Où vont les Anticapitalistes de Podemos ?

Les anticapitalistes en Espagne sont, comme en France le NPA, issus de la crise du Secrétariat unifié 1 . Ce n'est qu'en 2014, après d'autres crises internes qu'ils ont intégré Podemos à l'occasion des élections européennes, obtenant alors l'un des cinq députés de ce parti, Teresa Rodríguez. Analyse de son programme et de ses prises de position à la lumière des derniers évènements qui ont secoué l'État espagnol.

Où vont les Anticapitalistes de Podemos ?

Examinons quelques points de leur programme : « La révolution démocratique ». Ils la définissent « comme une façon de faire les choses, la délibération collective, les espaces de décision proches et le pluralisme » . Teresa Rodríguez, dirigeante en Andalousie de ce courant de Podemos, réclame « plus d'autonomie et son propre outil d'élaboration des listes électorales » . Elle se plaint « d'avoir rencontré un écueil dans la direction de Podemos en abordant l'autonomie juridique » . C'est là une conception électoraliste de la démocratie qu'elle défend.

« Le socialisme ». Ils aspirent à « une économie au service des personnes et non des grandes entreprises ». « Sans la propriété commune des ressources qui génèrent la richesse. Pas d'égalité de droits et sans égalité de droits pas de démocratie » . Rien là-dedans qui évoque la lutte des classes.

L’écologisme au service des licenciements

« Écologisme ». Ce point dénonce « la dégradation de la biosphère et l'épuisement des ressources naturelles par une logique productiviste de plus en plus déconnectée des besoins de base des populations » . « Il est urgent pour les anticapitalistes d'inverser ce processus ». « Sauvons le climat, non les banques ! ». Sauvez le climat tout en satisfaisant les besoins de toute l'humanité ? Pourtant, dans un communiqué sur la fermeture de la centrale nucléaire de Santa María de Garoña, ils ignorent la lutte que mènent les travailleurs et leur syndicat pour le maintien de leurs postes de travail sur le même site ! C'est donc en priorisant les intérêts des organisations écologistes que le gouvernement vient de décider sa fermeture et avec elle la destruction de tous les postes de travail. La fermeture de cette centrale ouvre la voie a la fermeture du reste des centrales nucléaires de l'État espagnol : ce que les anticapitalistes réclament aussi ! Mais pourquoi pas alors toute l'industrie polluante ? Et comment satisfaire donc les besoins de toute l'humanité en détruisant les forces productives ? Le droit à un travail qui est le seul droit du prolétariat en régime capitaliste est ainsi très démocratiquement ignoré par ces « anticapitalistes ». C'est ce que la démocratie bourgeoise ne se prive pas de faire quand elle recourt à la baisse du coût du travail pour lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit, indispensable pour que le capitalisme ne périsse.

Toute nécessité de changement doit conduire au dépassement de ce que l'on a besoin de changer, et cela inclus aussi le système capitaliste qu'ils prétendent combattre !

Appui aux chefs de Podemos

Un fil rouge relie tous ces points : c'est le reliquat de l'ancienne Liga Comunista Revolucionaria (LCR) qu'ils ont hérité, la lutte des « nouvelles avant-gardes » des années 1970 et 1980, si chère aux caciques de cette organisation liquidatrice du trotskisme.

Le dirigeant de Podemos, Albano Dante Fachin, du courant de Podemos en Catalogne, a dénoncé les ingérences du secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, dans la gestion de sa formation politique. Celui-ci a demandé la démission de M. Fachin en raison de sa position sur le référendum pour l'indépendance. M. Fachin veut participer au référendum convoqué par la Généralitat de Catalunya pour le 1er octobre 2017 même s'il est illégalisé par le Tribunal constitutionnel alors que Podemos n'y participerait qu'au cas où il serait légalisé par l'État espagnol : ce qui est impossible puisque le Partido Popular (PP) et le Partido Socialista Obrero Español (PSOE) feront barrage pour l'empêcher. Dans ce conflit, l'eurodéputé Miguel Urbán, du courant anticapitaliste, a censuré la position de M. Fachin et a donc pris parti pour la direction de Podemos. Gageons que l'autonomie revendiquée, haut et fort, par Mme Rodriguez, n'a pas eu de prise sur M. Urbán.

Loyauté envers la monarchie

Les positions des anticapitalistes se subordonnent ainsi facilement à la direction de M. Iglesias comme c'est le cas, également, pour la manifestation organisée par la Généralitat contre les attentats du jeudi 17 août de Barcelone et Cambrils, après que la Candidatura d'Unitat Popular (CUP) s'y soit décidé à participer. Il faut préciser que les anticapitalistes avaient, en 2012, soutenu la CUP aux élections autonomes catalanes et que c'est elle qui assure la majorité du gouvernement catalan avec Partit Demòcrata Europeu Català (PDeCAT) et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC). Mais la CUP avait déclaré auparavant qu'elle n'assisterait pas à la manifestation « si le Roi et les autorités gouvernementales espagnoles prenaient la tête du cortège » ; et avait ajouté que « les auteurs des attentats étaient, indirectement, la monarchie et son gouvernement » à cause de ses liens avec les monarchies du Golfe qui financeraient les terroristes. La CUP mettait ainsi en évidence la position des organisations qui font partie du pacte anti-terroriste scellé par le PP et le PSOE ainsi que celles qui assistent comme observatrices aux réunions de ce pacte.

C'est le cas d'ERC, Podemos ou du Partido Nacionalista Vasco (PNV) qui malgré tous les équilibrismes n'ont fait que dévoiler leur véritable rôle de complices des institutions monarchiques. Podemos a réaffirmé d'ailleurs « sa loyauté envers ces institutions », indiquant donc sa volonté d'interdire tout débat permettant d'éclaircir les véritables causes de ces attentats. De nouveau, la position des anticapitalistes a suivi sans broncher celle de M. Iglesias. Ils ont participé à une manifestation où la monarchie a pris toute sa place à la tête de celle- ci avec toutes ses institutions : son gouvernement central, celui de la Généralitat, ceux des autres communautés autonomes et forces et corps de sécurité (police nationale, police autonome et garde civile). Ils ont ainsi couvert la monarchie héritière du franquisme qui, au-delà des accusations de la CUP a bel et bien capitalisé les attentats, malgré le rejet du Roi exprimé par la population avec de sonores huées. À qui profite le crime ?

Tout cela aurait pu être dénoncé, sinon évité, si les anticapitalistes de Podemos ou ceux de la CUP avaient accompli leur tâche révolutionnaire appelant les organisations de la classe ouvrière et des peuples opprimés à convoquer ensemble une manifestation contre la monarchie de l'État espagnol. Et cela est tout à fait possible en ouvrant le débat politique essentiel, dans leurs organisations, sur les institutions monarchiques, le vrai écueil pour les revendications de la classe ouvrière et des peuples opprimés de l'État espagnol !

La véritable nature des anticapitalistes

L'autonomie réclamée par Mme Rodríguez dans Podemos n'aura aucune chance d'aboutir pour cause de loyauté envers la monarchie. Il faudrait pour que cela ait lieu que les anticapitalistes deviennent des révolutionnaires, qu'ils changent de fond en comble de politique et de direction. À l'appui de cette thèse, les déclarations de Jaime Pastor, dirigeant historique de la LCR et membre d'Anticapitalistes, sont très opportunes pour éclairer la véritable nature de ces « anticapitalistes » : « Depuis le début des années 80, la révolution ne fait plus partie des plans, c’est la raison pour laquelle notre ami Daniel Bensaid a reconnu que nous entrions dans une époque d’ « éclipse stratégique ». Dans les années 90, avec la chute du mur de Berlin, nous nous concevions essentiellement comme des militants en résistance. D’une certaine manière, nous sommes passés du résistantialisme à l’anticapitalisme à travers le mouvement altermondialiste et plus encore lorsqu’a éclaté la crise de 2008. En ce sens, je ne ressens pas le besoin de me définir comme révolutionnaire, même si je pense qu’aujourd’hui, du fait de la crise, le débat stratégique est revenu sur la table, bien que la révolution ne soit plus à l’ordre du jour. »



Domingo Blaya,
1erseptembre 2017



1. Secrétariat unifié : désigne un des courants qui se considère comme la 4 ème internationale, il s’agit du courant dit « pabliste » ou « mandéliste », en référence à Michel Raptis dit Pablo et Ernest Mandel.

Modifié le mardi 12 septembre 2017
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