Mourir pour Lampedusa

La migration organisée ou non laisse au travers de l'histoire une trace indélébile d'exploitation, de privation, de misère et de mort. L’État français, mais aussi toutes les puissances économiques, a depuis la fin du 18 siècle, profité à son gré d'une population en souffrance afin de faire fructifier les dividendes des entreprises et des bourgeois. Maniant le froid et le chaud, les gouvernements ont mis au service du capitalisme une main d’œuvre corvéable à merci. Analyse.

Ouvrant ses portes quand les besoins du capital étaient en jeu comme  la révolution industrielle, les boucheries organisées de la première et deuxième guerre mondiale. Maniant la répression quand les immigrés s'organisent face à leur exploitation. Votant des lois scélérates quand il était à la mode de se débarrasser de ces indigènes. Baissant l'échine devant les organisations xénophobes, afin de garder les rênes du pouvoir. Fomentant des guerres qui poussent les populations à fuir les combats et la misère et finalement mourir en pleine mer dans l'indifférence généralisée.

Quand l'histoire explique le présent

Il semble que l'on ne peut parler d'immigration en France qu'à partir de la fin du dix-neuvième siècle ou au début du vingtième siècle. La mise en place par l’État d'une politique d'immigration volontariste commence avec la Première Guerre Mondiale.
L'histoire de l'immigration peut être divisée en trois vagues d'immigration successives : la première vague coïncide avec l'afflux de main-d’œuvre lors de la révolution industrielle. La deuxième vague et la troisième correspondent au besoin de main-d’œuvre pour la  reconstruction de la France après la première et la deuxième guerre mondiale.
Le ralentissement de la croissance démographique depuis le dix-huitième  siècle et un nouveau besoin de main- d’œuvre vont encourager l'appel à l'immigration. C'est la première vague d'immigration en France. Suivant les régions ce sont d'abord les Belges et les Piémontais, puis suivent les italiens. A partir de 1851, l’État intègre des données concernant la nationalité et le lieu de naissance. L'administration recense alors 380,000 étrangers, dont 63,000 italiens. Ils sont 330,000 au tournant du siècle. En 1911, la population parisienne est représentée par 200,000 étrangers soit 7 % de sa population. Dès le XIX siècle, l'immigration venant des colonies commence également. Les immigrés d'Afrique du Nord sont quelques centaines vers 1895.

Chair à canon

La deuxième vague d'immigration couvre la période allant de la fin de la première guerre mondiale à la veille de la seconde. Pour soutenir «l 'effort» de guerre, la France fait venir 600,000 hommes, qui vont pour une part fournir la chair à canon et d'autre part comme travailleurs à l'arrière (souvent pour des travaux dangereux comme dans la Société nationale des poudres et explosifs). En 1931, on dénombre 2,890,000 étrangers en France, soit 5,5  % de la population totale. Les premières naturalisations se situent entre 1921 et 1939, soit près d'un million. En 1917 est instituée une carte de séjour. Toutefois cette population immigrée est jugée pour une part comme «dangereuse », la Préfecture de Paris crée en 1925 le Service des affaires indigènes nord-africaines (déjà) à l'initiative du conseiller municipal Pierre Godin, un ancien administrateur colonial. La surveillance de ces dangereux immigrés est donc confiée à d'anciens personnels de l'administration coloniale.

100 ans de lois et mesures anti-immigrés

L’État délègue en grande partie la gestion des populations migrantes aux organisations patronales, en particulier à la Société générale d'immigration, fondée en 1924 et constituée par les organismes patronaux spécialisés. Dans les années 1920, les patrons des usines organisent, par exemple, les trains faisant venir les Polonais en France par milliers. Cette pratique a duré jusqu'en 1970 lorsque le gouvernement décide la fermeture des frontières.
Pendant les années 20, des textes législatifs limitent les droits des étrangers, une aide au rapatriement des ouvriers volontaires est organisée en 1934, tandis qu'en 1935, des retours forcés sont organisés concernant en particulier les Polonais.  En 1939, le gouvernement fait venir de gré ou de force 20,000 ouvriers indochinois, ils travailleront en Camargue pour développer la riziculture.
La troisième vague d'immigration commence à partir de la deuxième guerre mondiale et est caractérisée par une immigration de regroupement familial. Cette politique est sous-tendue par l'ordonnance du 2 novembre 1945. L'immigration est alors vue d'une façon ambiguë  : durable, familiale et de travail durable en théorie. L'administration interrompt l'installation des travailleurs étrangers en juillet 1974, puis tente entre 1978 et 1980, sans succès, le retour forcé des travailleurs nord-africains vers l'Algérie.
Après avoir favorisé l'immigration durant les Trente Glorieuses, afin de satisfaire au besoin du patronat, la crise économique des années 1970  pousse l’État à mettre en place un contrôle des flux migratoires. Ainsi les circulaires Marcellin-Fontanet lient l'attribution d'une carte de séjour à la possession d'un permis de travail et limitent les régularisations. Celles-ci plongent 83 % des travailleurs immigrés dans l'illégalité.

Travailleurs sans papiers

Dés son élection, Mitterrand institue par l'article 5 dans la loi du 29 octobre 1981 les « centres de rétention administrative » autrement dit les camps de rétention avant expulsion. En 1986, le ministre de l'intérieur, le non regretté Charles Pasqua,  fait adopter par le Parlement une loi relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, qui restreint l'accès à la carte de résident et facilite les expulsions des étrangers en situation irrégulière. Michel Rocard déclare en 1990  : «C'est  pourquoi je pense que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, que la France doit rester ce qu'elle est, une terre d'asile politique (,,,,) mais pas plus». Edith Cresson inaugure la mise en place de charters collectifs pour les expulsions d'étrangers en situation jugée irrégulière. Au gré des gouvernements qui passent, le statut d'immigré est en perpétuelle évolution, mais les réponses sont toujours les mêmes  : la matraque et l'expulsion. De Calais aux campements de Paris, la chasse est ouverte.

Quand les fauteurs de guerre portent la responsabilité de milliers de morts

Les conflits générés par les USA et ses partenaires sont la source actuelle d'une immigration sans précédent des populations d'Irak, de Syrie, d'Afrique. Pour fuir la guerre et la faim, il n'y a d'autre solution que de passer entre les mains de «passeurs» qui organisent la fuite sur des navires de fortune. Le drame des 800 immigrés morts en méditerranée a réveillé quelques consciences alors qu'entre 1980 et 2013 on estime au bas mot la disparition de 19 114 victimes dont 8 479 en mer et 3 400 pour la seule année 2014 L'Europe s'interroge sur quoi faire de ceux et celles qui arrivent en vie sur les côtes européennes. Les pays européens ne répondent pas de la même façon aux demandes d'asile  : «des quatre pays d'Europe ayant reçu le plus grand nombre de demandes d'asile en 2014, la France est celui y accédant le moins avec 21,7  % de réponses positives. En comparaison, l'Allemagne a rendu 41,7  % réponses positives en 2014 ; l'Italie 58,5  % de réponses positives et la Suède 7,608  %». C'est dans ce contexte que Claude Junker, dans un souci d'harmonisation des états membres, sort de son chapeau la sempiternelle formule des quotas. Ce petit monsieur voudrait faire en sorte que David Cameron ou le très fasciste hongrois Viktor Orban se retrouvent sur la même longueur d'onde  que les autres pays européens. Foutaise, car aucun de ces pays ne respecte le droit d'asile, régi par la Convention de Genève. Tout ce petit monde s'organise pour ne pas respecter la convention qui dit  : « l'asile est accordé individuellement à une personne persécutée ou en danger, en fonction de sa situation et qui ne peut e prévaloir de la protection de son pays « Alors comment peut-on envisager des quotas si l'on ne respecte le droit défini par la convention. Et le chiffre annoncé de 20 000 migrants est ridicule au regard de la réalité de ces hommes et femmes qui choisissent de braver la mort pour fuir les persécutions, la faim et la misère. D'ailleurs l'Europe n'est pas la seule à connaître ce phénomène, les milliers de réfugiés se heurtant aux portes de l'Afrique du Sud ou le drame des réfugiés sud-asiatiques fuyant la Birmanie.

L'hypocrisie comme politique

La politique du très droitier Manuel Valls se veut de démontrer sa capacité à faire régner l'Ordre Public.  Sur fond de campagne électorale, la surenchère avec la droite et l'extrême-droite, la politique menée contre les immigrés fait glisser doucement mais sûrement la France dans la catégorie des régimes totalitaires. Mais cet état de fait ne doit pas nous faire oublier que la main d’œuvre clandestine est une manne pour les capitalistes qui disposent à volonté, situation irrégulière aidant, de travailleurs surexploités qui  permet une baisse non négligeable des coûts du travail.

Nous devons imposer le droit pour tous les migrants de pouvoir choisir librement le lieu où ils peuvent vivre. Nous devons imposer le respect par les organisations ouvrières de la Convention de Genève. Nous devons faire stopper toutes les violences faites aux immigrés et combattre la propagande xénophobe qui aujourd'hui traverse le continent européen. Nous devons exiger l'abrogation de toutes ces législations anti-immigrés.Le prolétariat n'a qu'un ennemi, le capitalisme.

Francis Charpentier
7 juillet 2015

Modifié le jeudi 09 juillet 2015
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