Dans la profondeur des cœurs ouvriers (1871-1898)

28 mai 1871 : la dernière barricade de la Commune de Paris tombe : 25 000 travailleurs parisiens seront massacrés par les forces de répression, les cadavres seront brûlés, 38 500 arrestations seront opérées, 13 700 seront condamnés à des peines allant jusqu’à 90 années de prison, 3 000 mourront dans les prisons ou le bagne. Une période de réaction s’ouvre dont les travailleurs vont peu à peu desserrer l’étau.

Edouard Dolléans 1 écrit : « En l'absence même des militants traqués et en dépit d'une police aux aguets, bon nombre d'ouvriers conservent une espèce de croyance, de religion politique, dont la crainte est impuissante à les guérir. Ces sentiments attendront les années 1880 pour se manifester ouvertement; mais, dès les lendemains de la Commune, ils existent dans la profondeur des cœurs ouvriers » 2 .

1880-1890 : la réapparition des syndicats

La France, qui dans la décennie 1870 n’avait connu que 841 grèves, en affronte dans les années 1880 plus de 1800. Ces grèves sont aussi plus longues et plus massives : 14 jours de durée et 400 à 500 grévistes en moyenne dans la décennie 80 contre 9 jours et 200 grévistes dans la décennie précédente. À partir de 1880, plus de 50 % des grèves sont organisées, les syndicats y jouent un rôle grandissant. En France, par exemple, à partir de 1887, les syndicats se manifestent dans 30 à 40 % des conflits contre 10 à 15 % entre 1871 et 1877, et quand bien même ils ne les organisent pas, ils en sont très souvent à l’origine.

Rapidement en France, la grève et les manifestations deviennent des vecteurs d’expression courants de la classe ouvrière. Les revendications sont généralement liées aux salaires, à la durée du travail, aux indemnités pour les victimes d’accidents du travail ou même au chômage.

« Ne comptons que sur nous-mêmes »

Le 1er mai 1891, à Carmaux, un appel est lancé :

« Debout Travailleurs ! À partir de ce moment ne comptons que sur nous-mêmes pour la conquête de nos revendications ».

En 1892, en congrès à St Etienne, les bourses du travail se fondent comme mouvement national. Elles voient deux raisons de se fédérer : pour se défendre et pour organiser l'autonomie du mouvement ouvrier. Les Bourses prennent en charge le placement professionnel, l'organisation d'une caisse de secours pour les ouvriers, les caisses de chômage, l'enseignement.

Les ouvriers s’organisent par corporation

L’envergure du mouvement corporatif, issu du compagnonnage, et la multiplication des grèves vont amener les gouvernements à surveiller les sources de contestations organisées dans certaines sociétés de secours mutuels.

Elles sont toutes constituées par corporation (métiers) et jouent de plus en plus le rôle des syndicats interdits jusqu’en 1884.

Malgré des différences fortes, mutualisme et syndicalisme présentent des racines communes et se rendent rapidement compte qu’il faut dépasser la notion de métier et de corporation. Ils vont travailler à créer des rapports entre les différentes corporations.

Amorces du Code du Travail

1892 : création de l’Inspection du Travail

La première loi limitant le travail des enfants dans les manufactures est adoptée. Elle est à l’origine en 1892 de la création d’un corps d’inspecteurs du travail pour contrôler l’application des premiers règlements relatifs à l’hygiène et la sécurité du travail.

1893 : loi sur l’assistance médicale gratuite

Il faut attendre la loi de novembre 1892 pour que la journée de travail soit fixée à 12 heures pour les hommes et à 10 pour les enfants. Dans de telles conditions, les caisses de secours mutuels sont indispensables à la survie ouvrière. Elles défendent pied à pied leur autonomie. En 1893, une première loi sur l’assistance médicale gratuite est votée. Dans la foulée suivent les premiers régimes d’assurances sociales : dans les mines en 1894, aux chemins de fer en 1909.

1895 : naissance de la CGT

1898 : la charte de la mutualité (loi du 1 er avril 1898)

Avec sa charte, la mutualité va s’inspirer de la forme d’organisation syndicale. Les mutuelles vont se regrouper nationalement et inter-professionnellement. C’est le dépassement de la lutte purement corporative au profit d’un regroupement des différents corps de métiers afin d’être plus efficace. La classe ouvrière voit qu’elle peut ainsi mieux se protéger… en se constituant en classe séparée du Capital.

1898 : loi sur les accidents du travail

En 1898, une nouvelle loi précise l’aide de l’État aux sociétés de secours mutuels. Le 9 avril, le Parlement adopte un texte sur les accidents du travail. Pour la première fois, l’employeur est responsable. Il doit payer les frais médicaux à l’ouvrier blessé et en cas d’invalidité, il doit verser une indemnité allant de 33 à 50% du salaire.

Remi Duteil,
28-05-2016

Dans notre prochain numéro : retraites par capitalisation ou par répartition.

1. Édouard Dolléans (1877-1954) était un historien du mouvement ouvrier. Il a notamment collaboré à la Revue d'économie politique et écrit une histoire du mouvement ouvrier, en trois volumes, qui couvre la période de 1830 à 1953. Fondateur de l'Institut français d'histoire sociale.

2. Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier (1871-1936) : tome II - librairie ArmandColin .

http://classiques.uqac.ca/classiques/dolleans_edouard/hist_mouv_ouvrier_2/hist_mouv_ouvr_2.html

Modifié le dimanche 05 juin 2016
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