Michel Floquet : « Triste Amérique »

Michel Floquet, grand reporter, correspondant de TF1 à Washington de 2011 à 2016, trace dans son ouvrage Triste Amérique, le vrai visage des États-Unis (Paris, Editions des Arènes, 2016, 233 p.) un portrait au vitriol du capitalisme étasunien. Après cinq ans à parcourir les USA, frappé par le degré de violence, économique et sociale, les inégalités sociales (50 millions de pauvres), il livre son incompréhension face au choix systématique de l’argent et de l’intérêt particulier contre le bien public. La charge est d’autant plus forte que M. Floquet n’est pas marxiste et qu’il avoue avoir eu la fascination de M. Tout-le-Monde pour ce pays, ce « mystère familier », cette référence absolue dès qu’il s’agit de parler de liberté, de musique, de modernité, de démocratie…

Michel Floquet : « Triste Amérique »

Il faut citer les dernières lignes du prologue pour saisir la justesse du postulat de départ de la réflexion de Michel Floquet : « L’Amérique avait pourtant tout pour elle. Un continent vierge, des ressources naturelles inestimables. Les colons ne se sont pas embarrassés de précautions. Ils ont mis le pays en coupe réglée, importé une main d’œuvre gratuite, les esclaves, et éliminé, à l’issue d’un génocide, les autochtones. Sur ces trois crimes, ils ont bâti le pays le plus riche du monde, c’est bien le moins. Mais ils n’ont pas su faire du Nouveau Monde un monde nouveau. L’illusion a longtemps fonctionné . »

Rédigé avant l’élection de Donald Trump, l’ouvrage détaille dans de courts chapitres explicites, grâce à plusieurs exemples concrets et des statistiques toujours percutantes, les multiples facettes du capitalisme US. Le premier chapitre intitulé « Au bonheur des riches » démontre chiffres à l’appui l’explosion des inégalités qui, si elle s’est amorcée à la fin des années 70, a connu son apogée durant et après la crise financière de 2008 : « En 2012, les 90 % d’Américains les moins riches se partageaient 23 % de la richesse nationale, contre 35 % en 1980… On pourrait multiplier les chiffres à l’infini. Un indicateur parle plus que tout autre. Selon l’Economic Policy Institute, dans les années 1960, un patron gagnait environ vingt fois plus que ses salariés. Trente fois plus au début des années 1980. Aujourd’hui, le même patron touche trois cents fois ce que gagnent ses employés. » Et l’auteur de préciser que cet enrichissement exponentiel a été permis par le pouvoir politique qui a permis aux riches, petit à petit, de sortir de l’impôt : il cite l’exemple du milliardaire Mitt Romney, candidat à la présidentielle de 2012 ayant dû avouer son « taux d’imposition de 15 % quand sa secrétaire était taxée, elle, à plus de 20 %.… ». Les chapitres suivants stigmatisent tous les travers de l’ « american way of capitalism » : l’exploitation féroce des ressources naturelles, de l’extinction des daims et des bisons aux ravages de l’extraction du gaz de schiste ; l’extermination des peuples indiens ; la ségrégation raciale, sociale, sexuelle, résidentielle ; les travailleurs pauvres qui dorment dans leurs voitures, les retraités pauvres et malades expulsés de leurs maisons…

Si certains chapitres abordent des sujets connus (la prolifération des armes à feu, les prisons, la police, l’espionnage généralisé, la religion, le financement des campagnes électorales), d’autres le sont bien moins comme celui sur l’économie de guerre, en particulier pendant les années Obama : « L’Amérique consacre la moitié de son budget à son armée. Pour 2016, plus de 600 milliards de dollars. En hausse de 4,5 % par rapport à 2015 ... A un tel niveau de dépenses, l’armée n’est plus une composante de la nation parmi d’autres. Elle écrase tout. C’est le budget militaire d’un pays en guerre. Un pays qui n’a aucun ennemi à ses frontières, qui n’a jamais été envahi, mais qui s’est structuré pour la guerre permanente et préventive … Barack Obama est souvent dépeint par ses adversaires politiques comme un reluctant warrior , un guerrier réticent si l’on peut dire … Mais ce n’est pas un pacifiste pour autant … Tout d’abord, Obama, contrairement à ses engagements de campagne, ne change rien à la sous-traitance de la guerre à des entreprises … Barack Obama va plus loin. Il revisite la théorie de la guerre zéro mort inventée par George Bush père pour la guerre du Golfe en 1991. Le meilleur moyen de ne pas avoir de morts, c’est encore de ne pas envoyer de soldats. Obama va utiliser les drones comme personne avant lui. Sur 500 attaques de drones ordonnées depuis le 11-Septembre, 450 l’ont été par Obama ».

Dans les chapitres conclusifs, l’auteur met face à face les illusions des électeurs américains : ceux qui ont voté Obama, qui espéraient le changement pour les minorités, la justice sociale, la fin de Guatanamo, la paix dans le monde et pour lesquels il conclut : « huit années ont passé et il faut bien se rendre à l’évidence : le rêve ne s’est pas réalisé » ; ceux qui voteront Trump parce qu’il incarne «le rêve américain ressuscité ».

Le livre de Michel Floquet, loin des rêves floués par les politiciens, nous permet en revanche d’approcher le vrai visage, déjà cauchemardesque, des États-Unis et du capitalisme en 2016, juste avant la victoire de Trump.

Isabelle Foucher,
07-01-2017

Modifié le lundi 09 janvier 2017
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