« Rompre avec le capitalisme »

« Rompre avec le capitalisme » | Entretien avec Marc Dolez, député PS du NordMarc Dolez, député PS du Nord, seul député du PS à avoir voté contre la révision de la Constitution française le 28 février 2005, combattant pour le non au référendum, affirme : " Je suis socialiste et, parce que je suis socialiste, je suis internationaliste et européen. l'Europe doit être le cadre politique adapté pour combattre la mondialisation libérale. Je milite pour une Europe politique, sociale, laïque, démocratique et indépendante ". Il est aussi un des principaux animateurs de Forces militantes, courant interne au PS .

Entretien avec un militant comme il y en a peu, au PS et à gauche en général ...
La Commune : Beaucoup à gauche et à droite sont intéressés à faire oublier la victoire du non le 29 mai 2005 contre la Constitution européenne. Comment penses-tu qu'il faut continuer afin de prolonger cette victoire ? En clair, comment vois-tu la situation politique depuis le 29 mai 2005 ?

Marc Dolez : Il est vrai qu'ils sont nombreux, à gauche comme à droite, à souhaiter passer très vite à autre chose. Pour " dépasser le oui et le non ", c'est-à-dire, en clair, faire oublier leur défaite électorale, les partisans du oui aimeraient " zapper " le 29 mai. Dans une société du " zapping " où l'information reste largement dominée par la pensée unique, ils peuvent légitimement penser avoir une chance de réussir. D'une élection à l'autre, d'une alternance à l'autre, le peuple peut sembler avoir la mémoire courte ...

" Le 29 mai est une lame de fond, ce vote massif est un vote de classe "

Mais cette analyse superficielle ne résistera pas à l'épreuve des faits et du temps. Ce qu'a exprimé le peuple de gauche le 29 mai est une " lame de fond ". Par ce vote massif, qui est un vote de classe, les Français ont signifié leur refus du libéralisme et leur volonté d'une véritable alternative à gauche. Et ce n'est qu'en prolongeant le non du 29 mai, et en rassemblant la gauche autour d'un programme de transformation sociale qui lui donne tout son sens, que nous y parviendrons.

Dans la situation d'urgence sociale que connaît le pays et face à la politique de casse de la droite, la responsabilité collective de toutes les forces de gauche qui ont assuré la victoire du 29 mai est décisive. Or, force est de constater que chacun a plutôt tendance à se replier sur lui-même dans la perspective d'une candidature à la présidentielle. Cette stratégie est suicidaire et pourrait aboutir, en 2007, à la victoire de la droite extrême !

Ils se trompent, tous ceux qui pensent, au Parti Socialiste notamment, que la gauche reviendra mécaniquement au pouvoir sur le rejet de la droite. Non, cela ne suffira pas ! La gauche doit montrer clairement sa différence à travers un programme d'urgence sociale et démocratique.

" Tirer les leçons du tournant libéral de 1983 "

Cela suppose bien sûr de tirer toutes les leçons du passé, et en particulier du tournant libéral amorcé en 1983. C'est l'enjeu de la période.

L. C. : Que réponds-tu à ceux qui répètent : " il est facile de dire dehors Chirac-Villepin-Sarkozy, mais par quoi les remplacer " ?

M. D. : La principale défaite de la gauche est d'avoir accepté, peu à peu, ce fatalisme - historiquement de droite -, qui clame l'absence d'alternative face au capitalisme. Dans cette logique, le libéralisme n'est plus une idéologie, il devient un état naturel contre lequel il est vain, et même dangereux, de lutter. l'échec du Communisme dans les pays de l'Est a d'ailleurs grandement favorisé le consensus autour de cette idée : puisque les modèles alternatifs ont échoué, ce serait donc la preuve qu'il n'y en a aucun ... C'est un aveu d'impuissance et de résignation qui témoigne en fait d'une soumission à une idéologie dominante.

l'écrasante responsabilité de la social-démocratie européenne

À cet égard, la social-démocratie européenne porte une écrasante responsabilité, comme en témoigne son accord profond avec les partis conservateurs sur un projet de Constitution européenne qui vise à constitutionnaliser le capitalisme.

Nous devons nous battre avec acharnement contre ce présupposé : parce que nous sommes socialistes, parce que nous sommes de gauche, nous pensons qu'il y a une alternative au libéralisme. Nous pensons qu'il est possible de rompre avec le capitalisme, et de construire une autre société sur la base d'un autre projet politique. Bien sûr, ce projet n'existe pas " clefs en main ". Il doit se construire jour après jour, avec les travailleurs eux-mêmes.

Pour être crédible, la gauche doit d'abord indiquer dès maintenant que les lois scélérates de la droite seront abrogées (retraites, assurance-maladie, décentralisation, etc ...), au risque, sinon, de paraître s'en accommoder comme par exemple de la réforme Balladur de 1993 sur les retraites.

Mais ce préalable n'est pas suffisant, car le droit d'inventaire doit également porter sur la période au cours de laquelle la gauche a gouverné.

L. C. : S'agissant de 2007, il y a actuellement pléthore de candidats au PS. Que penses-tu de cette course à la présidentielle qui secoue le PS ?

M. D. : Cette course à la présidentielle, signe hélas de l'américanisation de notre vie politique, est affligeante ... Affligeante d'abord parce qu'elle prime sur le débat politique de fond, sur les idées et les propositions ; affligeante aussi parce qu'elle décrédibilise encore un peu plus le Parti Socialiste aux yeux de l'opinion. Comment le peuple de gauche, et notamment les 2 électeurs sur 3 qui ont voté non au référendum, peuvent-ils s'accommoder de cette compétition ? Beaucoup de militants et d'électeurs sont légitimement désemparés.

La présidentialisation du Régime, renforcée par le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, est à l'origine de cette perversité du débat politique, uniquement centrée autour de l'élection présidentielle. Cet enjeu tue la sincérité du débat interne, détourne de leur but toutes les consultations, en instrumentalisant durablement le vote militant autour d'enjeux de pouvoir personnels. La réforme des institutions est un élément essentiel pour la survie de structures partisanes saines, réellement en capacité de mener des combats politiques, et de traduire les attentes populaires dans un projet politique fort et courageux.

" Il faut en finir avec cette Ve République "

Il faut en finir avec cette Ve République, qui met à mal la souveraineté populaire, pour rendre le pouvoir au peuple et à ses représentants.

La seule question qui vaille est en effet celle du projet politique : sur quelles mesures d'urgence et d'application immédiate la gauche peut-elle se rassembler pour, dès son retour au pouvoir, revaloriser le pouvoir d'achat, garantir la retraite à 60 ans et à taux plein, assurer à chacun le droit à l'emploi, au logement, à la santé, à l'éducation, aux services publics, etc ?

Sur ces bases, la désignation d'un candidat commun de toute la gauche serait assurément plus simple.

L. C. : Peut-on parler de crise au PS et si oui, comment la vois-tu se manifester et quelles sont, d'après toi, les solutions ?

M. D. : Oui, il y a à l'évidence une crise au PS, une crise qui le place désormais non pas au coeur du peuple de gauche, mais en marge.

La synthèse " artificielle " du dernier Congrès témoigne de cette crise : face à l'incapacité à mener un véritable débat interne sur les questions de fond (l'identité socialiste aujourd'hui, la rupture avec le capitalisme, le positionnement face au libéralisme, notre place au sein de la gauche, etc.), la plupart des Socialistes ont préféré ne pas trancher en se cachant derrière une union de façade. Or, cette synthèse ne fait qu'amplifier la crise. Plus que jamais, elle est source de confusion politique : six mois après le 29 mai, elle est illisible par le peuple de gauche qui s'est massivement rassemblé sur le non et qui attend du Parti Socialiste qu'il soit vraiment ancré à gauche. Le rassemblement des Socialistes dans l'action contre la droite ne nécessitait évidemment pas une synthèse à minima qui ne règle rien sur le fond et qui n'est pas exempte d'arrière-pensées ...

Dans la pratique, cela se confirme : la synthèse n'a été qu'un ralliement sans condition. La ligne du Parti n'a pas bougé, même sur le nécessaire respect du vote du 29 mai pourtant affirmé dans la motion de synthèse. C'est ainsi que lors du vote, le 19 janvier dernier, par lequel le Parlement européen a réaffirmé sa volonté de voir entrer en vigueur la Constitution européenne, malgré son rejet par la France et les Pays-Bas (résolution adoptée par 385 voix contre 125 et 51 abstentions), les élus socialistes français se sont abstenus, quatre d'entre eux allant jusqu'à voter pour avec l'UMP et l'UDF !

" Il faut renouer avec le Parti Socialiste de 1905 "

Alors, quelles solutions ... ? Il y a bien des solutions internes : faire en sorte de retrouver une base militante plus représentative des salariés et de la jeunesse, faire vivre réellement le débat, s'imposer des règles de non-cumul, de parité, de rajeunissement, etc ...

Mais ce dont nous avons besoin en urgence, c'est d'une prise de conscience, celle-là même qui aurait dû avoir lieu dès le lendemain du 21 avril 2002 pour tirer toutes les leçons de cette cinglante défaite et pour refonder le Parti Socialiste sur les valeurs fondamentales du Socialisme. Bref, il faut renouer avec le Parti Socialiste de 1905 dont nous venons de fêter le centenaire et ouvrir la perspective d'un nouvel Épinay pour (re-) construire un Parti Socialiste ancré à gauche, sur une ligne de rupture et porteur d'une stratégie de rassemblement de toute la gauche sans exclusive.

Propos recueillis le 8 février 2006.

Nota : Les intertitres sont de la rédaction.
Modifié le lundi 13 février 2006
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