à un véritable plan de guerre patronal et gouvernemental :
- traité budgétaire européen
- pacte de compétitivité visant à réduire les coûts du travail
- réforme des rythmes scolaires destinée à démanteler l'école publique
- accord national interprofessionnel remettant en cause les garanties collectives essentielles que le Code du travail reconnaît aux salariés. Conséquences : baisses des salaire, " facilités " pour licencier, déréglementation du temps de travail au gré des " carnets de commande ", glissement des CDI vers des contrats de gré à gré etc.
- annonce d'un nouvel allongement de la durée de cotisations pour une retraite à taux plein qui s'accompagnerait d'une désindexation des pensions sur les prix et de la liquidation des régimes spéciaux
- remise en cause des allocations familiales
- réduction drastique des crédits de l'Etat aux communes, départements et régions
- nouvelles attaques programmées contre l'indemnisation des chômeurs
- TVA sociale
- réduction des dépenses publiques, à l'exception de la " Défense nationale ", laquelle consiste en des menées impérialistes en Afrique et dans le monde.
- multiplication des plans de licenciements et de fermeture d'usine dans lesquels le gouvernement, Montebourg en tête, " arbitre " en faveur des capitalistes et des banquiers
La liste est longue des mesures anti ouvrières de ce gouvernement dont la collusion directe avec le MEDEF est visible à l'oeil nu.
_ Gouvernement qui a la matraque facile contre les salariés menacés de licenciement. Tandis que la courbe du chômage, loin de " s'inverser ", atteint des sommets inégalés.
_ Face à ces mesures en cours ou en préparation, les directions syndicales restent l'arme au pied et demeurent promptes à négocier ce qui n'est pas négociable, à tous les niveaux, formant un cordon sanitaire autour du gouvernement.
_ Et c'est dans ce contexte que le Front de Gauche vient nous parler de tout autre chose : changer le numéro de la République et engager " un processus constituant " propice à une " épuration éthique " (jeu de mot assez glauque, non ?), le tout agrémenté de vagues formules " contre l'austérité et la finance " qui voulant tout dire, ne veulent rien dire. Une initiative qui, à y regarder de près, " annule et remplace " la nécessaire riposte au gouvernement et sa politique, non à partir d'une idée que l'on se fait de la République, mais à partir des besoins pratique des masses. Une initiative qui, du même coup, fait le lit des gesticulations réactionnaires autour du " mariage gay " et des bouffées de haine d'officines fascisantes du genre " Riposte laïque ", lesquelles croient pouvoir rejouer le " 6 février 1934 " en " s'emparant " du 5 mai.
A nouveau sur l'affaire Cahuzac et ses retombées
l'affaire Cahuzac est l'expression de la décomposition de la Vème République et de la crise au sommet de l'Etat dont l'une des manifestations est la confusion permanente au sein du gouvernement. En 2007, à propos de l'affaire Clearstream, nous écrivions dans " La Commune "
" Ici et là, on disait la Ve République à bout de souffle. Elle a rendu son dernier soupir. Il n'en reste que la dépouille, le cadavre rongé par le ver des affaires, des machinations et des déchirements.
_ Du régime de la Ve République, il ne reste que la Constitution de 58-62, à laquelle se raccrochent désespérément le PC, le PS et les directions syndicales [...] Parce qu'il n'y a pas de régime de rechange tout prêt. Il y a le vide béant. Cela ne veut bien entendu pas dire que le gouvernement issu du régime en décomposition soit " mort ". "
- Ces considérants sont à nouveau d'une actualité brûlante, encore accentuée par le " choc de moralisation " que le chef de l'Etat prétend provoquer, " choc " qui révèle que " ceux qui nous gouvernent " roulent volontiers sur l'or et... en rougissent. " Choc " qui suscite le désarroi dans les colonnes parlementaires de la " majorité présidentielle " mais pas seulement, accentuant toutes les dissensions internes, au vu et au su de tous. Ajoutons que Cahuzac n'est que l'arbre qui cache la forêt car, faut-il le rappeler, les investissements offshore sont partie intégrante du fonctionnement capitaliste pour la recherche du profit en évitant les processus de production. " Dans le domaine de la finance et de la gestion d'entreprise, le terme offshore est utilisé pour désigner la création d'une entité juridique dans un autre pays que celui où se déroule l'activité, afin d'optimiser la fiscalité (paradis fiscal) ou la gestion financière des capitaux ou, plus récemment, des activités de service (achat, développement informatique, etc.), voire de production. À ce titre, l'offshoring se distingue de moins en moins de la délocalisation " ( Wikipedia) C'est comme l'économie d'armement, intrinsèque elle aussi au fonctionnement du Capital...
Face à cette crise inextricable, Mélenchon propose une solution de continuité : le changement de numéro de la république, un semblant de changement de régime au travers d'un " processus constituant ". Dans son blog, il reprend volontiers la formule " qu'ils s'en aillent tous " mais cette heureuse formule criée par les masses argentines en 2001 disparaît de tous les appels au 5. Tout simplement parce que cette manoeuvre poursuit un tout autre objectif que la mobilisation des masses et que la greffe du NPA sur cette initiative ne peut en rien modifier.
Répétons-le : la crise de régime et crise du régime n'a pas pour moteur la liste interminable des affaires qui le rongent de l'intérieur, mais la lutte des classes qui se traduit notamment par l'abstentionnisme ouvrier et populaire aux élections, l'impopularité de tous les gouvernements en place. A telle enseigne que le gouvernement ne peut aller aussi vite, aussi loin qu'il le devrait du point de vue des exigences du capital financier, ayant au-dessus de sa tête l'épée de Damoclès de l'explosion sociale. C'est donc sur ces questions de rythmes que les hésitations, les " couacs ", les contradictions au sein du gouvernement, au sein du PS et de ses groupes parlementaires se développent, dans la crainte du moment inattendu où la colère des masses ne pourra plus être contenue.
La manifestation du 5 mai n'est PAS une manifestation contre le gouvernement et sa politique
Dans le communiqué du FdG du 5 avril, nous lisons : " Le Front de Gauche propose à toutes les forces de gauche et les personnes qui ont voulu le changement en mai dernier et plus largement au peuple, contre la finance et l'austérité, à une grande marche citoyenne pour la 6ème République le 5 mai à Paris. "
De son côté, Pierre Laurent a déclaré, s'opposant à la formule de Mélenchon pour un " coup de balai " :
" Je préfère un grand coup de braquet du gouvernement vers la gauche pour organiser un nouveau contrat politique. Puisque le gouvernement semble sourd à la colère qui existe dans le pays, les forces de gauche dans ce pays doivent se rassembler. Pourquoi n'inscrit-on pas à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale des débats pour faire face à la crise morale que nous connaissons et concrétiser cela par des actes politiques forts et immédiat pour rétablir la confiance populaire? Il faut suspendre les travaux sur le projet de loi marché de l'emploi "
_ http://www.liberation.fr/politiques/2013/04/05/laurent-pcf-prefere-le-coup-de-braquet-a-gauche-au-coup-de-balai_893972
La manifestation du 5 mai n'est PAS une manifestation pour une Assemblée constituante souveraine
Répondant à la question suivante d'un journaliste de Libération
" Appeler à une VIe République, c'est aussi appeler à une dissolution de l'Assemblée nationale non? ", Pierre Laurent répond :
" On peut engager un processus constituant immédiat sans appeler à une dissolution de l'Assemblée nationale. Je ne parle pas de grand coup de balai qui mettrait dans un même sac tous les hommes et les femmes qui se battent pour le changement dans ce pays. Nous voulons un grand changement de cap. "
_ http://www.liberation.fr/politiques/2013/04/05/laurent-pcf-prefere-le-coup-de-braquet-a-gauche-au-coup-de-balai_893972
La manifestation du 5 mai n'est PAS une manifestation contre l'austérité
Contre la finance et l'austérité, il ne faudrait donc pas manifester pour l'abrogation de toutes les mesures d'Austérité, à commencer par le Plan de compétitivité Hollande-Gallois-Cahuzac, mais pour un " processus " constituant " préservant Hollande-Ayrault. Quid du traité budgétaire européen ? Quid de l'Union européenne ? Quid des attaques quotidiennes contre les travailleurs et leurs familles ?
La manifestation du 5 mai n'est donc PAS une manifestation unitaire
Il s'agit donc d'une manifestation du Front de gauche, sur la ligne du Front de gauche, dans la continuité des grands rassemblements de la campagne Mélenchon (Bastille-Capitole) il y a un an, pour un changement de Constitution, sans rupture de continuité, sans abrogation préalable de la Vème République. l'Assemblée nationale, celle-là même qui est en train de voter l'ANI, resterait en place et le gouvernement Hollande-Ayrault serait toujours là, le FdG s'efforçant de faire croire que l'on pourrait " gauchir la politique du gouvernement ". Il est à noter que le FdG, dans son communiqué du 5 avril, déclare : " Le Front de Gauche est engagé dans la bataille contre l'austérité à l'image de sa campagne " pour une alternative à l'austérité ". Il participera à la manifestation du 9 avril contre l'ANI, appelle les parlementaires à ne pas retranscrire dans la loi cet accord minoritaire. Dans l'immédiat, il exige la suspension du débat parlementaire sur ce texte ( souligné par nous) pour légiférer en urgence contre le pouvoir de la finance, contre les paradis fiscaux, y compris en Europe, contre les conflits d'intérêt ".Voilà ce qu'éludent les formules grandiloquentes et criardes de Mélenchon. " Suspension du débat " et non retrait de l'ANI : quand la montagne accouche d'une souris.
Lepaon : la CGT n'appellera pas.
Comme on l'a vu, les velléités de combattre l'austérité et la finance sont assujetties et subordonnées au curieux " processus constituant " du citoyen Mélenchon. Sollicité par les media, le successeur de Thibault à la tête de la CGT a, selon l'AFP, réagi de la façon suivante :
" Le secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, a déclaré mardi qu'il ne participerait pas à la manifestation proposée par Jean-Luc Mélenchon le 5 mai à la suite de l'affaire Cahuzac. "Ce n'est pas le rôle des syndicalistes de régler des questions de rapport entre les partis politiques même si ces questions nous intéressent", a expliqué le leader de la CGT sur Canal+.
Selon lui, "tout le monde parle" de l'affaire du compte suisse de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget et "pendant qu'on parle de ça, on ne parle pas de ce qui va changer pour les salariés dans leur travail au quotidien et c'est ce qui nous préoccupe". "
Lepaon lui-même suggère que l'opération Mélenchon est une diversion. Il dit même que cette manoeuvre relève " des questions de rapports entre les partis politiques ", autrement dit, des rapports entre le FdG et le PS qui sont des rapports entre deux forces politiques parties prenantes de la même majorité présidentielle. Bien entendu, nous avons bien compris que Lepaon ne veut d'aucune manifestation d'aucune sorte, hors les simulacres de défilés contre l'ANI dans le cadre d'un service minimum syndical. Mais, à tout le moins, il n'est pas dupe de l'enjeu de cette manoeuvre.
Le PCF et l'horizon des municipales...
Le PCF s'inscrit dans la manifestation-Mélenchon mais, visiblement, ne fera rien pour qu'il y ait " du monde ". En effet, tel n'est pas le but de la manoeuvre. l'opération 5 mai n'est pas autre chose qu'un pare-feu préventif pour tenter de dévoyer l'aspiration de nombreux militants d'en découdre avec le gouvernement et sa politique. En outre, elle n'est pas convoquée sous la poussée des masses qui, elles, cherchent les voies et les moyens de la riposte contre le gouvernement et ses attaques anti ouvrières. Sur ce, les divergences éventuelles entre le PCF et le PG sont des nuances sur l'art et la manière d'interpeller le gouvernement et de se démarquer, pour un minimum de décence, du PS. D'où le rectificatif apporté par Laurent sur " le coup de balai " auquel il préfère " un coup de braquet à gauche ". La formule " coup de balai " est faite pour éviter de dire " balayons ce gouvernement et sa politique "
Relisons à ce sujet le blog de Mélenchon :
" Mais bien sûr, l'idée de coup de balai a aussi une signification politique immédiate. Pour nous, elle concrétise l'idée " qu'ils s'en aillent tous ". C'est un acte d'éducation populaire destiné à valoriser l'idée qu'on peut se passer des puissants du jour. Que nous sommes aptes partout où nous sommes à faire bien mieux qu'eux. Et surtout c'est une préparation en profondeur de l'idée qu'il faudra tous s'en mêler pour conduire la rénovation sociale et républicaine à son terme. C'est pour cette raison que depuis les premiers moments, le Front de Gauche porte l'idée d'une Constituante pour aller vers la Sixième République et l'a inscrite dans son programme " l'Humain d'abord ".
A bien lire, nous constatons que le mot d'ordre " qu'ils s'en aillent tous " cesse d'être un mot d'ordre lorsqu'il sort de la bouche de Mélenchon mais " un acte d'éducation populaire destiné à valoriser l'idée qu'on peut se passer des puissants du jour. Que nous sommes aptes partout où nous sommes à faire bien mieux qu'eux. Et surtout c'est une préparation en profondeur de l'idée qu'il faudra tous s'en mêler pour conduire la rénovation sociale et républicaine à son terme ", c'est-à-dire une formule stérilisée. Du point de vue de la direction du PCF, elle peut prêter à confusion dans les négociations chirurgicales qu'il va opérer avec le PS en vue de sauver ses positions municipales. Reste que Laurent et Mélenchon, sur deux tons différents, expriment la même politique construite sur le refus de s'opposer au gouvernement, tout en ayant l'air de contester sa politique. De ce point de vue, il serait vain de spéculer sur les tiraillements entre le PCF et le PG. Hors du front de gauche, le PG n'est rien. Au sein du Front de gauche, le PCF aura toujours le dernier mot, c'est lui le patron et il le fait savoir chaque fois que nécessaire.
Un écho inattendu ?
l'idée du " coup de balai " n'a pas forcément la même " signification politique immédiate " pour tout le monde. Elle a rencontré un écho en la personne de " Frigide Barjot ", porte-parole du collectif réactionnaire contre le mariage pour tous. Interrogée le 12 avril par un journaliste de LCP sur la date des prochaines manifestations de son collectif, F. Barjot répond
" La prochaine date qui nous semble bien, c'est le 5 mai, avec Monsieur Mélenchon "
_ http://www.huffingtonpost.fr/2013/04/12/manifestations-opposants-mariage-gay-senat_n_3071550.html
Ce qui démontre que Mélenchon, en s'ingéniant à déplacer l'axe du combat du terrain de la lutte des classes vers le terrain de " l'épuration éthique " et de la " rénovation sociale et républicaine " a joué à l'apprenti-sorcier : le 5 mai, il n'y aura pas une manifestation mais des manifestations et l'extrême-droite n'y sera pas absente, si on en croit " Riposte laïque ", par exemple ( qui cherche à faire son propre défilé ce jour-là ). La diversion sera alors totale.
Une faute tactique sérieuse
En appelant au 5 mai, le CE du NPA commet une faute tactique sérieuse. Dans le communiqué NPA du 16 avril, nous lisons en effet :
" Il est plus que temps qu'une opposition de gauche au gouvernement se regroupe, se construise, et offre une alternative aux partis de l'austérité. Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche ont pris unilatéralement l'initiative d'appeler à manifester le 5 mai pour une VIe République. Nous ne partageons ni cette façon de faire ni son objectif, mais nous voulons contribuer au plus large rassemblement possible pour mettre en échec la politique du gouvernement et défendre la perspective d'une démocratie réelle, par en bas, qui mette les financiers et leurs amis politiciens hors d'état de nuire. Le NPA sera dans la rue, le 1er mai et le 5 mai, avec toutes celles et ceux qui, à gauche, ne veulent ni subir ni capituler devant le gouvernement et les puissances de l'argent qu'il sert, tout en défendant nos propres propositions. "
Comment peut-on participer à une initiative dont nous ne partageons pas l'objectif ? Parce que nous penserions néanmoins qu'elle permettrait au NPA de " contribuer au plus large rassemblement possible pour mettre en échec la politique du gouvernement " ? Or, le 5 mai est précisément conçu pour empêcher un tel rassemblement contre la politique du gouvernement. A son corps défendant le NPA aura alors seulement contribué à cette diversion et à l'enfumage de Mélenchon. Pendant ce temps, l'ANI sera en cours de " transposition dans la loi " et des mesures budgétaires drastiques seront mises en oeuvre.
Tract, oui, cortège, non !
Autant il nous semble nécessaire et logique que le NPA ait un cortège le 1er mai, en raison de sa signification historique, autant notre participation avec banderoles, aussi radicales soient-elles au 5 mai serait une erreur. Le NPA apparaîtrait, qu'on le veuille ou non, comme une force d'appoint du Front de Gauche, ce qu'il n'est pourtant pas, ne doit pas être et ne peut pas être. Nous ne pouvons ni ne devons être la force d'appoint " à gauche " du FdG, lequel est la force d'appoint " à gauche " du...PS et de ce gouvernement.
En mai, c'est le 142e anniversaire de La Commune de Paris. S'il y a un tract à diffuser massivement le 5 mai (en lieu et place d'un cortège) ne serait-ce pas pour rappeler que la seule République qui mérite notre combat, c'est la République ouvrière, sociale, où les élus sont révocables à tout instant et sont payés comme l'ouvrier qualifié, pas un centime de plus.
Vive la Commune de Paris !
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