Où va Podemos ?

La forte polarisation politique exprimée par les électeurs lors des élections aux Cortès1 croupions a constitué pour le Partido Socialista Obrero Español (PSOE) de Pedro Sánchez une défaite historique que Podemos essaie de mettre à profit. C'est dans ce cadre que Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, propose une alliance avec le PSOE pour la formation d'un gouvernement. Mais de quoi s'agit-il en réalité ? Quel en est le contenu politique, programmatique et institutionnel ?

Podemos propose au PSOE et à Unidad Popular - Izquierda Unida (UP-IU, parti stalinien) la formation d'un « gouvernement de changement et de progrès » avec l'objectif d'une réforme de la constitution. D'emblée, il annonce sa composition: la Présidence reviendrait à M. Sánchez, la vice-présidence a M. Iglesias, et une distribution proportionnelle des ministères en fonction des résultats électoraux des trois organisations.

Changer quelque chose pour que tout reste pareil

Quant au programme politique avancé il n'existe pas en dehors de la réforme constitutionnelle prioritaire que partage aussi le parti de droite Ciudadanos (C's). Il mentionne aussi quelques « lignes rouges » comme la réforme du système électoral pour le rendre plus proportionnel, la réalisation d'un référendum en Catalogne sur le « droit à décider » (un euphémisme pour désigner le droit à l'autodétermination), la dérogation de la loi d'éducation et de la réforme du travail, l'arrêt des expulsions des logements hypothéqués et des coupures de courant pour les plus démunis, des prestations sociales pour les chômeurs, un plan pour l'emploi, un plan d'infrastructures...

Ne pas rompre avec l'État espagnol

Il agrémente ces propositions avec l'ouverture du dialogue aux nationalistes catalans, basques et galiciens ajoutant qu'il ne veut pas qu'ils rompent avec l'État espagnol. Néanmoins et par responsabilité institutionnelle il respectera les décisions du chef de l'état prises dans le cadre de la constitution actuelle. M. Iglesias souligne aussi qu'il est disposé à aider M. Sánchez à surmonter les difficultés rencontrées dans son parti, faisant allusion à l'opposition du PSOE à toute mise en question de l'unité de l'état. Propositions non exemptes de contradictions pour un parti qui veut démocratiser les institutions de la monarchie héritée de la dictature militaire du Général Francisco Franco de 1939 à 1975.

« Les militants brûleront nos sièges »

Ces déclarations du dirigeant de Podemos font suite à celles de Felipe González (secrétaire général du PSOE depuis 1966 et président du Gouvernement espagnol de 1982 à 1996), favorable, lui, à une coalition PSOE, Partido Popular (PP) et C's. Mais pour l'instant la majorité du PSOE ne partage pas cette orientation: « si nous permettons que le PP revienne au gouvernement les militants brûleront nos sièges » déclarent plusieurs dirigeants andalous. Ainsi un dirigeant historique, Fernando Fernández Villalobos, président du PSOE à Séville, la seule région ou le PSOE a toujours gagné aux législatives, a révélé qu'il soutient que les socialistes restent dans l'opposition. C'est également l'opinion de la majorité du Parti Socialiste andalous, le plus nombreux en voix et députés. Susana Díaz, présidente de l'autonomie, avait déjà déclaré au soir des élections: « le PSOE a obtenu le pire résultat de son histoire et les urnes nous ont placés dans l'opposition ».Une possibilité de gouvernement du PSOE en minorité et des alliances ponctuelles avec C's, Podemos et PP est donc ouverte, ou bien un retour aux urnes déstabilisant encore plus les institutions monarchiques, ou bien encore que le Roi désigne un président.

Un bloc crypto –stalinien

Podemos , qui regroupe plusieurs organisations (En comú - Podem, Compromís, Mareas) venant des régions autonomes qui ont exprimé leur désir de se séparer de l'État-Prison des peuples espagnol avec des positions pas toujours identiques revendiquant, d'ailleurs, leurs propres groupes au parlement espagnol, pourrait donc éclater à tout moment. Son « programme », fluctuant et opportuniste, son fonctionnement, aussi, par assemblées apparemment démocratiques mais essentiellement crypto-stalinien, ne vise en réalité qu'à obtenir des sièges abandonnés par le PSOE et UP-IU dans les cortès croupions, à tendre la main aux institutions monarchiques en leur proposant une constitution sur mesure qui leur permette de survivre en défendant les intérêts du capitalisme pourrissant dans l'État espagnol, de poursuivre l'exploitation de la classe ouvrière et de continuer l'oppression des peuples catalan, basque, galicien et des îles Canaries. On chercherait en vain dans les déclarations de ses dirigeants ne serait-ce que l'ombre des revendications ouvrières, la moindre allusion aux libertés syndicales bafouées ou la dérogation des lois scélérates promulguées par les gouvernements successifs - de l' UCD (Unión de Centro Democrático, parti franquiste), du PSOE ou du PP - de la monarchie depuis 1977, menaçant ses acquis arrachés de haute lutte durant la dictature franquiste.

Domingo Blaya,
6 février 2016

1 Parlement du Royaume d’Espagne établi par la constitution de 1978.

Modifié le samedi 06 février 2016
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