« Nous rejetons toute intervention étrangère dans les affaires libanaises »

Les responsables de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 et ceux de l’inflation, de la dévaluation, de la fermeture des banques et de la misère, sont les mêmes : les représentants d’un régime à bout de souffle, corrompu jusqu’à l’os. Depuis octobre 2019, le Liban vit au rythme des mobilisations massives, avec une jeunesse particulièrement combative et active. Pour faire le point sur la situation, nous avons interrogé Farah du Mouvement des jeunes pour le changement, notre organisation soeur au Liban, membre de la LIS.

« Nous rejetons toute intervention étrangère dans les affaires libanaises »
(Photo : AFP)

1/ Quelle est la situation six semaines après l'explosion qui a ravagé Beyrouth ?

Plus d'un mois et demi après l'explosion, Beyrouth est toujours en train de panser ses blessures et d'essayer de sortir de la situation de dévastation. Les organisations de jeunesse ont pris l’initiative ; les institutions de l'État ne se sont associées que récemment au travail d'enlèvement des gravats des rues, d'études des dégâts et de réhabilitation de certaines installations qui peuvent être utilisées. Les institutions étatiques, érodées par la corruption et l'effondrement économique n'ont pas été à la hauteur des réponses et de la rapidité d'action exigées par l'explosion : leur réponse a été lente et elles ont été incapables d'affronter et de faire face à un événement de cette ampleur. La vie économique et la vie quotidienne sont troublées et perturbées en raison des ravages qui ont affecté environ un tiers de Beyrouth et partiellement la moitié de la ville.

Au Liban, nous ne souffrons pas seulement de la crise de l'explosion du 4 août 2020 mais aussi de la propagation du Coronavirus à un très large niveau ; nous souffrons également d'une crise économique majeure, d'un effondrement du taux de change, de l'absence de biens de consommation de base et de denrées alimentaires et d'une crise de pénurie de l'électricité et de l'eau.

L'explosion a ouvert la porte à de nouvelles formes d'ingérences politiques et d'ingérences extérieures dont la plus audacieuse a été l'initiative française que nous considérons comme une initiative visant à sauver le système politique sectaire, épuisé et effondré. C'est ce système politique sectaire qui a volé l'argent des Libanais, a mis l'État en faillite et nous a placés devant une dette de 100 milliards de dollars. Le moment est venu de démanteler ce système politique et de construire un système plus avancé qui respecte l'être humain et qui défende la justice sociale.

2/ Quelle est la réponse du régime et du nouveau gouvernement ?

Il n'y a pas de nouveau gouvernement au Liban. Le gouvernement a démissionné et le régime est incapable de produire un nouveau gouvernement. Le système politique lui-même en tant que système est perturbé à tous les niveaux. La capacité du régime à faire face à la réalité économique, sociale et sanitaire fait défaut. La réaction et la capacité à trouver des solutions sont absentes. L'autorité fait actuellement comme s'il n'y avait pas de crise au Liban ; au contraire, chaque parti a essayé de préserver ses acquis et ses intérêts, la part qu'il a gagné et certains d'entre eux tentent de consolider leur position dans la crise actuelle.

La crise au Liban n’est pas une crise d’autorité ou de gouvernement mais plutôt la crise d’un système. Dix gouvernements pourraient venir mais ils seront mauvais tant que le système continuera dans sa forme actuelle. Le système reste fort car chaque chef de secte a une base populaire qui le soutient et le protège. Alors qu’il y a quelques ministres dans le gouvernement intérimaire actuel qui tentent dans les limites des capacités dont ils disposent de réduire l’ampleur de la crise, les mécanismes du régime et la nature de ses contradictions politiques et sectaires font de ce gouvernement un partenaire dans le crime du 4 août 2020. Ce gouvernement est l’un des gouvernements les plus infructueux du Liban.

3/ Quel rôle jouent les états impérialistes (USA ; UE ; pays arabes), et en particulier le gouvernement français avec la venue d'Emmanuel Macron ?

Il existe de nombreuses formes d'interventions extérieures au Liban qu'il s'agisse des États-Unis, de la France, de l'Iran et de la Turquie. Toutes ces interventions de pays étrangers, qui ont pour but de sauver le système politique actuel et lui permettre de survivre, visent à protéger leur propre intérêt et non celui du Liban et du peuple libanais. Nous rejetons toute intervention étrangère dans les affaires libanaises et toute forme de domination sur notre pays, sur notre peuple et sur les capacités de notre société.

Les sanctions imposées aux ministres, aux institutions et aux individus ne s’arrêteront pas là ; au contraire, elles arriveront également à nuire à la population et toutes les sanctions ont historiquement porté préjudice aux intérêts de la population. Ces sanctions sont rejetées car elles constituent une forme de domination.

Les initiatives extérieures sont des initiatives ratées, comme le montre la démission de Mustapha Adib. Une initiative qui est imposée au peuple libanais ne peut pas réussir parce que l’ampleur des contradictions du système et les intérêts de ses partis ne peuvent être garantis. Le peuple libanais qui est sorti le 17 octobre 2019 ne se contentera pas d’un règlement de cette nature.

4/ Quelles sont les revendications du peuple libanais ?

Les revendications fondamentales du peuple libanais qui a participé au soulèvement du 17 octobre 2019 sont la reconnaissance de la responsabilité et la condamnation de tous les corrompus et de tous ceux qui ont travaillé dans les affaires publiques au Liban. Quiconque travaille dans les affaires publiques est accusé, jusqu'à preuve de son innocence, de corruption. Le peuple veut récupérer l'argent volé et poursuivre le gouverneur de la banque du Liban et l'association des banques pour les pillages qu'ils ont commis. Nos revendications sont de dépasser ce système sectaire pour aller vers un système civil, laïque, basé sur le respect de l'être humain et du citoyen ; nous ne voulons pas être des membres de sectes mais des citoyens de l'État, un État qui assure la justice sociale.

5/ Dans cette situation, quelles sont les propositions du Mouvement des jeunes pour le changement pour les jeunes, les travailleurs et les pauvres ?

Le Mouvement des jeunes pour le changement a défini ses objectifs à travers son plan économique lancé récemment. Ce plan que nous avons travaillé longtemps a des objectifs clairs du point de vue économique et social qui conduiront inévitablement à un changement politique. Les jeunes et les étudiants sont une force de changement dans la société : il est donc de notre devoir de les organiser ; c’est une priorité pour notre mouvement. Notre priorité est aussi de créer des cadres pour le secondaire et l’université qui visent à organiser les jeunes et à les préparer à jouer un rôle politique et social.

Les syndicats sont notre deuxième objectif et nous travaillons avec des groupes amis pour restaurer un certain nombre de syndicats et créer de nouveaux syndicats. Les syndicats libanais ont été détruits depuis les années 90 et cette destruction s'est faite grâce à un travail systématique de harcèlement politique et sécuritaire. La reconstruction du travail syndical nécessite du temps et de grandes capacités que nous travaillons à créer ou améliorer. Au Liban, il existe des syndicats actifs tels que le syndicat des ingénieurs, celui des médecins, celui des avocats ; avec eux, nous pouvons lancer des batailles contre l'autorité, comme celle conduite dans le syndicat des avocats.

Nous travaillons et construisons les bases politiques permettant de mener ces batailles. Une de ces luttes essentielles vise ceux qui menacent quotidiennement la survie du peuple libanais : à savoir, la banque du Liban et l'autorité politique qui suppriment toutes les subventions sur le blé, le carburant et les médicaments. Ces subventions permettaient la relative stabilité sociale et économique du peuple libanais. La banque du Liban affirme désormais qu'il n'y a plus d'argent pour assurer ce soutien alors que tous les 2 ou 3 mois des milliards de dollars passent en contrebande. Nous prévoyons que l'arrêt des subventions conduira à une nouvelle explosion populaire et à la descente de la population sur les places. Nous travaillons pour que cette explosion populaire se transforme en une véritable force capable de créer un changement politique dans le pays dans les mois prochains.

Modifié le dimanche 18 octobre 2020
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