Tiers payant généralisé, dans quel but ?

Le 14 avril 2015, l’assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi de « modernisation de notre système de santé » qui prévoit notamment de généraliser le tiers payant à l’ensemble des patients d’ici le 30 novembre 2017. Le jeudi 21 janvier 2016, cette mesure phare du projet de loi Santé a été partiellement retoquée par le Conseil constitutionnel . Mais qu’en est-il exactement ?

Tiers payant généralisé, dans quel but ?

Décryptage d’une fausse bonne idée

Avant la décision du Conseil, la loi prévoyait que le patient ne devait plus rien payer à la consultation et ceci, quelle que soit sa situation, riche ou pauvre. Par la Carte Vitale, le praticien devait recevoir ses honoraires (23€) payés pour la part obligatoire par la Sécurité Sociale, et pour la part complémentaire par un assureur privé ou une mutuelle.

Après modifications, seuls les patients pris en charge à 100% par l'Assurance Maladie (maladies de longue durée, maternité...) pourront être dispensés de l'avance de frais, ce dès le 1er juillet 2016. A la fin de l'année 2016, le tiers payant deviendra un droit, pour tous ces patients, mais uniquement eux, soit 15 millions de Français, selon le ministère de la Santé.

Pour les autres patients, des changements sont intervenus, mais pas autant que prévu. Sur une consultation à 23€, 15,10€ sont remboursés par l'Assurance Maladie et 6,90 par l’organisme complémentaire. A partir du 30 novembre 2017, les patients n'auront plus à débourser les 15,10€, mais devront payer les 6,90€, correspondant à la part complémentaire.

Le motif invoqué pour justifier le tiers payant généralisé « permettre l’accès aux soins aux plus démunis » est un argument fallacieux. En effet, les dispositifs existants (Couverture Maladie Universelle, Couverture Maladie Universelle Complémentaire, Aide à la Complémentaire Santé) permettent déjà aux plus démunis de ne pas avancer les frais. Seul le montant des dépassements d’honoraires et la baisse du taux global de remboursement constituent un frein à l’accès aux soins. Le tiers payant généralisé, supercherie très subtile, a pour but ultime de privatiser l’Assurance Maladie en la transférant aux mutuelles et assureurs privés.

Quid des complémentaires- Santé ?

Avant cette mesure, le gouvernement a déjà permis de livrer aux mutuelles tout le marché de la santé en France. Depuis le 1er janvier 2016, toutes les entreprises doivent prendre en charge une complémentaire santé pour leurs salariés. Exception faite aux professions indépendantes ou aux retraités qui doivent toujours s’assurer eux-mêmes. Ainsi près de 95% de la population dispose d’une couverture complémentaire (auparavant le taux était à 78%). Grâce à ce deal entre le Patronat et l’Etat, l’ensemble des consommateurs de soins passent dans les mains des mutuelles et des assureurs privés.

Le tiers payant généralisé constitue l’avant dernière mesure pour opérer la privatisation de l’Assurance Maladie.

Transfert progressif des prestations maladie vers les assurances privées

La Mutualité française a fait du tiers payant son cheval de bataille au nom de l’accès aux soins.

Les 700 assureurs, banquiers, mutuelles concernés ont commencé à travailler sur le cahier des charges d’une plate-forme informatique commune pour mettre en place la dispense d’avance de frais chez les médecins.

L’Assurance Maladie et le gouvernement sont d’accord pour que les complémentaires santé disposent elles aussi d’un accès direct aux données du patient via le tiers payant. « Il va bien falloir », lâche un conseiller de Marisol Touraine au journal Libération du 9 avril 2015. « Il y a un changement très clair de l’attitude de la Caisse nationale d’Assurance Maladie : son directeur général, Nicolas Revel, est favorable à la collaboration entre régimes complémentaires et obligatoires », s’est félicité Etienne Caniard, président de la Mutualité française, lors d’une intervention devant l’Association des journalistes de l’information sociale.

L’Assurance Maladie serait prête à accepter que, par l’intermédiaire d’un serveur recensant les droits de tous les assurés, les médecins puissent voir grâce à la carte Vitale, l’affiliation du patient à un organisme complémentaire.

Les médecins, des « officiers de santé » ?

Depuis toujours nous dénonçons l'arrivée des mutuelles complémentaires et le lien direct qu'elles auront avec le médecin" avec la généralisation du tiers payant. "On peut craindre qu'elles exercent des pressions sur les médecins concernant leurs prescriptions et orientent les patients vers les structures qui les arrangent" s’indigne Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, premier syndicat des médecins libéraux

Jérôme Marty, président de l’UFML1 ajoute même « La loi de santé, suite logique à l’avenant 8 de l’accord national interprofessionnel et à la loi Leroux vient donc parachever un système où le médecin généraliste ne sera plus qu’un officier de santé orienté par les nécessités politiques, économiques, sanitaires, et plus graves encore soumis à l’influence économique de l’organisme financeur obligatoire ou complémentaire » .

De cette situation naîtra un conflit d’intérêt permanent entre la médecine dont relève le patient et la médecine guidée et imposée par les nouveaux maîtres du jeu

Le projet gouvernemental conforte le poids des assureurs privés. Or, la prépondérance de l’assurance privée sur certains soins est l’une des causes fondamentales des difficultés d’accès aux soins. Plus la part de l’assurance privée est forte plus les inégalités de recours aux soins sont grandes.

En ciblant uniquement les médecins généralistes, le gouvernement prend bien soin de ne pas s’attaquer aux dépassements d’honoraires des spécialistes, qui sont l’une des principales causes des difficultés d’accès aux soins.

Les médecins généralistes ont raison !

D’une médecine basée sur les dernières données acquises de la science et le code de déontologie, le médecin devra se plier à une médecine progressivement aux ordres et prescriptions guidés par les intérêts économiques du moment.

Jérôme Marty enfonce le clou en déclarant que « le patient sera dépendant d’une médecine où le secret médical n’existera plus, ses données médicales regroupées au sein du dossier national médical partagé, désormais aux mains du financeur, pourront être transférées sans son autorisation, accessibles à des non-soignants, pour d’autres utilisations que le soin » .

Le système d’une santé basée sur le niveau des revenus et la hauteur de son contrat de mutuelle ou d’assurance complémentaire sera alors en place. Le patient et le médecin ne seront plus que des variables du système, des éléments du marché.

La généralisation du tiers payant s’inscrit dans un contexte de réformes successives de l’Assurance Maladie obligatoire et d’une progression de l’assurance privée (Assurance Maladie Complémentaire). Le tiers payant cible la médecine de premier recours où la part que rembourse la Sécurité Sociale n’est plus que de 55% en moyenne. Les médecins craignent alors, à juste titre, que leurs pratiques et leurs prescriptions soient contrôlées par ces assureurs privés comme cela commence à être le cas pour les dentistes.

« PUMA », un tremplin vers l’Assurance Maladie privée

L’autre volet de la loi 2016, qui instaure la Protection Universelle MAladie (PUMA) réforme en profondeur le droit de la Sécurité Sociale. L’Assurance Maladie devrait désormais reposer, pour le service des indemnités journalières, sur une assurance sociale comme c'est le cas actuellement et, pour la prise en charge des frais de santé, sur une prestation universelle ne relevant plus des assurances sociales. Cette partie de la loi marque ainsi l'aboutissement du processus d’universalisation de la protection sociale maladie mais elle consacre également la rupture avec la conception sous laquelle elle a été constituée.

Et alors viendra l’enchaînement des coups conduisant à échec et mat, le gouvernement n’aura plus qu’à faire baisser progressivement la part de l’Assurance Maladie Obligatoire pour que l’Assurance Maladie soit privatisée. Puis celle-ci verra son rôle ramené à la prise en charge des maladies longues et coûteuses, des populations non rentables pour les mutuelles (ALD, CMU, retraités trop pauvres pour se payer une mutuelle, chômeurs...).

Les mutuelles complémentaires et les assurances se comportent déjà, dans la santé, comme des assureurs automobiles. Le système du tiers payant généralisé va développer ce comportement tourné vers le business.

Les fonds publics et les cotisations permettront alors aux assureurs de faire financer leurs frais de gestion par les sommes aujourd’hui destinées au salaire différé.

Dans le cadre d'une santé soutenue par des flux financiers, le risque repose sur l’incitation envers les médecins à soigner au moins cher pour avoir, en contrepartie, l’assurance d’être payé dans les meilleurs délais par l’organisme de base et la complémentaire.

Si les mutuelles complémentaires, les assurances, les banquiers pénètrent encore plus le circuit de la santé, le lien sera rompu avec le salaire différé que représentent les cotisations. La PUMA ne relève plus d’un droit obtenu grâce à une activité, même ancienne, ou sur une indemnisation temporaire d’un organisme social, mais sur l'assistance, la charité, basée sur un financement par l’impôt.

Créé à l’origine pour permettre à tous de se soigner, notre système de santé est aujourd’hui démembré pour s’inscrire dans une tout autre logique. Pour rester réellement solidaire, ce système doit rétablir un financement unique par les cotisations.

Nous l’avons déjà dit, nous le redisons, l’arrêt des exonérations en tout genre, le retour aux bases fondatrices, ancrées sur le financement par les cotisations, sont les seules voies pour garder une Sécurité Sociale de même niveau pour tous, dans les conditions de sa création.

Rémi Duteil,
2 février 2016

1 Union Française pour une Médecine Libre

Modifié le jeudi 04 février 2016
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