La victoire du non à portée de main

Référendum du 29 mai sur le Traité ConstitutionnelComme l'a rappelé Marc Dolez, député PS du Nord, partisan du non à la Constitution européenne, lors de notre réunion publique unitaire à Paris le 26 mars dernier : "Citons les articles de la Constitution : ils sont nos meilleurs arguments pour convaincre." C'est pourquoi nous poursuivrons ici notre argumentaire, commencé dès novembre 2003, pour dénoncer un traité dont l'adoption constituerait un recul de 150 ans pour les travailleurs et les peuples. Cependant, tout indique que la victoire du non le 29 mai prochain est possible, réalisable. Deux mois pour convaincre, deux mois pour gagner.l'adoption du Traité Constitutionnel européen, que l'on tente de nous présenter comme une nécessité pour l'avenir de l'Europe et de ses habitants, impliquerait la fin des services publics et de tous les droits conquis au fil du temps par les travailleurs : droit au logement, à l'éducation, à la santé, au travail, etc.

Vers un marché capitaliste sauvage, sans entrave

S'il ne fallait qu'un seul article pour résumer le Traité Constitutionnel, l'article I-3-2 suffirait à lui seul :
l'Union offre " un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ". En clair, il s'agit de constituer une fois pour toutes un marché européen où les règles capitalistes de la concurrence, de la rentabilité, de l'exploitation ne souffriraient plus de limites pour les appétits patronaux et financiers.

Précision : pour un capitaliste, la concurrence libre et non faussée, c'est , ni plus ni moins, sa capacité à écraser par tous les moyens le coût du travail, donc les salaires.

Pas trace d'une obligation de salaire minimum

l'article III-206 concerne la politique de l'emploi de l'UE. On y trouve en particulier, au paragraphe 3 :
" Chaque État membre transmet au conseil et à la commission un rapport annuel sur les principales mesures qu'il a prises pour mettre en oeuvre sa politique de l'emploi, à la lumière des lignes directrices pour l'emploi visées au paragraphe 2. "

Aucune mention d'un salaire minimum européen, pas même la moindre allusion.

D'ailleurs, les politiques de l'emploi sont conduites " dans le respect d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre " (article III-178). Et, pour que les choses soient claires, l'objectif est bien la déréglementation du travail, le démantèlement du Code du travail en France et de ce qui peut en être l'équivalence dans les autres pays, pour imposer la flexibilité de la main d'oeuvre. Pourquoi ? Pour que " les marchés du travail soient aptes à réagir rapidement à l'évolution de l'économie " (article III-203). La guerre économique Europe-USA est à ce prix.

Le droit au travail aux oubliettes

Le droit au travail est un droit, certes bien peu respecté mais cependant encore inscrit dans la Constitution française, dans le préambule de la Constitution de 1946 intégré à la Constitution de 1958, dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme votée à l'ONU en 1948, etc. Il disparaît dans le Traité Constitutionnel Européen, pour être vicieusement remplacé par le " droit de travailler ".

" Toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée " (article II-75-1). Encore heureux qu'il soit reconnu le droit de travailler ! La nuance n'en est pas une : le droit au travail, c'est un droit imprescriptible, qu'on revendique s'il n'est pas respecté, et qui a permis en France et ailleurs la création par exemple des allocations chômage. La fin du " droit au travail " signifierait que les États n'auraient plus obligation d'indemniser les chômeurs. Déjà que ces indemnités fondent d'année en année !

Quelle durée hebdomadaire et journalière du travail, quels congés payés ?

" Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés " ( article II-91). Pas un chiffre, rien. Sur quoi vont s'aligner les États ? Niveler, par le bas donc, ou aligner par le haut ? Poser la question, c'est y répondre.

La fin de la Sécurité Sociale

" l'Union reconnaît et respecte le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux [...] selon les règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales [...] " (article II-94).
Cet article ne parle donc en aucun cas du droit à la protection sociale, mais de celui de l'accès aux prestations, ce qui n'est de toute évidence pas la même chose !

La prestation, cela peut être tout simplement celle octroyée par un organisme privé d'assurance, un fond de pension, etc.
Les juristes de l'UE ont même précisé, si cet article n'était pas suffisamment explicite, que, dans les États où elles n'existent pas, il n'y a aucune obligation de créer de telles prestations (La Commune N°47, mars 2005). Ajoutons que voilà des années que les gouvernements successifs ne cessent de vouloir, au nom du prétendu " trou de la Sécu ", liquider le système de protection sociale français créé en 1945 grâce à la lutte des salariés.

Le droit à la santé bafoué

" Toute personne a droit d'accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales [...] " (article II-95).

Là encore, entourloupe : le droit à la santé, cela n'a pas grand-chose à voir avec " le droit d'accéder ... ". Là où il n'y a rien ou presque rien, les États de l'UE n'ont aucune obligation de mettre en place quoi que ce soit, et là où des dispositions existent, ils ne sont pas tenus de les maintenir ...

Pas de droit au logement

" [...] Afin de lutter contre l'exclusion sociale et la pauvreté, l'Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales " (article II- 94, paragraphe 3).

Là encore, le droit au logement est remplacé par le " droit à une aide au logement ". Nuance ... On pourrait donc compter, tout au plus, et selon la générosité des États, sur une aumône, un subside pour essayer de se loger. Encore un article qui tient nettement plus d'un acte de foi de dames patronnesses que d'une Constitution démocratique !

Services publics : on ferme !

Nous l'avons déjà écrit à maintes reprises dans nos colonnes ; la Constitution européenne signifierait la liquidation totale des derniers services publics, aussi bien en France qu'ailleurs en Europe.

Ainsi, la partie III du Traité est parfaitement explicite :
" Les États membres s'efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire. "

La notion de service public n'existe pas dans le texte de la Constitution. Elle est remplacée par la dernière trouvaille : le " service d'intérêt économique général " (SIEG). Un SIEG n'a bien entendu aucune obligation (bien au contraire) d'être un service public sous direction de l'État membre :
" Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de la concurrence " (article III-166-2).

Toute aide publique est d'ailleurs interdite si elle risque de fausser cette concurrence :
" Sauf dérogations prévues par la Constitution [...], sont incompatibles [...] les aides accordées par les États membres ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " (article III-167-1).

C'est sous cette bannière que les gouvernements successifs ne cessent en France de chercher à privatiser tous les services publics : transports, EDF-GDF, France Telecom, La Poste, l'eau, et petit à petit l'éducation ...

La directive Bolkestein, enfant légitime de la Constitution Giscard

Chirac en tête, tous les partisans du oui, paniqués par les derniers sondages, qui ont successivement donné le non gagnant à 51, puis 52 et enfin 55 %, s'efforcent de nous présenter la directive Bolkestein comme une monstruosité qui n'a rien à voir avec le Traité Constitutionnel. Au PS, on a même vu Jean-Louis Bianco, porte-parole du groupe PS à l'Assemblée nationale, déclarer, toute honte bue, le 15 mars dernier : " Le Traité Constitutionnel n'est en rien responsable de cette proposition de directive... ".

Sentant le danger, Chirac est allé à Bruxelles dire en substance à Barroso, président de la Commission européenne : " Silence dans les rangs jusqu'au 29 mai. Après, pas de problème ! ". Et il est question, depuis ce voyage, de "remise à plat" - et non de retrait - de la directive. Manoeuvre pitoyable et trop voyante pour réussir à convaincre.

En quoi consiste donc cette directive Bolkestein ?

Il s'agit du principe énoncé du " pays d'origine ".
" En vue de créer un véritable marché intérieur des services, il est nécessaire de supprimer les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre circulation des services, qui figurent encore dans les législations de certains États membres
[...]. Les restrictions interdites affectent particulièrement le marché intérieur des services et doivent être démantelées d'une manière systématique le plus rapidement possible " (30e alinéa).

" Afin d'assurer une mise en oeuvre efficace de la libre circulation des services [...], il convient de poser le principe selon lequel un prestataire ne doit être soumis, en principe, qu'à la loi du pays dans lequel il est établi " (37e alinéa).

Contrairement à ce qu'espèrent nous faire croire Chirac, Hollande et leurs amis, la directive Bolkestein est donc en conformité totale avec l'esprit et la lettre du Traité Constitutionnel. Elle en est l'enfant légitime. C'est ce que Barroso, par franchise ou par inconscience, a tenté de dire et que Chirac et le PS veulent taire à tout prix.

À tel point que Chirac a fait pression sur la chaîne France 2 et finalement obtenu que l'émission 100 minutes pour convaincre, à laquelle Barroso devait participer, soit reportée ! Sera-t-elle diffusée ? Pas sûr : avant le 29 mai, elle constituerait une mauvaise publicité, et après le référendum, elle ne servirait plus à rien.

Et que dit la Constitution ?

Outre l'article I-3-2, analysé en début de notre argumentaire, ajoutons, pour ne citer que quelques articles :
" Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre " (article III-137).
Mais aussi : " Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation " (article III-144).

Et enfin :
" Les États membres s'efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne adoptée en application de l'article III-147, paragraphe 1, si leur situation économique générale et la situation du secteur intéressé le leur permettent " (article III-148).
Faire venir un plombier polonais ou un maçon portugais en France et les faire travailler aux conditions de salaire, de temps de travail, de protection sociale du pays d'origine est un objectif avoué et parfaitement énoncé dans la Constitution Giscard. Prétendre le contraire relève du mensonge caractérisé. D'ailleurs, ce système du " pays d'origine " existe déjà dans les transports maritimes et routiers. Une des plus importantes entreprises de transport routier allemandes, les camions Willy Betz, emploie des chauffeurs tchèques, polonais ou lettons aux conditions de rémunération propres à leurs pays d'origine, au grand dam des entreprises de transport françaises, bien incapables de résister à une telle concurrence !

En finir avec la directive Bolkestein, c'est dire non à la Constitution qui l'a enfantée.

La victoire est possible !

La victoire du non est à portée de main. Pour la défense des acquis sociaux, des statuts, du Code du travail, pour la sauvegarde des services publics, pour la préservation de nos conditions d'existence et de celles des futures générations, votons non le 29 mai prochain ! Tout est possible.
Modifié le vendredi 24 juin 2005
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