Le féminisme de #NousToutes : limites, paradoxes et impostures

Depuis deux ans maintenant, le Collectif #NousToutes est une des organisations les plus actives sur le sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles contre les femmes. En apparence à la pointe des combats féministes, avec pour porte-parole Caroline de Haas, le collectif a pourtant fait des choix ces derniers mois qui desservent grandement la cause des femmes dans notre société.

Caroline De HaasCaroline De Haas
(photo : Zakaria Abdelkafi | AFP)

D'où vient le Collectif #NousToutes ?

Né le 3 juillet 2018 1 du rassemblement de plusieurs associations féministes, de syndicats et organisations dénonçant les violences faites aux femmes à l'initiative de Caroline de Haas, le Collectif #NousToutes 2 a été créé sur la base revendicative de l'arrêt des violences faites aux femmes, précisément des violences au sein du couple, et sur la demande d'une action concrète à la fois politique, judiciaire et sociale. L'action du 24 novembre 2018 consistait alors dans l'organisation d'une marche à l'approche de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, fixée annuellement le 25 novembre.

Face au succès de cette marche, de nombreux et nombreuses militant.e.s se sont engagé.e.s dans ce qui semblait être alors une vraie dynamique de revendications et d'actions féministes. Près de deux ans après sa création, la « promesse » n'est absolument pas tenue ; elle reste loin des enjeux poursuivis.

L'origine du mouvement contre les violences faites aux femmes

La prise de conscience des violences systémiques faites aux femmes date du début des années 2000, au moment où des associations et l’État prennent la décision de mener des statistiques et de produire des rapports annuels concernant toutes les violences faites aux femmes (agressions sexuelles, viols, féminicides...). Cette initiative est la composante d'une politique plus large de recensement de toutes les inégalités que subissent les femmes dans l'ensemble de la société (milieux familial, professionnel, éducatif, culturel, médical, public...). Le sujet dont s'empare le Collectif #NousToutes n'est donc pas nouveau, mais il s'appuie sur les statistiques récentes menées par l'association Féminicides par compagnons ou ex 3 qui recense, relaye et rend public le nombre de meurtres de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint chaque année depuis 2016. Le but de Caroline de Haas est de « sensibiliser le gouvernement » sur la nécessité d'agir et de mener une réelle politique contre cette violence systémique. Dans le même temps, le collectif organise des sessions de « formation », accessibles à tout le monde, permettant d'identifier et d'accompagner les victimes de violences.

#NousToutes sans propos politique ?

Le collectif se défend de « faire de la politique » et se concentre sur des mobilisations et actions organisées ponctuellement. Le rôle affiché est celui d'agitateur, dans le but de d'obtenir des institutions et du gouvernement des moyens financiers, judiciaires et législatifs. Si le succès des marches est indéniable, le gouvernement ne lâche pas aussi aisément. C’est pourquoi face aux événements qui se succèdent depuis un an, notamment la mascarade du Grenelle sur les violences à l'encontre des femmes, force est de constater que les orientations de Caroline de Haas, qui n'est pas une débutante en politique, servent sciemment le système actuel.

Ainsi, en concentrant le problème sur la question unique des féminicides et des viols, le Collectif #NousToutes aide à perpétuer d'autres violences systémiques bien ancrées dans notre société. Le refus de se prononcer et de s'engager dans le combat contre la réforme des retraites à la fin de l'année 2019 en ne mentionnant à aucun moment la violence professionnelle et pécuniaire exercée sur les femmes, et dont les conséquences sont qu'elles se retrouvent dans un assujettissement permanent vis à vis des patron.nes, vis à vis de leurs conjoint.e.s, démontre sans équivoque que le Collectif #NousToutes a bien un propos politique, celui de la bourgeoisie, qui condamne la lutte de classes.

Pourtant lors de la grève de début décembre 2019, de nombreux et de nombreuses militant.e.s se sont exprimé.e.s au sein du collectif pour relever ce paradoxe et demander une prise de position, sans qu'il n'y ait eu de réponse de ce qui constitue le « noyau dirigeant » de l'organisation.

2020 : les masques tombent chez #NousToutes

C'est donc un silence honteux que le Collectif #NousToutes affiche tout au long de la mobilisation des travailleuses, des chômeuses, des retraitées, des étudiantes, des femmes de tous âges qui sont maintenues dans une détresse sociale voulue par toute la classe politique au grand bénéfice des patrons et du patriarcat.

Aussi, quand survient la polémique autour de la nomination du film de Polanski aux Césars fin janvier, c'est avec promptitude que le collectif s'empare de la question et organise des rassemblements afin de mieux taire leur soutien à la réforme des retraites. Appliquant le principe de la diversion, Caroline de Haas offre une précieuse opportunité au gouvernement, déviant ainsi les forces vives féministes de la contestation sur un tout autre sujet que l'injustice sociale et les réformes profondément inégalitaires que veut mettre en œuvre le gouvernement.

De même, pendant la période du confinement, le Collectif #NousToutes sensibilise et communique très fortement sur les dangers d'augmentation des violences intra-familiales, englobant cette fois non seulement les femmes mais aussi les enfants, mais s'abstient de communiquer et d'analyser les répercussions sociales du confinement sur les conditions de travail des travailleurs et travailleuses obligé.e.s de tenir leurs postes en s'exposant au virus au péril de leur santé et de celle de leurs proches, menacé.e.s de sanctions disciplinaires et pécuniaires si elles/ils font valoir leurs droits en réclamant la protection de leurs employeurs... Rappelons ici que les métiers de caissier.e.s, d'infirmier.e.s, d'agent.e.s d'entretien sont à plus de 95% exercés par des femmes et sont sous-payés... Le collectif n'a absolument RIEN revendiqué en matière d'embauches, de condition de travail ou de hausses de salaires alors que la société était portée à bout de bras par les femmes !

Entre imposture et manipulation, les dérives d'une organisation pseudo-féministe qui étouffe le combat des femmes

Alors, de quel féminisme parle-t-on ? Plus qu'un paradoxe, le féminisme du Collectif #NousToutes ne relèverait-il pas en réalité de l'imposture ?

Deux événements peuvent nous éclairer encore sur le supposé féminisme de Caroline de Haas et des militant.e.s nationales du collectif :

  • la réactivité stupéfiante avec laquelle #NousToutes a communiqué sur le délit que constitue la diffusion d'images à caractère sexuel sans consentement par un tiers au moment de l'affaire Benjamin Grivaux : en deux heures le communiqué était fait pour dénoncer le procédé alors qu'on attendait en vain une position sur la réforme des retraites.

  • la lenteur de réaction du collectif sur la nomination de Gérald Darmanin accusé de viol avec une procédure en cours d'instruction : Caroline de Haas s'exprime officiellement deux jours après l'annonce du remaniement du 6 juillet, loin derrière toutes les organisations féministes.

Enfin, tout dernièrement, suite aux annonces du gouvernement d'interdire les rassemblements, le Collectif #NousToutes a décidé de ne pas organiser de marche contre les violences faites aux femmes cette année en novembre prochain. A la place, des rassemblements devant les mairies et les palais de justice seront organisés, émiettant et dissolvant ainsi toute la puissance que constitue la force de frappe d'un rassemblement unitaire et national féministe.

Si l'on en doutait encore, ces choix sont de toute évidence orientés. Dans ses discours, Caroline de Haas défend l'intersectionnalité ; elle prétend que la lutte des classes ne peut pas se résoudre sans qu'on ait réglé la question de l'égalité entre hommes et femmes puisqu'en tant que femme on est discriminé même si on est de la classe dominante ; par conséquent, elle refuse de mener deux combats en même temps car cela reviendrait à « les mettre en contradiction ». Argument éculé s'il en est, il prouve de façon éclatante que le Collectif #NousToutes est bien opposé à la lutte des classes.

A l'inverse de Caroline de Haas, notre féminisme n'est pas une tromperie : pour La Commune et la Ligue socialiste internationale, le féminisme ne peut pas se dissocier de la lutte des classes, du combat contre le capitalisme, contre le patriarcat, contre l’oppression et l'exploitation d'un sexe par l'autre, d'une classe par l'autre, d'une culture par l'autre, sous toutes leurs formes.



Marie Gouze
30 septembre 2020





1. Réunion de lancement à la Bourse du travail de Paris. 2. Le Collectif #NousToutes est un collectif féministe engagé contre les violences sexistes, sexuelles, économiques, psychologiques, verbales et physiques faites aux femmes. Il regroupe des particuliers, des associations et des organisations syndicales et politiques. (source : Wikipédia). 3. Le Collectif Féminicides par compagnons ou ex, bénévole et militant, recense, depuis le 1er janvier 2016, les femmes victimes des crimes conjugaux en France métropolitaine mais aussi dans les DOM-TOM.

Modifié le dimanche 18 octobre 2020
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