Victoire de la bureaucratie et défaites révolutionnaires. 1926-1928

La politique extérieure est, en général, la continuation de la politique intérieure. La politique intérieure de la jeunesse soviétique se fonde sur « la construction du socialisme dans un seul pays », laquelle implique « la coexistence pacifique » avec le monde capitaliste. La « construction du socialisme » commence, selon le mot de Boukharine, « à pas de tortue ». Ainsi se réunissent les conditions de la victoire de la bureaucratie…

Grigori ZinovievGrigori Zinoviev

En 1928, la bureaucratie compte 4 millions de « fonctionnaires » (sous le tsar : 600 000) Cette véritable « excroissance purulente » (selon l’expression de Trotsky) s’est greffée sur une situation objectivement épouvantable en 1921, lorsque la guerre civile s’est calmée :

- Entre 1914 et 1921 : 13,5 millions de morts dont 7 millions de la famine ;

- En 1921 : la production industrielle a chuté à 20% de son niveau d’avant 1914 et pour l’acier à 2,4% ;

- Entre 1919 et 1921, sous les coups de la guerre des armées blanches et des interventions militaires directes ou indirectes des grandes puissances, le nombre d’ouvriers d’industrie chute de 3 millions à 500 000 travailleurs puis, en 1921, « remonte » à 1,5 millions.

Alliances contre nature à l’intérieur

Pour stopper l’hémorragie, les bolcheviks avaient donc eu recours à la NEP, permettant la renaissance d’une économie de marché, de façon temporaire, les secteurs clés demeurant propriété de l’Etat, l’Etat détenant le monopole du commerce extérieur. Apparurent alors les Nepmen (gros commerçants et intermédiaires) aux côtés des Koulaks (paysans aisés). Dans notre exposé précédent, nous avons vu que Staline et Boukharine, placés avec Zinoviev à la tête du parti et de l’Etat, avaient scellé l’alliance entre Koulak-Nepmen et bureaucratie montante. En 1927, l’opposition de gauche menée par Trotsky puis l’opposition unifiée avec Zinoviev fut vaincue par les pires méthodes bureaucratiques. Zinoviev capitula.

Cela n’alla pas sans répercussions internationales. L’Internationale communiste était devenue un instrument de la fraction stalinienne. Cette fraction stalinienne était alors d’autant mieux organisée qu’elle était secrète, elle représentait directement les intérêts de la bureaucratie. C’est cette fraction qui dicta la politique à suivre dans tous les autres pays du monde. Cette politique « externe » trouva son expression la plus achevée en Chine et en Angleterre.

Alliances contre nature à l’extérieur

En Chine, Staline ordonna l’alignement des communistes sur le Kuo Ming Tang (KMT), mouvement nationaliste bourgeois en lutte contre « les seigneurs de la guerre », faction féodale à la solde des grandes puissances impérialistes.

En Angleterre, Staline s’accorda avec les dirigeants des TUC (Trade union congress, syndicats britanniques) dans le dos des travailleurs.

Les conséquences de ces « manœuvres » furent terribles.

En Chine, le KMT – après avoir accepté l’aide économique et matérielle de l’URSS – se retourna contre les communistes, les ouvriers et les paysans pauvres et les écrasèrent de façon barbare.

En Angleterre, après avoir joué la comédie du « comité anglo-russe », les chefs syndicaux entravèrent le mouvement vers la grève générale. Les grèves furent violemment réprimées et défaites.

Staline, organisateur de défaites

Ainsi la direction stalinienne était devenue un organisateur de défaites, au prix de l’isolement de l’URSS. A ce moment-là, Trotsky ne parlera pas encore de trahison au compte de l’impérialisme. Mais ces errements ne sont pas comparables aux erreurs qui avaient provoqué le grand fiasco de l’insurrection en octobre 1923 en Allemagne. Le stalinisme en voie de cristallisation se présente désormais, selon Trotsky, comme un « système d’erreurs », remplaçant la stratégie révolutionnaire par une série de manœuvres sans aucune visée à long terme. Et pour cause, la seule fin est alors « le socialisme dans un seul pays » coexistant avec les rapaces impérialistes

Un système d’erreurs

Ce système d’erreurs rompt avec la position défendue par Lénine devant le second congrès de l’Internationale communiste (1922) : « L'Internationale Communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire ».

L’unité avec le KMT en Chine face à l’impérialisme et ses séides était indispensable, à la condition expresse que le parti communiste et la classe ouvrière puissent garder leur totale indépendance. Au lieu de quoi, Staline inventa la théorie du « bloc des 4 classes » en Chine (ouvriers, paysans, petite bourgeoisie, bourgeoisie nationale) pour imposer l’alignement complet des communistes chinois sur ses dirigeants et leurs desseins propres.


Daniel Petri,
5 mars 2017


Sources :

- cahier GER n°6 « Le stalinisme - Dégénérescence de l'URSS et de l'Internationale communiste » (organisation communiste internationaliste –années 1970)
- Thèses et additions sur les questions nationales et coloniales, II° Congrès de l'I.C., Juillet 1920 https://www.marxists.org/francais/inter_com/1920/ic2_19200700f.htm
- L’Internationale communiste après Lénine – Léon Trotsky https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical.html

Modifié le dimanche 12 mars 2017
Voir aussi dans la catégorie Histoire
La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 5La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 5

L'année 1971 se clot dans une perspective nouvelle pour la condition des femmes et particulièrement pour le droit à l'avortement : les nombreuses actions et expressions parues dans la presse ont...

La bataille pour la légalisation de l'avortement en France (suite)La bataille pour la légalisation de l'avortement en France (suite)

Après les constats accablants des dégâts dus aux avortements clandestins, et alors que la loi sur la prophylaxie des naissances, dite loi Neuwirth 1, vient d'être votée, la fin des années 60 et...

Marxisme économie – 2 : Retour sur quelques idées reçuesMarxisme économie – 2 : Retour sur quelques idées reçues

Nous poursuivons ici notre exposé sur l’économie et le marxisme. L’économie, comme nous l’avons précédemment montré, est basée sur le travail humain. Le travail est, initialement, la...

Simone de BeauvoirUne histoire du ventre des femmes au XXe siècle : la bataille pour la légalisation de l'avortement

Episode 3 Au lendemain de la seconde guerre mondiale, aucune amélioration de la situation précédemment décrite dans laquelle sont laissées les femmes (et les hommes) ne désirant pas d'enfant ne...

La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 2La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 2

Revenons sur la question essentielle à l'origine de l'hécatombe qui a été décrit dans le premier épisode. Sous l'Ancien Régime, et même en remontant jusqu'à l'Antiquité, les méthodes et...

Pour comprendre la révolution d’Octobre 1917Pour comprendre la révolution d’Octobre 1917

Bien des idées reçues circulent à propos de la révolution d’octobre 1917. Ceux qui haïssent la révolution « comme le pêché » ont mille et une manières de la dénigrer, n’hésitant pas...



HAUT