Premieres leçons à chaud...

Loi sur les retraites : quel bilan ?Depuis le mois de mai dernier, et dès l'annonce du projet de loi Sarkozy de " réforme " des retraites, grèves et manifestations se sont succédé en France, suscitant la peur des gouvernants de toute l'Europe. l'article suivant a été publié dans le journal du Mouvement socialiste des travailleurs (MST) d'Argentine, mercredi 27 octobre, à la veille de la énième " journée d'action " de 24h du jeudi 28 octobre et de nouvelles manifestations du samedi 6 novembre . Depuis ces lignes, les événements n'ont fait que confirmer le diagnostic établi alors. C'est pour quoi nous le publions intégralement. Premières leçons, premier bilan.Sans doute assistons-nous à un reflux des grèves et des mobilisations mais ce qui importe, c'est justement de comprendre où en est la classe ouvrière à ce jour et les obstacles qu'elle a rencontrés sur son passage.
Avant d'en venir là, il est indispensable pour la bonne compréhension d'expliquer à nos camarades et aux travailleurs d'Argentine l'enjeu de cette loi sur les retraites.
En France, le système de sécurité sociale et donc des retraites qui en sont une branche, a une particularité qui la différencie de la plupart des systèmes de par le monde qui sont en majorité basés sur des assurances privées ou sur un financement d'État ou même dans certains pays par un mélange de l'un et de l'autre.
En France, depuis 1945, fruit d'une conquête des travailleurs dans la vague des grèves insurrectionnelles de l'immédiat après-guerre, la sécurité sociale et sa branche " vieillesse " (les retraites) est financée exclusivement par les salaires des travailleurs. l'ensemble de l'argent ainsi dégagé représente aux alentours de 2300 millions de millions d'euros, une somme équivalente au budget de l'État.

Que représente la Sécurité Sociale ?


Jusqu'à maintenant donc, ce qui fait encore la force de la protection sociale " à la française " réside en ceci que la Sécu est financée par le salaire différé.
Le salaire différé, c'est une part du salaire qui n'est pas versée à l'ouvrier, au salarié. Il existe donc le salaire brut, la somme totale qui est due au salarié et le salaire net, ce qu'il touche à la fin du mois une fois sa part de sécurité sociale enlevée. C'est l'argent que les salariés mettent dans une caisse commune pour s'assurer mutuellement, pour leur santé comme pour leur retraite, selon le principe de la solidarité ouvrière : chacun cotise pour tous et tous pour chacun. Chacun cotise selon ses moyens et perçoit selon ses besoins.
Insistons lourdement : cet argent ne provient donc pas de la poche du patron. l'argent de la Sécu, toutes branches confondues, appartient bien aux salariés et les patrons ne versent rien qui leur appartienne en propre.
Les cotisations prélevées servent immédiatement au paiement des pensions de retraites, des prestations - maladie. Les actifs cotisent pour les retraités d'aujourd'hui, les bien portants cotisent pour les malades. C'est le système dit de répartition solidaire. Insistons encore : les prestations de soins ne dépendent pas du montant de la cotisation versée individuellement par chaque salarié comme c'est le cas dans les fonds de pension. Ils dépendent de la totalité des sommes récupérées sur une portion des salaires.
Inutile de préciser qu'il ne s'est nullement agi, en 1945, d'un élan généreux du patronat français, qui était du reste mouillé jusqu'au cou dans la Collaboration avec l'occupant nazi. La bourgeoisie française, par peur de tout perdre face à la vague révolutionnaire de 1945, a dû lâcher en particulier le régime de sécurité sociale par répartition solidaire, l'actuelle "Sécu".
Le modèle de Sécurité sociale et donc des retraites que les salariés en grève défendent actuellement, comme déjà en 1995 et en 2003 est fondé sur la solidarité entre tous les salariés et sur la solidarité entre les actifs et les retraités : les salariés cotisent chacun pour tous et non chacun pour soi et chacun d'entre eux reçoit toutes les prestations nécessaires aux soins et traitements qui lui sont prescrits, et chacun des retraités touche une pension proportionnelle à ses meilleurs salaires.
Pourquoi ce rappel que j'espère le moins fastidieux pour nos camarades ? Parce qu'il explique le fond de la question et le bras de fer actuel.

Le bras de fer


De quel bras de fer s'agit-il justement ? De celui entre Sarkozy et son gouvernement d'un côté et de l'autre des travailleurs et de leurs organisations soudés contre lui ? Si c'était cela la situation, il serait impossible de comprendre. Depuis mai, par 9 fois maintenant, les travailleurs suivis dernièrement par les jeunes ont fait grève et manifesté par millions, à un niveau de combat sans doute supérieur à novembre-décembre 1995. Sarkozy serait-il si fort qu'il arrive, comme Thatcher contre les mineurs anglais à imposer ce qu'il veut ? Absolument pas. Les derniers sondages d'opinion créditent Sarkozy de 27% de satisfaits, le plus bas score de tous les présidents de la Ve république française. Le mouvement actuel s'est rapidement concentré contre lui, posant à l'évidence la question de qui gouverne et de l'illégitimité de Sarkozy. C'est un mouvement politique, dans son fond et dans sa forme. Alors, où est le problème, où sont les blocages.
Ils sont entièrement, exclusivement dans la politique des directions politiques et syndicales du mouvement ouvrier français qui sont chacun à sa place, arc-boutés pour empêcher par tous les moyens que les travailleurs puissent gagner.

Deux axes de cette politique de soumission


Le premier, c'est que, du Parti socialiste au Parti communiste en passant par le Parti de gauche de Mélenchon, de la principale centrale ouvrière la CGT, à la CFDT et autres directions syndicales, tous sans exception disent qu'il faut une réforme des retraites car selon eux (et Sarkozy) il faut réformer sous peine de voir le système des retraites s'effondrer. Aucun d'entre d'eux n'a donc exigé le retrait du projet de loi, aucun ! Certains disant qu'il faut une loi, mais une bonne loi (le PCF a fait un projet de loi) d'autres proposant aussi des " solutions " pour une retraite " individualisée " (le PS et la CFDT) et tous, dans un bel élan unanime, s'appuyant sur les propositions d'ATTAC disant qu'il faut taxer les revenus financiers du Capital. Or, financer les retraites sur la base des revenus financiers du Capital, les stock-options et les dividendes, c'est justement introduire les retraites par ...capitalisation, système aux antipodes de celui arraché en 1945.
Le système français, basé sur les salaires, ne peut exister que si le combat pour l'augmentation des salaires, la lutte contre les licenciements et la fin des exonérations faites aux patrons est menée par les travailleurs et leurs organisations. Tout chômeur supplémentaire, tout licencié en plus, tout salaire qui stagne ou qui baisse, ce sont autant de cotisations en moins dans les caisses de la sécurité sociale. En préférant faire miroiter l'illusion de la taxation du Capital, les principaux dirigeants du mouvement ouvrier indiquent à Sarkozy qu'ils sont bien décidés à ne pas mener les vrais combats nécessaires à la classe ouvrière. Ils donnent le feu vert à Sarkozy pour faire passer sa loi.
Le deuxième axe, c'est la tactique des " journées d'action " de 24 heures étalées dans le temps depuis...mai dernier. Autrement dit, pas question pour eux d'appeler à la grève générale jusqu'au retrait du projet de loi. Les salariés ont appelé cette " tactique " les grèves saute mouton, étalées dans le temps, qui démoralisent car elles sont inefficaces et divisent. Certains salariés ont ainsi perdu plus de 10 jours de salaire en 6 mois de " journées d'action " alors que tout le monde sait que si nous avions fait tous ensemble 10 jours suivis de grève, Sarkozy sautait comme un bouchon et sa réforme avec lui.
Et pourtant : la volonté d'en découdre est intacte dans tout le pays à en juger par l'ensemble des actions que militants et salariés cherchent désespérément à établir entre eux, entre secteurs,entre professions pour tenter légitimement de "déborder" les appareils.

Le "secret de Sarkozy" ?


Le bras de fer actuel est donc en réalité celui entre les directions syndicales et politique et les masses en mouvement qui, malgré ces obstacles, sont descendues par millions dans la rue non pour crier " taxation des revenus financiers " mais " retrait de la réforme " On a vu un mouvement profond, déterminé, extraordinaire qui, par endroits, a même réussi des formes de débordement des appareils, mais encore insuffisantes pour lever les verrous.
De vraies grèves puissantes (15 jours) des éboueurs de Marseille, que l'union sacrée de l'UMP et du PS, du PCF, de FO et de la CGT a fini par réussir à faire rentrer, de vraies grèves également des éboueurs municipaux de Paris que Delanoë, le maire PS a fini par asphyxier en ayant recours aux entreprises privées de nettoyage qui emploient des précaires intérimaires, des dépôts de carburant dont les piquets de grève ont été brisés par la police avec l'accord ou la complicité tacite des appareils syndicaux.
A ce jour, il ne faut pas se voiler la face : les appareils s'ingénient à organiser le reflux après avoir refusé d'appeler à la grève générale.
Cependant, la grève des travailleurs du pétrole, des terminaux méthaniers, des dockers, des personnels des cantines scolaires et d'autres communaux est massive à Marseille. Les éboueurs de cette ville viennent de suspendre la grève à l'appel de FO, mais ceux de plusieurs dizaines d'autres villes la poursuivent. De nombreux travailleurs territoriaux sont toujours en grève reconductible dans les grandes villes et leurs banlieues. Dans la jeunesse, plus de 1000 lycées (sur 4200) ont été bloqués. Dans les universités, la mobilisation a franchi un seuil décisif durant la semaine du 18 octobre, avec une douzaine de facultés bloquées, une demi-douzaine fermées par l'administration pour empêcher le blocage.
En multipliant les déblocages par la force, en matraquant et gazant les lycéens et les travailleurs en lutte, en tirant au flash-ball sur les jeunes des quartiers ouvriers qui se révoltent, en multipliant les provocations policières dans les manifestations, en procédant à plus de 2000 arrestations de jeunes et en les faisant condamner durement pour la moindre insulte ou un feu de poubelle, Sarkozy joue son va-tout pour imposer coûte que coûte sa réforme, une réforme exigée par le FMI du "socialiste" Strauss-Kahn et l'Union européenne.

Le rôle des directions syndicales


Or les principales directions syndicales (CGT, CFDT, FO, FSU, UNSA) confirment leur refus d'appeler à la grève générale et même de soutenir la grève reconductible et les blocages - alors même que les militants de la CGT et de la FSU sont souvent parmi leurs principaux artisans. Alors que Sarkozy les nargue et les méprise en refusant de leur offrir la moindre porte de sortie qu'elles seraient prêtes à accepter et en laissant même le Sénat aggraver encore la loi, les principales directions continuent de s'humilier en le suppliant encore et encore d'ouvrir des " concertations " pour " une autre réforme des retraites", comme si l'on pouvait espérer de Sarkozy une " réforme juste et efficace " ! Malgré le succès réitéré des manifestations des 16 et 19 octobre, elles appellent encore à deux nouvelles journées d'action espacées les jeudi 28 octobre et le samedi 6 novembre : c'est une véritable machination dans le dos des grévistes, une manière de briser les reins des travailleurs et de les écoeurer une bonne fois. Et si après cela les manifestants et les grèves refluent on pourra alors dire que les travailleurs n'ont pas été à la hauteur et que Sarkozy a été le plus fort. Cette " explication " est déjà en train de s'écrire sous nos yeux !
Cela explique la suspension de la grève dans certains endroits. Enfin, au lieu de soutenir les blocages, elles les condamnent implicitement en s'engageant à " veiller au respect des biens et des personnes " (communiqué de l'intersyndicale du 21 octobre). De ce point de vue, l'intersyndicale a indirectement donné un feu vert, quelques heures à peine après sa réunion, à la violation du droit de grève par l'ordre illégal de réquisition des travailleurs et au violent déblocage policier de la raffinerie de Grandpuits (Seine et Marne), l'un des phares de la grève. Trois ouvriers ont été blessés, dont un gravement, et une véritable occupation policière du site s'est mise en place, visant à empêcher l'arrivée en soutien de centaines travailleurs et jeunes de toute la région et au-delà à l'appel des travailleurs de Grandpuits, qui n'en ont pas moins reconduit la grève.

Tirer les leçons


En résumé, parce que Thibault (CGT), Mailly (FO), Chérèque (CFDT) refusent d'appeler à la grève générale, Sarkozy peut maintenir ses attaques contre nos retraites. La démonstration est faite, une fois encore : les " journées d'action ", les " grèves reconductibles " par secteur, par département, laissent au gouvernement, à son appareil législatif et répressif, les mains libres pour faire passer la politique anti-ouvrière. Des centaines de milliers de salariés ont manifesté et fait grève, conscients qu'un nouveau coup leur est porté par leurs propres dirigeants. Ne pas le dire serait mentir aux travailleurs. Et appeler de manière incantatoire, comme si de rien n'était, à la mobilisation de jeudi 28 octobre et du samedi 6 novembre, comme si le problème était que les travailleurs ne se sont pas assez mobilisés jusque là, comme le font Lutte Ouvrière et d'autres y compris dans une partie non négligeable des cercles dirigeants du NPA, c'est bien le meilleur des services à rendre aux bureaucraties syndicales en ce moment ! Jamais Thibault, ni Chérèque n'ont jamais exigé le retrait du projet de loi, alors que c'est évidemment l'objectif des grévistes. Chaque " journée d'action " à laquelle les travailleurs ont répondu massivement parce qu'ils cherchaient à se centraliser, a été appelée par " l'Intersyndicale " pour amender le texte Sarkozy : " Les organisations syndicales appellent solennellement le gouvernement et les parlementaires à ne pas adopter cette réforme en l'état. (CFDT, CFE/CGC, CFTC, CGT, FSU, UNSA, 21 octobre) " Une chose est sûre : les travailleurs, quels que soient les résultats immédiats, commencent à tirer les leçons. Et Sarkozy n'est pas Thatcher. Le mouvement politique profond pour chasser Sarkozy est engagé. La loi contre les retraites n'est pas une défaite des masses contre Sarkozy. Elle est le résultat de la collusion flagrante, au grand jour des principales directions politiques et syndicales de ce pays avec ceux qui considèrent la protection sociale en France comme insupportable : le Capital et ses institutions, dont le gouvernement Sarkozy est un rouage. Et la classe ouvrière saura bien assez tôt trouver les moyens de balayer ces obstacles. Et ceux qui prétendent l'aider doivent d'abord dire et écrire cette vérité là.

Pedro Carrasquedo

Mercredi 27 octobre 2010
Modifié le vendredi 28 juin 2013
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