Crise de la Monarchie espagnole : La brèche

La crise politique de l'État espagnol monte d'un cran avec l'investiture du président sortant, Mariano Rajoy, grâce à l'abstention de soixante-huit députés du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) qui vient d'exploser et dont le secrétaire général Pedro Sánchez a démissionné. Une commission administrative dirigera le PSOE jusqu'à la tenue d'un congrès extraordinaire de reconstruction. Pour la première fois de son histoire, la monarchie héritée du franquisme est gouvernée sans majorité absolue.

Le PSOE vole en éclat

La tenue du congrès extraordinaire est reportée sine die. Les membres de cette commission de gestion provisoire élaboreront un nouveau projet politique. À cette fin, elle ouvrira un débat dans le parti pour le reconstruire. Selon le journal El País, le calendrier sera fixé avant la fin de l'année, ce qui impliquera de retarder de plusieurs mois l'élection du secrétaire général du PSOE. Pour sa part, le secteur critique auquel appartient M. Sánchez – le Parti socialiste catalan (PSC) et le Parti socialiste d'Euskadi (PSE), notamment –, comprend les seize députés qui ont maintenu le vote négatif à l'investiture de M. Rajoy, défendu par la direction du parti jusqu’au scrutin dernier et n'a pas suivi la consigne abstentionniste de la commission administrative. Ce secteur demande la tenue d'un congrès extraordinaire sans les plus brefs délais. El País souligne que « le PSOE est à un tel degré de désaffection qu'il a besoin d'élaborer un nouveau projet ». De sources bien informées, d'après le même journal, le congrès n'aura pas lieu avant l'été 2017. Autant dire que la reconstruction du parti n'est pas pour demain, si toutefois elle a bien lieu. En effet, la crise qui lamine le PSOE et lui a fait perdre plus de six millions d'électeurs depuis 2008, a également touché ses adhérents : 24300 en moins entre les mois d'octobre 2014-2016, période pendant laquelle M. Sánchez l'a dirigé.

Rien ne va plus pour la monarchie

En choisissant de soutenir le Parti populaire (PP) comme la meilleure formule de sauvegarde de l'État espagnol, le PSOE a ouvert la boîte de pandore. Tous les problèmes non résolus depuis les Pactes de la Moncloa 1 avec les franquistes en 1978, ressurgissent sur le devant de la scène.

Aucune des forces politiques en présence n'est à même de recomposer les institutions de la Monarchie, que les dirigeants du PSOE de Felipe González avaient porté sur les fonts baptismaux, avec l'aide décisive du Parti communiste d'Espagne (PCE) de Santiago Carrillo.

Unidos Podemos : auxiliaire du PSOE

Le régime hérité du franquisme, cerné par la corruption qu'il nourrissait en son sein, a fini par faire éclater les partis mêmes auxquels il devait son existence. Le PCE , lui, a pratiquement disparu, dilué dans l'amalgame d’organisations qu’est Izquierda Unida (IU), aujourd'hui en coalition avec Podemos, Unidos Podemos (UP), qui ne peut aspirer maintenant qu'à jouer un rôle d'auxiliaire du PSOE dans « l'opposition ». UP est en proie également aux disputes internes et externes. Cette coalition qui intègre une quarantaine d'organisations autonomes, a perdu en quelques mois plus d'un million de voix et pourra difficilement attirer les électeurs déçus du PSOE avec une direction se réclamant tantôt du « communisme » – lisez : « stalinisme » – tantôt de la social-démocratie de Juan Negrin ( le président socialiste de la Seconde République espagnole qui rentra au service de Staline et couvrit les procès de Moscou à Barcelone contre les révolutionnaires en 1937, ouvrant la voie à la contre-révolution).

La question nationale revient de nouveau à l'ordre du jour, objet de la dispute des factions dans le PSOE. Ce sont des ex-dirigeants du parti M. González, José Luis Rodríguez Zapatero et Alfredo Pérez Rubalcaba qui ont lancé le slogan « l'Espagne avant tout » au prix même de provoquer l'éclatement du PSOE.

Coups de sabre aux forces productives

Comme si tout cela ne suffisait pas la Commission européenne avertit l'État espagnol qu'il doit présenter des comptes publics en accord avec son engagement de limitation du déficit. Le gouvernement du PP 2 avait modifié la constitution espagnole pour satisfaire les appétits de l'Union européenne avec le soutien du PSOE. Le gouvernement devra donc faire des coupes claires dans les deux prochains budgets, d'un montant d'onze milliards d'euros : « c'est un ajustement qui aura un grave impact sur la population » remarque El País.

Un avant-goût des contre-réformes à venir et un coup de sabre supplémentaire des mercenaires du capital contre les forces productives.

Beaucoup sont arrivés à la conclusion pendant ces dix mois de gouvernement par intérim et de vaine répétition des élections, que le meilleur gouvernement est celui qui n'existe pas. L'affrontement social ne pourrat être différé.

Ce gouvernement, plus fragile que jamais, est marqué du sceau de l'échec et le véritable vainqueur des dernières élections n'est autre que l'abstention majoritaire : plus du tiers des électeurs ont fait la grève du vote et, on peut le penser, la majorité des ouvriers et de la population pauvre. Oui, la lutte de classes est bien à l'ordre du jour elle aussi. Tôt ou tard, la classe ouvrière trouvera les moyens et les forces nécessaires pour s'engouffrer dans la brèche ouverte par la crise politique et sociale.

Domingo Blaya,
5-11-2016

Lexique :

Chronologie récente :

20 décembre 2015 : Les élections générales du 20 décembre 2015 remettent en cause trente années de bipartisme : le Parti populaire (PP), au pouvoir depuis sa victoire aux élections générales du 20 novembre 2011, perd ces élections et ne recueille alors que 28,7 % des voix (au lieu de 44% en 2011). Le PSOE n’obtenant que 22 % des suffrages, talonné par Podemos ( 20,6 %), sur fond d’abstentions ouvrières et populaires massives (30%). Tandis qu’apparaît une droite « centriste dissidente ».

26 juin 2016 : placé dans l’incapacité de former un gouvernement depuis décembre 2015, l’État espagnol a dû convoquer de nouvelles élections. Le PP plafonne toujours à 28,7%, le PSOE ne progresse pas. Bien qu’allié avec « Izquerdia Unida » (gauche unie, issue du PC espagnol), Podemos est en recul (21%). – Nouvelle montée abstentionniste : 34%.

25 septembre 2016 : aux élections en Galice, le PSOE est mis en déroute, avec seulement 17% des voix ( -3%) et au Pays Basque, il s’effondre à 11% (-7%).

23 octobre 2016 : « le comité fédéral décide par 139 voix pour, 96 voix contre et deux abstentions que le groupe parlementaire s'abstiendra lors du prochain vote d'investiture, permettant à Mariano Rajoy d'être reconduit pour un second mandat. L'éviction de Pedro Sánchez par les hiérarques du PSOE et le soutien parlementaire apporté par les élus du parti au gouvernement de Mariano Rajoy provoque le départ de 20 000 militants (sur 190 000 revendiqués) en quelques jours ».

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_socialiste_ouvrier_espagnol)

Question nationale : Le royaume d’Espagne est un État de nationalités dominé par la Castille (la langue espagnole est en réalité le castillan). Le pays Basque (Euzkadi) et la Catalogne font partie des nationalités opprimées par la Monarchie constitutionnelle castillane héritée de Franco – la forme de domination (dictature ouverte) a certes changé après la mort de Franco (1975) mais les institutions du franquisme demeurent.

1. Pactes de la Moncloa : selon Wikipedia : « Le pacte de la Moncloa est un accord signé le 25 octobre 1977 au palais de la Moncloa au cours de la Transition démocratique espagnole entre le gouvernement et les principaux partis politiques ayant une représentation parlementaire, les associations professionnelles, les syndicats UGT et CCOO (mais pas la CNT), ayant pour objectif d'assurer une transition sereine vers un système démocratique et adopter une politique économique afin de lutter contre une inflation élevée de 47 %. » Ce pacte incluait l’amnistie des bourreaux et tortionnaires franquistes. Selon l’universitaire Jean Ortiz, dans les colonnes de l’Humanité : « Le PCE était le grand parti de l’anti-franquisme, le principal référent antifasciste. Lors de la Semaine sainte de 1977, le 9 avril, la direction du PCE, par la négociation, « imposa » pour les uns, « troqua » pour les autres, la légalisation du parti contre le renoncement à la République et à son drapeau... Le référendum constitutionnel du 6 décembre 1978 (87,8% de « oui ») paracheva un consensus contre-nature. » [http://www.humanite.fr/transition-espagnole-assez-de-bourrage-de-crane-570378]

« Lorsque la conférence de la Moncloa s’est ouverte le 8 octobre, la bourgeoisie avait assisté, impuissante, en moins de cinq semaines, à quatre manifestations regroupant au Pays Basque plus de 800 000 travailleurs et jeunes ; à Bar­celone, le 11 septembre, à une mani­festation gigantesque de plus d ’un mil­lion de Personnes ; à Madrid enfin, le 6 octobre, à une manifestation de 800 000 travailleurs et jeunes, mani­festation la plus importante connue à ce jour dans l’histoire de la lutte des classes dans la capitale » ( les masses face au Pacte de la Moncloa – la Vérité- n°581- avril 1978). Le pacte de la Moncloa, scellant une forme d’union nationale entre franquistes, staliniens et sociaux-démocrates se heurta, malgré la caution syndicale, à d’énormes manifestations.

2. PP : Parti populaire, franquiste.

Modifié le lundi 14 novembre 2016
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