Exclusion des "radicaux" du PT

BrésilDimanche 14 décembre, la direction nationale du Parti des travailleurs a décidé l'exclusion des députés Baba, Joao Fontés, Luciana Genro et de la sénatrice Heloisa Hélèna, "coupables" d'avoir voté contre la réforme des retraites. Nous reproduisons ici la déclaration faite devant la direction nationale du PT ce jour-là par le député Baba , ingénieur et professeur d'université dans l'Etat de Para (les intertitres sont de la rédaction).Camarades, je commencerai par affirmer que jamais je n'ai été aussi à l'aise avec ma conscience que durant ces derniers mois. Je dis cela avec la tranquillité d'un militant qui va être aujourd'hui exclu du Parti des travailleurs, dans ce temple de la bourgeoisie qu'est l'hôtel Blue Tree Park... cinq étoiles...

Dans un hôtel cinq étoiles

Si j'ai parlé de cet hôtel Blue Tree Park (beaucoup d'entre vous ont ri), c'est parce qu'il existe une énorme différence avec cette baraque de Vera Cruz, à San Bernardo dos Campos (Sao Paulo) où fut créée la Centrale unique des travailleurs, la CUT, et où, chaque délégué n'ayant reçu qu'une mince couverture pour la nuit malgré un froid brutal, la moitié de la délégation de mon Etat, celui de Para, est retournée chez elle avec une pneumonie. C'est dans cette réunion historique de fondation de la CUT, dans la vague des grandes luttes ouvrières, qu'émergea le camarade Lula.
Mais ces dernières années, des changements importants sont intervenus dans le PT, et ceci est le grand débat que nous voulons ouvrir.

Vous avez pourtant choisi de vous isoler dans cet hôtel pour que les militants ne puissent être présents à ce débat qui se conclura par notre exclusion.

Les soutiens à la réforme des retraites

Je n'ai à me défendre de rien. J'ai rejoint le Parti des travailleurs en 1980, dans l'Etat de Para, à l'occasion de la première grève de l'Université fédérale. Depuis cette époque et jusqu'à aujourd'hui, avec de nombreux camarades de mon courant, le Courant socialiste des travailleurs, nous avons construit le PT en affrontant ceux qui sont maintenant des " alliés " du gouvernement, comme monsieur Jader Barbalho (PMDB). Alors que j'étais député de l'Etat de Para et que le gouverneur de cet Etat était précisément Jader Barbalho, j'ai été emprisonné. Et aujourd'hui, il est probable que le PT soutiendra dans la ville d'Ananindeua, voisine de Belem, le fils de Jader Barbalho candidat au poste de maire. C'est l'un des aboutissements des négociations réalisées avec ce même Jader Barbalho pour garantir les voix de son groupe parlementaire en faveur de la réforme des retraites. Cette même réforme à laquelle nous étions tous opposés. Il ne s'agit pas seulement de Baba, mais de nous tous qui, sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, avons voté contre à la Chambre des députés ; à nous tous, nous n'avions pas permis que passe le vote permettant l'impôt sur les retraites. Mais aujourd'hui, la majorité de ce groupe parlementaire a voté pour.

Mais il ne s'agit pas seulement de la réforme des retraites. Notre débat est beaucoup plus profond, parce que dans ce gouvernement siège le PT aux côtés du PTB, du PPB de Maluf, du PMDB de Jader Barbalho et Sarney... Et malgré ça, il y en a qui ont le front d'affirmer que ce serait nous qui serions aux côtés de la droite, comme l'a déclaré le député Adao Preto (du MST de Rio Grande do Sul) à propos de la députée Luciana Genro !

Allons, camarades ! Qui n'a pas permis qu'Antonio Carlos Magalhaes (PFL de Bahia, représentant de l'oligarchie du Nordeste) soit jugé ? La responsabilité en incombe au palais du gouvernement, tout ceci a été négocié avec le PMDB. En échange de son sauvetage, nous avons vu le député petit-fils de ce sénateur défendre, aux côtés des responsables gouvernementaux, la réforme des retraites pour assurer le vote du PFL (Parti du front libéral) ainsi que ceux du PMDB et du PTB...

Lula super heureux

Telle est la réalité des faits... et ça ne s'arrête pas là. De quelle politique économique on se targue, " les taux d'intérêt baissent, nous sortons de la zone des pays à risque, le dollar baisse "... ? Nous avons déjà entendu ce discours dans la bouche du gouvernement précédent. Lula, malheureusement, a déclaré après le vote de la réforme des retraites qu'il était " super heureux " de ce vote. " Super heureux " d'imposer les retraités ? De pourchasser les fonctionnaires ? De la répression à la Chambre des députés, quand les syndicalistes ont été traînés par les cheveux tout le long des couloirs par la police... ? " Super heureux " parce que les troupes de choc de la police, appelées par le ministre Berzoini en accord avec le gouvernement, ont poussé à terre la camarade Heloisa Helena et d'autres dirigeants syndicaux dans l'immeuble de l'INSS ? " Super heureux " de çà ?

Je pose la question aux camarades de la majorité de la direction : pensez-vous que tout cela soit la politique la plus correcte à mener ? Ce n'est pas cela que j'ai appris dans ce parti ; j'y ai appris à lutter, à combattre... Je suis entré dans le mouvement syndical en 1980 et, à partir de là, dans le PT, et je continue à défendre les travailleurs...
Lula est-il " super heureux " de voir un million de chômeurs de plus cette année, à cause de sa politique économique ?

Quelle est cette politique économique qui n'implante que 13 000 familles à la campagne alors qu'il en existe 200 000 qui campent sur le bord des routes et des chemins de notre pays ?... Est-il aussi " super heureux " parce que cette année 155 000 millions de réales ont été employés au paiement des intérêts des prêts consentis par les banquiers, tandis que seuls 1 400 millions ont été consacrés aux investissements ? Ou parce qu'il n'a été dépensé pour l'assainissement des eaux que 2,8 % du budget prévu ? C'est bien celle-la, la politique que vous jugez correcte et dont vous vous sentez fiers ?

Correcte pour le capital, certainement. C'est pour cela que l'on s'éloigne de la zone des pays à risque, parce que ceux qui ne courent aucun risque ce sont eux, les banquiers, ceux qui contrôlent l'économie, et ils se setrouvent ainsi dans le meilleur des mondes.

Cette politique, c'est une trahison éhontée des promesses que nous avons faites pendant toute la période électorale.

Nous ne sommes pas seuls

(...) Je vais lire ce que Chico de Olivera, fondateur du PT et brillant sociologue, a écrit dans le quotidien La Folha de Sao Paulo, annonçant qu'il démissionnait du PT : " Je me sépare du PT parce que je n'ai pas voté PT aux dernières élections (comme je le fais depuis 1982), pour ne pas le voir gouverner avec un programme qui n'a jamais été présenté aux électeurs. Ni le président, ni la majorité de ceux qui aujourd'hui sont ministres, ni les autres qui ont été élus à la Chambre des députés ou au Sénat, ne m'ont demandé un vote pour conduire une politique économique désastreuse, une réforme des retraites contre les travailleurs et pour le système financier, une réforme des impôts pour l'oligarchie, une inversion des valeurs républicaines au bénéfice de l'idéal libéral de la réussite à n'importe quel prix... "
Ceci n'est pas seulement le sentiment de Chico de Olivera, mais celui d'au moins 7 millions de Brésiliens qui, selon les dernières enquêtes, ont cessé de croire dans le gouvernement Lula. Vous ne vous en rendez pas compte ?

Un million de travailleurs sont restés sans emploi et il y en aura encore bien davantage si cette politique économique se poursuit. Lula serait-il aussi très heureux parce que 58 paysans sans terre ont été assassinés à la campagne, par la faute d'une politique économique qui ne consacre aucun argent pour la réforme agraire ?

Vous devriez comprendre qu'avant même que nous soyons exclus, il y a déjà des milliers de fonctionnaires qui quittent le PT définitivement. Et ces camarades sont ceux qui ont construit le PT. Car s'il est vrai qu'il a surgit dans l'ABC (ceinture industrielle de Sao Paulo), seuls les fonctionnaires qui avaient, eux - contrairement aux ouvriers -, la stabilité de l'emploi, pouvaient marcher avec l'étoile du PT sur la poitrine, faire les campagnes du PT et recruter... Ils ont été l'âme de la construction de ce parti, et je suis fier d'avoir appartenu à ce secteur qui, aujourd'hui, est injustement traité de privilégié, que l'on veut discréditer aux yeux de la société comme s'il était le grand ennemi de la nation.

Je vais continuer, avec les camarades Heloisa Helena, Luciana Genro et Joao Fontes, et tous les autres camarades qui quittent le PT avec nous. Nous continuerons de lutter parce que c'est nécessaire. Je sors la tête haute. Je vais pouvoir marcher tête haute dans mon université et partout ailleurs... tandis que des camarades aujourd'hui députés ne peuvent plus participer à leurs assemblées de base parce qu'ils ont trahi les engagements pris avec les fonctionnaires pendant la campagne électorale.

Une page est tournée

Mais il ne s'agit pas seulement des fonctionnaires. Le problème, c'est la transformation brutale du PT. Ce n'est pas par hasard si nous sommes ici, dans cet hôtel cinq étoiles, c'est une image de plus de ce " nouveau PT ". De ce " nouveau parti " qui préfère voir Heloisa Helena hors du PT pour pouvoir embrasser Roseana Sarney ; qui préfère l'oligarchie du Nordeste aux camarades Joao Fontes et Heloisa Helena ; qui préfère Germano Rigotto (gouverneur PMB de l'Etat du Rio Grande do Sul) à Luciana Genro, qui préfère Jader Barbalho à Baba au sein du PT.

Je sors serein, tête haute, non parce que je suis supérieur, je suis bien un militant parmi d'autres. Mais j'aimerais que les camarades de la gauche du PT comprennent qu'il existe une politique de plus en plus accentuée d'adhésions qui permet l'intégration d'un Flamarion Portela (gouverneur de l'Etat de Roraima, sur qui pèsent de graves accusations de corruption) ou de la femme de Zito de la ville de Duque de Caxias, dans l'Etat de Rio de Janeiro (dénoncé pour ses liens avec les escadrons de la mort), tout cela comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde...
J'ai tenu les promesses que j'avais faites à la classe ouvrière et j'ai la certitude que nous ne resterons pas bras croisés. Vous avez changé l'histoire du parti, et notre exclusion est une étape de cette nouvelle histoire du PT, d'un PT qui n'est même pas l'ombre de ce que nous avons aidé à construire. Mais les travailleurs comprendront et commenceront à analyser qu'il ne sert à rien d'avoir obtenu un gouvernement d'alliance avec les partis bourgeois comme le PMDB, le PPB ou le PTB.

Je retourne chez moi la conscience en paix. Je vais pouvoir vous regarder droit dans les yeux, mais surtout, je vais continuer à regarder droit dans les yeux mes camarades à l'université, les habitants de mon Etat, ceux que j'ai convaincus des années durant de voter pour le PT et Lula.
Modifié le jeudi 23 juin 2005
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