Où va la révolution bolivarienne ?

VenezuelaLe 24 mars, Hugo Chávez, lors du le meeting de lancement du projet PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela) a abordé les thèmes de l'autonomie syndicale et du dilemme entre réformisme et révolution, en lien avec le caractère et la nature de la révolution vénézuelienne, le rôle de la classe ouvrière et le PSUV. Suite à cette intervention, nous avons eu un entretien avec Orlando Chirino, coordinateur national de l'UNT et dirigeant du Courant de classe unitaire, révolutionnaire et autonome (C-CURA). Depuis cet entretien, Hugo Chávez a annoncé le retrait du Venezuela du FMI et de la Banque Mondiale. Orlando, quelles sont les questions que tu considères comme importantes et qui provoquent la polé­mique ?

Je vais faire simplement référence à deux d'entre eux. Par exemple, le Président dit qu'un grand danger réside dans l'existence de secteurs réformistes. Moi aussi je le pense. Mais de mon point de vue, le programme offert par le Président est prisonnier d'une conception réformiste, qui ne pose pas la rupture définitive avec la logique capitaliste.

Après la grande offensive néolibérale des années 90, nous voyons à nouveau des investissements qui se chiffrent en millions de grands groupes capitalistes internationaux dans les secteurs stratégiques, dans l'industrie pétrolière, le secteur minier, dans l'exploitation du charbon, dans la construction immobilière et dans les ponts et chaussées. l'essence des multinationales réside dans la monopolisation de la production et du commerce, dans la surexploitation des travailleurs, dans le saccage des ressources naturelles des nations et dans l'ingérence politique dans les décisions économiques des pays.

" Bon capitalisme " ?

C'est un thème crucial par rapport au type de modèle économique que l'on veut construire. Le Président présente les investissements des multinationales comme un progrès, moi je les vois comme le début d'une hypothèque sur la révolution. Selon moi, le premier pas vers le socialisme consiste dans la rupture avec ces multinationales. Alors qu'au contraire le gouvernement met en avant la concertation avec les grands groupes économiques, il en est ainsi pour l'achat de la CANTV(Compagnie de téléphone) et de l'électricité de Caracas. Il ne fait pas de doute que la récupération de ces entreprises par l'état est un progrès, mais les entrepreneurs ont été tant satisfaits qu'ils ont manifesté publiquement leur accord avec cette vente. Une autre de nos préoccupations, c'est d'entendre le Prési­dent déclarer que Sidor ne sera pas nationalisé, parce que, selon lui, il s'agit, dans ce cas, d'un " bon capitalisme ". Mais alors nous nous posons la question : depuis quand existe-t-il un "bon capitalisme " et un " mauvais capitalisme " ?

Qui doit diriger ?

Un autre point important est celui de la place des classes sociales dans cette révolution. Il n'est pas nécessaire d'invoquer Karl Marx, Friedrich Engels, Lénine ou Trotsky, pour savoir que l'unique manière de renverser l'équation capitaliste, dans laquelle une minorité impose ses décisions sur une majorité, c'est que nous, les travailleurs et le peuple, nous qui sommes la majorité de la population et de ceux qui produisent, jouions le rôle d'avant-garde dans l'expropriation des entreprises et en assumions le contrôle. Mais dans notre pays cela devient de plus en plus difficile. Nous, les travailleurs, nous n'avons pas la possibilité dans les secteurs clefs de l'économie de penser seulement à la cogestion, encore moins au contrôle ouvrier, parce que le gouvernement considère qu'il ne peut y avoir de cogestion dans les entreprises stratégiques.

C'est dans ce genre de détail que l'on comprend que le gouvernement n'a pas dans son programme, et il semble bien que le PSUV ne l'aura pas non plus, l'expropriation des capitalistes. Et si ceci ne se fait pas, nous n'avancerons pas vers le socialisme.

Et sur ses appréciations à propos de l'autonomie du mouvement syndical ?

C'est un thème des plus importants. Le Président ne peut prétendre changer l'Histoire, en disant que ceux qui luttent pour l'autonomie des organisations syndicales, véhiculent un " poison " de la IVe République. Au contraire, l'autonomie est le grand antidote contre le bureaucratisme, et c'est grâce à cela que la révolution a été sauvée en 2002 et en 2003, et si elle se maintient, elle sera la grande sauvegarde du processus révolutionnaire.

Indépendance syndicale

Mais le pire est dans l'affirmation du Président Chávez selon laquelle nous qui luttons pour l'autonomie jouons un rôle contre-révolutionnaire. Nous qui luttons pour l'autonomie syndicale nous ne sommes pas des contre-révolutionnaires. Avec d'autres camarades, nous avons construit un courant national dans le mouvement syndical qui s'identifie, en plus de lutter contre la bureaucratie et pour le socialisme, avec le combat le plus décidé en défense de l'autonomie des organisations syndicales. Le IIe Congrès de la Centrale a prouvé ce que j'affirme. Il n'y avait pas simplement cinq courants ou fractions, il ne s'agissait pas de problèmes personnels de certains dirigeants contre d'au­tres, qui ne s'adressent pas la parole et qui auraient des rancoeurs personnelles. En cela, le Président Chávez se trompe, ce qui se passe en vérité c'est que depuis plus de deux ans, se livre " la mère des batailles " entre deux conceptions, celle qui veut attacher le mouvement syndical aux décisions du gouvernement et celle qui veut lutter pour sa souveraineté, son indépendance et son autonomie.

Une histoire sans tache

Nous avons plus de trente années d'histoire dans le mouvement syndical et nous n'avons capitulé à aucun moment ni devant les patrons, ni devant aucun gouvernement, ni encore moins devant l'impérialisme. Et nous n'allons pas le faire maintenant que le Président nous catalogue comme un " poison dangereux de la IVe République ", alors qu'il est clair que nous n'avons aucun point de coïncidence avec l'opposition putschiste. Nous avons lutté sans cesse au sein du mouvement syndical pour inculquer aux travailleurs les principes de classe, les méthodes démocratiques, l'honnêteté à toutes épreuves et la morale prolétarienne. Nous sommes fiers d'avoir été le premier groupement politique, le PST-l'étincelle (Parti Socialiste des Travailleurs), a proposer le nom de Hugo Rafael Chávez Frias comme candidat à la Présidence.
Nous avons été au premier rang dans la lutte contre la Centrale des Travailleurs Vénézueliens (CTV), nous avons mis en avant la création de la Force Bolivarienne des Travailleurs (FBT), et nous sommes les plus enthousiastes constructeurs de l'UNT, nous avons affronté, à côté des militants les plus décidés, le putsch du 11 avril et nous avons été les artisans de la récupération de l'industrie pétrolière pendant le lockout patronal. Le parcours de nos militants et activistes est sans tache et des plus honorables.

Quelles sont les conséquences pratiques de cette discussion sur l'autonomie des syndicats ?

l'autonomie du mouvement syndical est ce qui permet quotidiennement de s'exprimer sans peur et sans chantage sur les erreurs - les horreurs, dirais-je - que le gouvernement est en train de commettre, il n'est pas pensable que les employés publics attendent depuis vingt sept mois la négociation sur leur contrat de travail. Il semble qu'il va en être de même pour les ouvriers du pétrole. Les questions que l'on se doit de se poser sont : est-ce qu'il vaut la peine ou non de lutter pour l'autonomie ? Sommes-nous des contre-révolutionnaires parce que nous dénonçons ces atrocités ?

Parti et gouvernement

Mais il ne s'agit pas seulement de l'autonomie syndicale. Il s'agit également d'une question délicate concernant le PSUV et le gouvernement. Les militants du PSUV sont-ils obligés de se solidariser avec toutes les décisions du gouvernement et de ses fonctionnaires ? Le nouveau parti sera-t-il un appendice du gouvernement ?

Je m'imagine un travailleur du pétrole qui a risqué sa vie contre les putschistes pendant le lockout patronal, participant à une réunion du PSUV où le ministre du travail lui dit qu'il doit accepter que son contrat collectif soit négocié par les putschistes ... Cela aussi est un thème important pour la discussion.

Quelle perspective voyez-vous pour le projet du PSUV ?

Nous ne pouvons pas occulter le fait que le peuple est dans une grande expectative sur ce projet. Je dirais même que les gens le voient comme un triomphe politique sur les chefs de partis de la Ve République ; parce qu'ils haïssent le " Me Volví Rico ", " Plata Para Todos ", " Podemos "" Me Volví Rico " (MVR) signifie " Je suis devenu riche " - " Plata Para Todos " (PPT) signifie " De l'argent pour tous " - " Podemos " signifie " Nous pouvons ".

MVR, PPT et Podemos sont les partis chávistes au gouvernement.
et toutes ces organisations et personnages qui se sont enrichis sur le dos du peuple.

Une perspective qui s'éloigne

Cependant, laisse-moi te dire que compte tenu des propos du Président Chávez, la perspective de ce que les secteurs véritablement de classe, honnêtes et révolutionnaires dans le mouvement syndical, qui luttent pour l'autonomie, avancent vers le PSUV me parait de plus en plus s'éloigner.

C'est pour cette raison que nous voulons participer à ce débat. Nous avons une conception de ce que doit être un parti révolutionnaire au Venezuela, si nécessaire pour lutter, pour développer le processus révolutionnaire, pour arracher le pouvoir économique, politique, social et militaire des mains des capitalistes. Et en ce qui concerne cette perspective nous ne la voyons nulle part dans le PSUV.

Ce qui est important c'est que le débat soit ouvert et tous, nous devons dire clairement ce que nous pensons et voulons, sur le parti que nous voulons construire, quel doit être son programme, avec quelles méthodes on le construit. à partir de ce moment nous entrons dans ce débat, nous allons le faire avec franchise et tolérance et nous ne permettrons pas que l'on nous méprise parce que nous avons des positions différentes de celles du Président et des dirigeants du " Comité Promoteur ". Avec respect, mais avec fermeté, nous allons faire parvenir au dit comité du PSUV notre vision et nos perspectives pour la révolution au Venezuela.
Modifié le mercredi 09 mai 2007
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