Un souffle extraordinaire des salariés d'EDF-GDF exprimé le 3 octobre

Remise en cause du système particulier des retraites à EDF-GDF80 à 90% de grévistes gaziers et électriciens le 3 octobre pour la défense de leur système particulier des retraites et pour la défense du service public. Et maintenant ? Un entretien riche d'enseignements avec Pierre Fauré, membre de la commission exécutive du syndicat CGT de l'énergie de l'Hérault.La Commune : Peux-tu expliquer à nos lecteurs comment fonctionne votre régime particulier de retraite et quelles en sont les origines ?

Pierre Fauré : Tout d'abord, il faut préciser que ce régime est une composante du statut national des entreprises électriques et gazières, comprenant EDF, GDF et les régies de distribution qui ont refusé d'être nationalisées en 1946. Ce statut, facteur d'avancées sociales à sa création, a permis la motivation de générations de travailleurs autour du service public nationalisé dont l'efficacité n'a, jusqu'à présent, pas été remise en cause. Il comprend, outre une protection des travailleurs par un système de protection sociale avancé, un droit à l'inactivité de service dès 55 ans (si le travailleur a réalisé plus de 15 ans de travaux pénibles) avec un salaire correspondant à 75% du dernier salaire versé (soit 2% par année de travail au bout de 37,5 ans de service). Par ailleurs, les retraites sont payées par le compte d'exploitation de l'entreprise, de la même manière que les salaires, puisqu'un agent EDF-GDF le reste jusqu'à son décès. C'est justement ce point qui est le plus controversé par le gouvernement et le patronat, ainsi que par les volontaires à une ouverture du capital, considérant qu'il s'agit là d'une charge beaucoup trop importante pour une entreprise.

L.C. : Pourquoi y-a-t'il un lien entre la volonté de privatisation d'EDF-GDF par le gouvernement Chirac-Raffarin et leur objectif de remettre en cause votre système de retraite ?

P.F. : A ce sujet, il m'apparaît nécessaire de débrouiller la confusion généralement organisée par les médias entre l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz à la concurrence, l'ouverture du capital d'EDF et de GDF et la privatisation des deux entreprises. Concernant l'ouverture à la concurrence, elle est dictée par l'Europe et les appétits libéraux qui veulent rendre le marché de l'énergie plus juteux au détriment de l'obligation de fourniture, de la péréquation tarifaire et du service public en général. On connaît les conséquences de cette vision avec l'exemple anglais (privatisation sous le gouvernement Thatcher et création d'environ 400 entreprises privées, puis situation de monopole privé au fur et à mesure des rachats successifs par les gros groupes (dont EDF) avec 40% de hausse des tarifs pour le particulier ou encore l'exemple américain d'Enron. Par ailleurs, les chantres les plus zélés de cette ouverture (actuellement réservée aux gros industriels) n'ont été autre que les présidents d'EDF et GDF, leur permettant ainsi de racheter des parts à l'étranger afin de constituer les prémices d'un capital dont 50% serait extérieur à la France.

La privatisation pure et simple n'est aujourd'hui prônée que par les plus libéraux car la situation économique ne pousse guère à cela. En effet, les capitaux dégagés par EDF qui ont servi à acheter des parts dans des entreprises dans le monde, sont souvent peu rémunérateurs : l'exemple d'Edenor en Argentine ou les investissements au Brésil et dans les pays de l'Est (Pologne, Hongrie, ...) sont souvent des gouffres financiers et donnent du souci aux investisseurs qui comptent bien sur des retours. l'option actuelle décidée unilatéralement par le gouvernement et " non négociable " selon Francis Mer est donc l'ouverture du capital des deux entreprises, comptant attirer des capitaux frais pour relancer la machine. C'est là que le bât blesse : les investisseurs potentiels veulent d'une entreprise immédiatement " rentable " (même si EDF dégage chaque annÈe des bénéfices), c'est-à-dire " dégraissée " par une sous-traitance accrue, des investissements et une politique de maintenance réduits à leur plus simple expression et surtout des charges sociales les plus basses. Dans le collimateur se trouvent donc la grille des salaires et les salaires périphériques (indemnités diverses dont les primes de repas et d'astreinte), le système de protection sociale et surtout le fameux régime de retraite qui dérange tant pour les raisons expliquées ci-dessus.

L.C. : Quel bilan tires-tu de la journée d'action du 3 octobre et qu'en disent les agents ?

P.F. : Avec plus de 80%, voire plus de 90% de grévistes selon les endroits, et une manifestation rassemblant plus de 60 000 personnes à Paris, c'est un souffle extraordinaire de la part des salariés d'EDF-GDF. Alors que les médias déblatèrent sans cesse sur le contenu du statut des agents, " la Rolls-Royce " des retraites ou " l'exceptionnel " comité d'entreprise (financé par 1% des recettes de la vente d'énergie), les agents sont montés massivement à la capitale non pas pour un " déplacement " tel que le voyait Francis Mer, mais pour montrer leur attachement au service public nationalisé, qui montre chaque jour son efficacité en cas de coup dur (cf. la tempête de décembre 99, les inondations de la Somme, de l'Aude ou plus récemment du Gard, de l'Hérault et du Vaucluse), malgré le fait qu'à chaque instant, des mesures draconiennes soient prises pour réaliser des économies de plus en plus importantes en matière d'investissement et de maintenance, asphyxiant un système qui a fait ses preuves. Pendant qu'EDF et GDF communiquent à grand renfort de publicité sur leur politique de services 24h/24, les conditions de travail se dégradent et des suppressions massives d'emplois se réalisent au moyen de réorganisations permanentes, de mutualisations de services entraînant l'inadéquation entre l'annonce faite et celle qui peut être réalisée. Pendant que le gouvernement réaffirme son attachement au service public " à la Française ", c'est toute la " clientèle " qui souffre du désengagement de l'Etat et des choix politiques successifs. C'est tout cela que les agents d'EDF-GDF ont voulu pointer du doigt en venant manifester à Paris, au-delà de leur attachement bien naturel à leur statut. Et même ce statut, si décrié par certains, ils ne rêvent que d'une chose, c'est de le faire partager à l'ensemble des énergéticiens intervenant en France (ce qui devrait être déjà le cas) mais aussi avec l'ensemble des énergéticiens européens, voire de donner des idées aux autres corporations pour revendiquer un statut de même nature. Alors oui, le 3 octobre dernier était un moment important pour les électriciens et gaziers français.

L.C. : Quelle est la position actuelle des dirigeants syndicaux CGT sur la privatisation et les retraites ?

P.F. : Sur les retraites, le jour-même de la manifestation à Paris, le gouvernement annonçait l'ouverture de négociations sur les retraites tout en déclarant qu'ayant entendu le message, il n'y toucherait pas. Dans l'action commune le 3 octobre, l'ensemble des organisations syndicales (CGT, CGT-FO, CFDT, CGC et CFTC) commence à donner des signes de désunion. Force Ouvrière refuse de participer à quelconque négociation sur ce sujet, renvoyant les autres organisations syndicales à leur responsabilité. La CGT déclare qu'elle se rendra à cette rencontre sur la base de pérenniser le système actuel (2% par année de travail, 37,5 annuités et consolidation des inactifs dans le système). Les autres organisations syndicales sont plus équivoques sur le sujet. Car la pierre d'achoppement est bien la sortie des inactifs et la création d'une caisse de retraite spécifique, afin que l'entreprise devienne plus rentable pour les investisseurs potentiels.

Quant à la privatisation, celle-ci n'est pas encore d'actualité, la question de l'ouverture du capital étant l'option actuellement choisie. Là encore, les positions sont diverses avec la CGC qui verrait bien cette option prendre forme tandis que les autres organisations syndicales sont plutôt axées sur un statu-quo.

L.C. : Que disent-ils après le 3 octobre et en particulier sur la prochaine journée de grève et la manifestation à la SNCF le 26 novembre sur les mêmes revendications, pour l'essentiel, qu'à EDF ?

P.F. : Après le 3 octobre, la détermination des agents reste entière, même s'il est toujours difficile de rester dans la permanence de l'action après un tel succès. Toutefois, il est nécessaire de rester le pied à l'étrier avec l'ouverture de négociations sur les retraites, d'autres sur les salaires le 14 novembre (avec un appel, pour le moment isolé, à linitiative de la CGT). Des réunions intersyndicales ont lieu un peu partout avec une volonté du personnel de revendiquer pour les questions nationales mais aussi sur leur cahier revendicatif local. La question d'une action commune avec les cheminots n'a donc pas encore été posée, mais elle s'avère intéressante dans la situation.

L.C. : Des voix se font entendre pour un " tous ensemble " le 26 novembre, de tous les services publics. Qu'en penses-tu ?

P.F. : Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il serait judicieux de rassembler l'ensemble du secteur public afin de lutter efficacement contre sa casse programmée. Toutefois, les grèves de 95 nous ont démontré qu'il est nécessaire de lier les salariés du privé (particulièrement ceux qui travaillent en sous-traitance pour le secteur public) avec leur revendications à une action unitaire, ainsi que d'ouvrir un débat de fond avec la population sur quel service public pour demain ?
Modifié le lundi 20 juin 2005
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