Les mutineries de 1917

En 1917, cela fait trois ans que la plupart des soldats sont engagés dans la pire boucherie que le monde ait connue jusqu'alors. L’épuisement, l’absence d’horizon (aucune paix ni trêve en vue), le risque quotidien de mourir ou d'être mutilé, la vision des camarades tombés au prétendu « champ d’honneur » rendent intolérable la poursuite de la guerre sans broncher. Les mutineries éclatent surtout en deuxième ligne, ou dans les baraquements, gares et dépôts où les troupes relevées attendent l’ordre du retour en première ligne, là où se soulever est impossible physiquement.

Le Soviet de La CourtineLe Soviet de La Courtine

La résistance à la hiérarchie militaire a commencé dès le début : en septembre 1914, après un premier mois de guerre particulièrement sanglant, le maréchal Joffre engage la répression contre les « coupables » de l'échec de son plan XVII, qui vise des troupes réticentes à l'engagement au combat et marquées par une succession de désertions individuelles ou en petits groupes. Les exécutions de mutins ont été les plus nombreuses en 1914 et 1915 1 .

Du chemin des dames à la Crosse en l’air

En avril 1917, le général Nivelle prétend s’emparer des hauteurs du Chemin des Dames, dans l’Aisne. Il envoie à une mort certaine plus de 40 000 soldats, Français et Africains entre le 16 et le 22 avril 1917 dans un assaut stérile contre des lignes imprenables. Nivelle, à son insu, va fomenter la colère qui se mue rapidement en mutinerie.

Les mutineries commencent alors par des grèves de soldats, des actes de désobéissance pour un plus grand temps de repos, pour une meilleure ration. Les mutins sont quelques dizaines de milliers (par rapport aux divisions en ligne, on dira une proportion de 1 pour 15) et disent clairement : « À bas la guerre ! », reprenant sans les connaître des mots d’ordre des conférences de Kienthal et Zimmerwald. Et, à bas la guerre, ce n’est pas « la guerre autrement » ! Parmi les mutins, il y a quelques ouvriers (tous ne sont pas réquisitionnés dans les usines), peu de paysans, beaucoup d’instituteurs, et parmi ceux-ci, quelques militants.

La répression des combattants anti-guerre

L'armée relève 113 incidents entre le 29 avril et le 5 septembre, avec un pic autour du 1er juin. Les fronts les plus concernés sont l’Aisne surtout, la Marne, la Meuse et les Vosges. Mille soldats signent une pétition pour « la paix tout de suite ». Dans la 14e division d’infanterie, un officier mitraille ses soldats mutins : un mort, trois blessés. Contrairement à ce que racontent beaucoup de manuels scolaires, Pétain n’a pas bonne presse, en dépit de l’amélioration des rations. Il prend des mesures d'exception: décision de jugement en conseil de guerre sans instruction préalable (1er juin), suppression des recours en révision pour les cas d' insoumission ou de révolte (8 juin), révocation des suspensions de peine (10 juin), droit de recourir aux exécutions sans en référer au pouvoir politique (12 juin). Il en résulte 500 condamnations, 27 exécutions, l'envoi de centaines de mutins aux travaux forcés ou dans des bataillons disciplinaires en Afrique, voire en première ligne jusqu'à ce que mort s’ensuive. Malgré la fréquence des grèves ouvrières à l'arrière, bien avant que n'éclatent les mutineries, il n' y a pas eu en France de force politique ou sociale qui puisse servir de relais aux mutins, contrairement à la Russie où les mouvements au front ou à l'arrière se nourrissent mutuellement.

Le Soviet de la Courtine

Et en France, il y a le cas des 40 000 soldats russes prêtés par le tsar, 500 sont morts en Champagne, 4472 dans la Marne et au Chemin des Dames pour le seul mois d’avril. Le 1er mai, des bataillons russes manifestent à Neufchâteau (Vosges) et à Baye (Marne) avec des banderoles « SOCIALISME, LIBERTÉ, ÉGALITÉ ». La première brigade est formée d’ouvriers moscovites qui appliquent en France le 1er prikaz du soviet de Petrograd et constituent un embryon de soviet. 9000 soldats russes sont envoyés, militairement encadrés, au camp de La Courtine, dans la Creuse et la répression s’abat sur eux du 16 au 18 septembre 1917. Il y aura douze morts. Le soviet avait réussi à approcher les paysans de la région de Samara, qui formaient la troisième brigade, plus réticente au début. Après ce massacre, beaucoup d'entre eux sont réexpédiés sur différents fronts, alors que leur revendication est de rejoindre la Russie révolutionnaire. En Italie, après la défaite de Caporetto, en octobre, le général Cadorna réprime les mutineries en faisant exécuter un homme sur dix, rappelant l’étymologie latine du mot « décimer ». Alors oui, les mutineries de 17 ont eu objectivement, et souvent subjectivement, un caractère révolutionnaire. Il faut attendre en France 1998 pour que les mutins soient réhabilités, et encore...


Zdenek Zavladil,
15 mai 2017



1. Le célèbre film Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory) de Stanley Kubrick (1957), censuré par de Gaulle, relate un cas de répression en 1916 – trois soldats fusillés après un conseil de guerre.

Modifié le mardi 23 mai 2017
Voir aussi dans la catégorie Histoire
La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 5La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 5

L'année 1971 se clot dans une perspective nouvelle pour la condition des femmes et particulièrement pour le droit à l'avortement : les nombreuses actions et expressions parues dans la presse ont...

La bataille pour la légalisation de l'avortement en France (suite)La bataille pour la légalisation de l'avortement en France (suite)

Après les constats accablants des dégâts dus aux avortements clandestins, et alors que la loi sur la prophylaxie des naissances, dite loi Neuwirth 1, vient d'être votée, la fin des années 60 et...

Marxisme économie – 2 : Retour sur quelques idées reçuesMarxisme économie – 2 : Retour sur quelques idées reçues

Nous poursuivons ici notre exposé sur l’économie et le marxisme. L’économie, comme nous l’avons précédemment montré, est basée sur le travail humain. Le travail est, initialement, la...

Simone de BeauvoirUne histoire du ventre des femmes au XXe siècle : la bataille pour la légalisation de l'avortement

Episode 3 Au lendemain de la seconde guerre mondiale, aucune amélioration de la situation précédemment décrite dans laquelle sont laissées les femmes (et les hommes) ne désirant pas d'enfant ne...

La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 2La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 2

Revenons sur la question essentielle à l'origine de l'hécatombe qui a été décrit dans le premier épisode. Sous l'Ancien Régime, et même en remontant jusqu'à l'Antiquité, les méthodes et...

Pour comprendre la révolution d’Octobre 1917Pour comprendre la révolution d’Octobre 1917

Bien des idées reçues circulent à propos de la révolution d’octobre 1917. Ceux qui haïssent la révolution « comme le pêché » ont mille et une manières de la dénigrer, n’hésitant pas...



HAUT