Pour comprendre la révolution d’Octobre 1917

Bien des idées reçues circulent à propos de la révolution d’octobre 1917. Ceux qui haïssent la révolution « comme le pêché » ont mille et une manières de la dénigrer, n’hésitant pas à dépeindre Lénine comme un monstre froid, assoiffé de pouvoir et de sang, quasiment psychopathe. D’autres critiques sont plus en demi-teinte mais, le plus souvent, les journées des 24/25 octobre (6/7 novembre dans notre calendrier) se ramènent à un coup d’État ourdi de longue date par Lénine qui aurait en quelque sorte « tout prévu ». Essayons donc d’y voir plus clair.

Pour comprendre la révolution d’Octobre 1917

En décembre 1916, à Zurich, Lénine indiquait : « je ne verrai pas probablement pas la révolution de mon vivant ». Il était résolument convaincu que la guerre impérialiste mondiale engendrerait des révolutions, mais sans prévoir que la révolution russe serait la première de ces révolutions. Et encore moins sous la forme qu’elle a prise.

« Des combinaisons si inattendues et si originales »

Fin mars 1917, il écrivait :

« Comment a pu se produire ce «miracle» qu'en 8 jours seulement - laps de temps indiqué par M. Milioukov dans le télégramme fanfaron qu'il a adressé à tous les représentants de la Russie à l'étranger - se soit effondrée une monarchie qui durait depuis des siècles et s'était maintenue contre vents et marées pendant les trois années de grandes batailles de classe livrées par l'ensemble du peuple entre 1905 et 1907 ?

Ni la nature ni l'histoire ne connaissent de miracles ; mais chaque tournant brusque de l'histoire, et notamment chaque révolution, offre une telle richesse de contenu, met en jeu des combinaisons si inattendues et si originales de formes de lutte et de rapports entre les forces en présence que, pour un esprit vulgaire, bien des choses doivent paraître miraculeuses.

Il a fallu, pour que la monarchie tsariste pût s'effondrer en quelques jours, le concours de tout un ensemble de conditions d'une portée historique mondiale . » 1

Le maillon le plus faible de la chaîne impérialiste

Il écrira ensuite : «Il est tout naturel que la crise révolutionnaire ait éclaté plus tôt qu'ailleurs dans la Russie tsariste, où la désorganisation était la plus monstrueuse et le prolétariat le plus révolutionnaire (non par ses qualités particulières, mais par les traditions vivantes de l'année 1905). Cette crise a été accélérée par une série de défaites écrasantes, infligées à la Russie et à ses alliés. Ces défaites ont ébranlé tout l'ancien mécanisme gouvernemental et tout l'ancien régime : elles ont dressé contre lui toutes les classes de la population, exaspéré l'armée, exterminé en grande partie l'ancien corps des officiers, issu d'une noblesse fossile ou d'une bureaucratie particulièrement pourrie, pour le remplacer par des éléments jeunes, frais, surtout bourgeois, roturiers, petits-bourgeois . » 2

Dès lors, il comprend que la Russie est « le maillon le plus faible de la chaîne impérialiste ».

Révolution : passage du pouvoir d’une classe à une autre

Il notera : « Avant la révolution de février-mars 1917, tout le pouvoir appartenait en Russie à une vieille classe : la noblesse foncière féodale ayant à sa tête Nicolas Romanov.

Depuis cette révolution, le pouvoir appartient à une autre classe, à une classe nouvelle : la bourgeoisie. Le passage du pouvoir d'une classe à une autre est le caractère premier, principal, fondamental, d'une révolution , tant au sens strictement scientifique qu'au sens politique et pratique du mot. » 3

Dès lors, il considère que la révolution ouvrière est à l’ordre du jour. La raison en est simple : le gouvernement issu de « Février » est incapable de réaliser les principales tâches démocratiques : la Paix, la convocation d’une Assemblée constituante, la réforme agraire. Il appelle ses camarades non à « déclencher » cette seconde étape révolutionnaire mais à s’y préparer. Et pour bien faire, le parti bolchevique doit chercher à gagner la majorité dans les soviets.

Le gouvernement de « Février » renonce aux tâches démocratiques

Le gouvernement ne veut pas la paix, à aucun prix. Il ne veut pas donner la Terre « à ceux qui la travaillent », les paysans. Ouvriers, paysans et soldats vont, dès lors, se tourner vers le parti qui a inscrit sur son drapeau : le Pain, la Terre, la Paix. Il est très important de souligner que ce sont ces masses affamées et anti-guerre qui ont aiguillonné le parti bolchevique et non l’inverse.

Il convient de rappeler qu’avant de chercher à prendre le pouvoir, les bolcheviks ont milité pour « tout le pouvoir au soviets », seule forme de démocratie vivante et exigé un gouvernement, « sans ministres capitalistes », des seuls partis mencheviks et socialistes-révolutionnaires, alors majoritaires dans les soviets.

La voie pacifique de développement de la révolution

En juillet 1917, après les événements qui ont abouti à la répression sanglante des journées de juillet, Lénine rappelait :

« Le pouvoir était alors en équilibre instable. Le Gouvernement provisoire et les Soviets se le partageaient par un accord librement consenti. Les Soviets étaient formés par les délégués de la masse des ouvriers et des soldats libres, c'est-à-dire ne subissant aucune contrainte extérieure, et armés. Les armes entre les mains du peuple, l'absence de toute contrainte extérieure pesant sur le peuple, tel était le fond des choses. Voilà ce qui permettait et assurait le développement pacifique de toute la révolution. Le mot d'ordre : «Tout le pouvoir aux Soviets», était le mot d'ordre de l'étape immédiate, du tout premier pas à réaliser dans cette voie pacifique de développement. C'était le mot d'ordre du développement pacifique de la révolution, possible, et, naturellement, souhaitable, du 27 février au 4 juillet, et qui est devenu maintenant absolument impossible.

Tout porte à croire que les partisans du mot d'ordre «Tout le pouvoir aux Soviets» n'approfondirent pas tous l'idée que c'était là le mot d'ordre du développement pacifique de la révolution . Et pas seulement pacifique en ce sens que personne, aucune classe, aucune force sérieuse n'aurait pu alors (du 27 février au 4 juillet) s'opposer au passage du pouvoir aux Soviets ou y faire obstacle. Ce n'est pas encore tout. Le développement pacifique était alors possible même sous cet autre rapport : la lutte des classes et des partis au sein des Soviets aurait pu, à condition que les Soviets aient pris en temps opportun la totalité du pouvoir d’État , revêtir les formes les plus pacifiques et les plus indolores. » 4

La contre révolution avive la révolution

A ses yeux, les terribles journées de juillet où le prolétariat de Petrograd ne pouvait plus « attendre » marquent un tournant décisif dans la révolution :

« Le 4 juillet marque justement un tournant en ce sens qu'après lui la situation objective apparaît brusquement modifiée. L'instabilité du pouvoir a pris fin ; le pouvoir est passé, à l'endroit décisif, à la contre-révolution. Le développement des partis sur la base de la politique d'entente des partis petits-bourgeois, socialiste-révolutionnaire et menchevique, avec les cadets contre-révolutionnaires a pratiquement fait de ces deux partis les complices et les auxiliaires d'une sanglante répression contre-révolutionnaire. L'inconsciente confiance des petits bourgeois envers les capitalistes les a amenés, par le développement même de la lutte entre les partis, à soutenir sciemment les contre-révolutionnaires. Le cycle du développement des rapports entre les partis est clos. Le 27 février, toutes les classes étaient unies contre la monarchie. Après le 4 juillet la bourgeoisie contre-révolutionnaire, marchant avec les monarchistes et les Cent-Noirs, s'est adjoint en partie par l'intimidation, les petits bourgeois socialistes-révolutionnaires et mencheviques et a confié le pouvoir d' É tat effectif aux Cavaignac, à la clique militaire qui fusille les récalcitrants sur le front et massacre les bolcheviks à Petrograd. » 5

L’alternative

La tentative de Coup d’État de Kornilov, le 25 août 1917 va confirmer cette analyse. Le Coup d’État de Kornilov – appuyé au départ par le chef socialiste révolutionnaire du gouvernement Kerenski (avant de se raviser in extremis) – aiguillonna la radicalisation des masses et leur liaison avec le seul parti qui défendait leurs aspirations les plus simples, les plus vitales. C’est ainsi que le parti bolchevique devint majoritaire dans les soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats.

Il ne reste alors aux pourfendeurs actuels de Lénine que deux armes : le déni ou la dérision mondaine.

Pour ce qui est du déni, le maoïste défroqué Courtois, est sans appel « Quant à 1917, il faut dénoncer une nouvelle fois le mythe d'une révolution ouvrière. Il n'y a pas eu de révolution en Février, mais un effondrement du pouvoir en huit jours, appuyé par la soldatesque de Saint-Pétersbourg. À partir de là, un processus s'engage, qui va devenir révolutionnaire et dont Lénine tire profit en Octobre, grâce aux fautes politiques du camp démocrate, qui ne s'attendait pas à cette situation. C'est la Révolution française en accéléré: cinq ans défilent en huit mois ». 6

Côté dérision, nous avons évidemment Libération (créé lui aussi par d’anciens idolâtres maoïstes) : « Vladimir Ilitch a eu l’habileté de mourir assez tôt pour ne pas être exagérément comptable de ces dévoiements meurtriers . » 7 Nous sommes rodés à ce genre d’allusion : « si Lénine avait vécu plus longtemps, il eût été « pire » que Staline et si Trotsky avait ravi le pouvoir à Staline, cela aurait été encore bien « pire ». »

Sans « si », ni déni, nous pouvons établir avec certitude qu’en Octobre, l’alternative était : Kornilov ou La prise du pouvoir. « Eux ou nous », dans une lutte « à la vie, à la mort ». Le souvenir de la révolution russe a soulevé un immense enthousiasme dans de deux nombreux pays du monde. En témoigne, entre autres exemples très nombreux, le succès de la soirée organisée à Buenos Aires par notre parti frère, le MST, dans une salle qui ne contenait pas assez de place pour accueillir tous les auditeurs (plus de la moitié dut suivre cet événement à l’extérieur où les écrans avaient été installés). 8

A suivre dans notre prochain numéro (la prise du pouvoir)



Luciano Menzi,
11 novembre 2017



A noter : L’auteur de l’article a mis en relief certaines formulations et expressions clés dans les citations de Lénine en employant des caractères gras. Le mot souligné était en italique dans le texte cité. (note n°3)

1. 2. Lettre de loin : https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/03/vil19170320.htm

3. Lettre sur la tactique : https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170410.htm

4. 5. À propos des mots d’ordre : https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/07/vil19170728b.htm

6. http://www.lefigaro.fr/histoire/evenements/2017/10/25/26009-20171025ARTFIG00145-il-y-a-100-ans-lenine-inventait-le-totalitarisme.php

7. http://www.liberation.fr/chroniques/2017/10/23/lenine-reveille-toi-la-gauche-est-devenue-folle_1605138

8. A 100 años de la Revolución Rusa: Gran Acto Homenaje del MST – https://mst.org.ar/2017/11/09/100-anos-de-revolucion-rusa-acto-homenaje-mst/

Modifié le dimanche 12 novembre 2017
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