El Alto, le coeur de la révolution

le coeur de la révolution | Bolivie : entretien avec les dirigeants de la COREn visite à El Alto, coeur de la révolution, nous nous sommes rendus à la Centrale Ouvrière Régionale. Comme dans beaucoup de maisons il y a un drapeau bolivien avec un crêpe de deuil pour les morts. Au premier étage nous avons discuté avec Juan Melendrez Pérez, secrétaire exécutif de la COR, et avec Freddy Acho, délégué de la COB. Avec d'autres membres de la commission exécutive ils nous ont raconté ce qu'ils ont fait, de quelle manière ils étaient organisés et quelle est leur politique aujourd'hui.Avec l'actuelle crise économique, l'impérialisme et les multinationales essaient d'imposer une austérité de plus en plus forte contre les masses. En Bolivie, comme dans toute l'Amérique latine, les luttes partielles pour des revendications économiques se transforment en luttes politiques. Des revendications de non-exportation du gaz vers les USA, de renationalisation du pétrole et du gaz, aux 72 points des paysans, des cultivateurs de coca du Chapare à la lutte contre l'ALCA des artisans de "l'alteno", en passant par les revendications ouvrières on a abouti à la lutte ouverte contre le gouvernement. Un gouvernement qui n'était pas disposé à faire la moindre concession économique et qui a défendu, avec son appareil militaire, les intérêts des grandes entreprises et de l'impérialisme.

Les masses en mouvement

Les travailleurs des villes et de la campagne sont arrivés rapidement à la conclusion que le principal obstacle à leurs revendications était le gouvernement pro-yankee de Lozada, qui avait privatisé et bradé aux multinationales les hydrocarbures et les industries de l'Etat.

Pendant une semaine la crise a atteint une telle ampleur que Lozada cessa de gouverner. Il y avait dans les rues un double pouvoir, dans le pays seul ce que les ouvriers et les paysans décidaient se faisait ; le commerce extérieur était paralysé ; les communications entre villes étaient interrompues du fait des barrages routiers dressés par les paysans, les cocaleros et les mineurs ; l'aéroport de La Paz était fermé ; à El Alto, les piquets décidaient qui pouvait entrer ou sortir ; et le Parlement cessa de fonctionner.

Le gouvernement a essayé de défaire ce pouvoir populaire au moyen d'une féroce répression, près de cent morts et des centaines de blessés tel est le résultat d'un affrontement inégal entre ces deux pouvoirs. Le résultat fut une amplification de la protestation, entraînant les dirigeants et se terminant par la chute du gouvernement, Lozada s'enfuyant comme un lâche à bord d'un hélicoptère, prêté par le président péruvien Toledo, en direction des USA.

Le rôle des directions

La vacance de pouvoir n'a pas été rempli, par le pouvoir de la rue, par ceux qui ont affronté et vaincu la répression. Leurs dirigeants les plus importants se refusèrent à prendre en charge cette responsabilité. Non seulement ils mirent en avant le départ de Lozada comme seule solution pour éviter le chaos, mais de plus ils s'opposèrent à la formation d'un gouvernement de la COB, des paysans et des cocaleros et remirent le pouvoir entre les mains du vice-président Mesa, complice de Lozada jusqu'au 14 octobre.

Le nouveau gouvernement est le produit d'un accord entre les partis traditionnels et les dirigeants des organisations du mouvement ouvrier et populaire. Il a le soutien d'Evo Morales du MAS, de Solares de la COB et de Quispe du MIP. Il a été élu à l'unanimité par le Congrès avec l'accord de tous les groupes parlementaires.

Le gouvernement Mesa

Le discrédit des partis traditionnels est tel que Mesa essaye d'apparaître devant le peuple comme le chef d'un gouvernement indépendant des partis, un gouvernement de "techniciens" d'unité nationale. Il a demandé une trêve, promettant de prendre en compte les revendications les plus importantes du mouvement ouvrier et populaire, par exemple la question de l'exportation du gaz vers les USA qu'il veut résoudre au moyen d'un référendum. Il a aussi promis de revoir la loi sur les hydrocarbures et d'étudier la possibilité de convoquer une Constituante.

Mais à peine au pouvoir, Mesa a montré son vrai visage. Son gouvernement n'est ni indépendant des partis, ni neutre. C'est un gouvernement pro-impérialiste qui s'oppose à l'abrogation de la loi sur les hydrocarbures et qui se propose de négocier une répartition "plus équitable" des bénéfices : au lieu de payer 18% par l'impôt et les redevances, les multinationales payeront 50%. La même proposition que Lozada ... sans Lozada et par-dessus tout sans contrôle des bénéfices réels ! De plus, a été nommé ministre de la Défense un militaire et aucune mesure n'est prise pour châtier Lozada et les coupables de la répression qui a fait une centaine de morts.

Le MAS a déclaré son soutien inconditionnel à Mesa et lui a donné un ministre. La COB lui a présenté une pétition, en vingt points, à débattre. Quant à Quispe, il a déclaré donner une trêve de trois mois au nouveau gouvernement pour qu'il puisse montrer s'il est au côté des paysans et des travailleurs. De fait, le gouvernement et le régime bourgeois sont les uniques bénéficiaires de cette trêve.

Rien n'est résolu

Les contradictions de la Bolivie restent. Au-delà des quelques concessions auxquelles Mesa va être obligé, il ne donnera aucune réponse de fond aux besoins les plus impérieux dont souffre le peuple. Un peu plus tôt, un peu plus tard, la crise explosera à nouveau.

Les travailleurs, les paysans, les jeunes, ont devant eux deux grandes tâches. La première continuer la mobilisation et la lutte pour leurs revendications les plus urgentes. l'autre, dans cette voie, de construire une direction révolutionnaire pour avancer vers l'unique solution de fond : la conquête du pouvoir politique.

La COR comprend treize fédérations et quatorze syndicats. Elle a quatre cent cinquante mille adhérents, en incluant les artisans, la fédération des femmes, les travailleurs de la viande, les cireurs de souliers, les employés de restaurants, les instituteurs, les mineurs retraités, les travailleurs de la santé, les transporteurs, les paysans de l'agglomération urbaine et des artisans, etc. Son organisation soeur est la Fédération des Assemblées de quartiers (FEJUVE) avec quatre cent mille adhérents des quartiers populaires. El Alto a un million d'habitants, la COR et la FEJUVE ont huit cent cinquante mille adhérents. 80% de la population est au chômage : en réalité (...) qui travaillent 20 heures par jour pour obtenir entre 70 et 100 pesos par mois. Il y a quelques usines qui ont entre cinquante et cent travailleurs gagnant 200 pesos par mois.

Comment a commencé la "guerre du gaz" ?

Juan : Nous avons commencé à combattre pour que le gaz ne sorte ni par le Chili, ni par le Pérou. Nous sommes contre le fait que 82% des bénéfices restent aux multiples nationales et 18% à l'Etat. Nous voulons que cela soit 50/50. Nous demandons l'annulation de la Loi des hydrocarbures et de la Loi de la "Sécurité citoyenne" qui interdit les meetings, les barrages routiers et les manifestations ... Seulement 2% de la population a le gaz à domicile, pour sept pesos par mois, et 98% ont du gaz en bouteilles qui manque souvent et qui est trois fois plus cher. Vous comprenez pourquoi nous voulons que le gaz reste ici.

Comment avez-vous organisé la lutte ?

Nous avons commencé par des grèves jusqu'à la grève illimitée. Jusqu'à ce qu'il y ait eu des morts et des blessés. Le gouvernement les a appelées "affrontements", mais ce fut un massacre. Les habitants del Alto n'avaient pas d'armes : seulement des pierres et des bâtons pour se défendre. Nous avons crié alors : "Dehors le gouvernement !" Les paysans de vingt provinces, différentes administrations et institutions qui n'étaient pas avec nous nous rejoignirent : employés municipaux avec leurs maires, fonctionnaires, tout le peuple s'est soulevé. La mobilisation s'amplifiait jour après jour. Père, mère, fils, toute la famille en lutte. Le bilan a été de quatre-vingts morts, quatre cents blessés, une vingtaine de disparus. Nous eûmes soixante-dix emprisonnés qui, depuis, ont été libérés. Deux concierges ont été assassinés pour avoir défendu des écoles ...

Le 16 il y eut une mobilisation violente de la Colline jusqu'à la place Murillo, avec les paysans, les mineurs de Huanuni et Oruro, étudiants et employés de cette même ville, classe moyenne du sud de La Paz ... Ceci fit reculer les forces armées. Les tanks avaient encerclé la ville, tandis que les hélicoptères tiraient sur les manifestants. Le jour on ne voyait rien et la nuit nous faisions des rondes avec des torches. Chaque famille avait sa garde : quand le père s'en allait, le fils restait et réciproquement, on calcule qu'il y a eu cinq cent mille personnes mobilisées de manière permanente, parce que, par exemple, dans un quartier où vivent deux cents familles, une centaine descendait à la manifestation, tandis que les autres cent restaient de garde ... Il y eut des faits inédits : les manifestants balancèrent d'un pont des wagons sur l'autoroute pour la bloquer. Les directives ont été suivies, les camarades disaient : "nous préférons mourir tous que vivre comme des esclaves. Si nous ne sommes pas vainqueurs nous préférons mourir, jusqu'à la victoire finale !" La mobilisation ne reculera pas, nous avons obtenu le départ du président ...

Est-ce un triomphe ?

Ce n'est pas la victoire finale mais un pas en avant. Nous sommes, maintenant, dans une seconde étape revendicative, tout en accordant une trêve, nous maintenons la mobilisation dans un cadre intermédiaire pour un délai de quatre-vingt-dix jours. Nous n'avons pas enlevé les mesures d'organisation. Le nouveau gouvernement est obligé de satisfaire nos revendications. S'il ne le fait pas, Mesa continuera d'être le gouvernement de la minorité. Il ne nous plaît pas que le gouvernement parle de "consultation populaire" quand le peuple a déjà donné sa vie pour le gaz ...

Y a-t-il eu une coordination ?

Freddy : A El Alto nous étions unis. Mais Evo Moralès et Quispe voulurent être les leaders, ce que nous leur avons refusé. Ils se sont sentis gênés mais ils n'ont pas attaqué les résolutions que nous avons prises.

A-t-on évalué la possibilité d'imposer un gouvernement de la COB, de la COR et des autres organisations.

Non. Nous sommes l'expression des adhérents et de leurs objectifs, nous ne postulons pas au gouvernement, le pouvoir des travailleurs réside dans les partis politiques, comme le MAS et le MIP, où se retrouvent les militants syndicaux. La Constituante devrait s'appliquer alors on pourrait parler d'un gouvernement du peuple.

Comment serait cette Constituante ?

Jusqu'à maintenant ce sont les partis qui s'imposent au peuple, aujourd'hui nous demandons que le peuple dirige et décide du mandat de ses gouvernants.
Modifié le jeudi 23 juin 2005
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