« Si Lénine était vivant, il serait en prison »

« Si Lénine était vivant, il serait en prison », confiait Nadejda Kroupskaya, sa compagne, en 1926. En effet, deux ans après la mort de Lénine, la révolution est défigurée. Zinoviev et Kamenev, alliés à Staline, rompent avec lui et se rapprochent de l’Opposition de gauche pour laquelle milite Trotsky. En URSS, l’heure est au « socialisme dans un seul pays » et « à pas de tortue ». Le parti est subordonné à l’appareil, l’appareil est subordonné à son secrétaire général, Staline. Le stalinisme est en voie de cristallisation et fait main basse sur l’Internationale et ses partis.

Boukharine et ZinovievBoukharine et Zinoviev

En octobre 1923, la révolution était immédiatement à l’ordre du jour en Allemagne et s’est terminée par un fiasco. Staline, rompu à l’art de la duplicité, conseillait de « retenir et non stimuler les camarades allemands » bien qu’il leur donna publiquement ses encouragements. Il disait alors craindre que la révolution n’embraye sur la guerre avec la Pologne, en représailles.

Le 21 janvier 1924, Lénine rend son dernier souffle de vie.

Le socialisme dans un seul pays

En décembre 1924, Staline affirme possible « l’édification du socialisme dans un seul pays », reniant ce qu’il avait écrit lui-même quelques mois plus tôt. Ce soi-disant apport doctrinal servira de justification idéologique à toute sa politique. L’URSS est bombardée « patrie du socialisme », à laquelle sont subordonnés les intérêts des travailleurs des autres pays, au nom du vieil adage « ne pas lâcher la proie pour l’ombre » et en expliquant que l’URSS est un point d’appui pour les travailleurs du monde entier. Ce qui est vrai, tant que l’URSS se situe sur le terrain du développement de la lutte de classes mondiale et cesse de l’être quand elle devient l’instrument entre les mains d’une bureaucratie aristocratique.

L’article de foi de Staline

Nous ne reviendrons pas ici sur le premier développement de la lutte contre le trotskysme qui unit la « troïka » Staline-Zinoviev-Boukharine et dont l’axe idéologique est la dénonciation de la théorie de la révolution permanente que défend et approfondit Trotsky. La révolution permanente, c’est – nous dit Staline « la désespérance permanente » et « l’absence de foi dans les possibilités révolutionnaires du mouvement paysan » et « dans les forces et les capacités du prolétariat de Russie ». L’angle d’attaque de Staline est incontestablement habile car il lui permet d’attirer vers lui une grande partie des militants et cadres du parti démoralisés par les échecs successifs de la révolution dans les autres pays : Hongrie, Italie, Allemagne et échec des grèves de 1920 en France. De cette façon, Staline promet stabilité et tranquillité à tous les apparatchiks et aux nombreux militants et soldats qui s’étaient dépensés sans compter de 1917 à 1922. De cette façon, il « encadre » les désillusions qu’il remplace par la foi dans un utopique socialisme national autarcique. Utopique, le socialisme dans un seul pays l’est dans la seule mesure où le capitalisme a unifié le monde en un seul marché et rendu tous les pays dépendants les uns des autres. Or, c’est sur ce constat que se fonde la théorie de la révolution permanente.

Un Staline « à visage humain »

Au mieux, la théorie du socialisme dans un seul pays est de la poudre aux yeux, à l’ombre de laquelle, tout en pourfendant le « fractionnisme » supposé de ses adversaires dans le parti, Staline construit sa propre fraction, non seulement contre Trotsky mais aussi contre ses alliés du moment : Zinoviev et Boukharine. Sachant temporiser, il se paie le luxe – en janvier 1925 - de s’opposer à la proposition de Zinoviev de démettre Trotsky de ses plus hautes responsabilités. Ce ne sont pas les scrupules démocratiques qui l’étouffent mais le sentiment que cette mesure est prématurée compte-tenu du prestige dont jouit encore Trotsky dans le parti, dans le pays et dans l’Internationale. Il persiste à soigner un profil démocratique, humble, ouvert tout au long de l’année 1925, autant pour endormir son monde que pour répondre aux aspirations de la bureaucratie montante, lui donnant au travers de son clan, une colonne vertébrale et ainsi même le moyen de se cristalliser comme force sociale dominante. Et, pour discipliner la bureaucratie sous sa férule, il saura faire jouer la colère des ouvriers contre les « nantis ».

« Un arbitre sûr »

Staline n’était cependant pas prédestiné à devenir ce qu’il deviendra par la suite. Trotsky devait écrire : « Il serait naïf de croire que Staline, inconnu des masses, sortit tout à coup des coulisses armé d'un plan stratégique tout fait. Non. Avant qu'il n'ait lui-même entrevu sa voie, la bureaucratie l'avait choisi. Il lui donnait toutes les garanties désirables (...). Staline fut au début surpris lui-même par son succès. C'était l'approbation unanime d'une nouvelle couche dirigeante qui cherchait à s'affranchir des vieux principes comme du contrôle des masses et qui avait besoin d'un arbitre sûr » 1

A Suivre

Daniel Petri,
30-12-2016

Sources : STALINE – Jean Jacques Marie – Fayard 2001.

1. Trotsky « Pourquoi Staline a-t-il vaincu » - La Révolution trahie - 1936 –https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revtrahie/frodcp5.htm

Modifié le samedi 07 janvier 2017
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