Les leçons d'une défaite

Après les législatives de juin 2007Certes, il n'y a pas eu de déferlante bleue. Certes, le PS et la gauche sauvent les meubles. l'UMP et toute la droite perdent une cinquantaine de députés par rapport à la législative précédente. De là à transformer une défaite en victoire, beaucoup à gauche et dans les media ont osé franchir le pas. Car, quels que soient les fantasmes, les chiffres ramènent à la dure réalité. À l'heure où les premiers coups de ce gouvernement Sarkozy-Fillon commencent à tomber, il est préférable d'oser regarder les choses en face. État des lieux.La réalité, c'est que l'UMP détient la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Bayrou a été laminé et réduit à quatre strapontins et le PCF pleure pour que le seuil permettant la création d'un groupe parlementaire soit ramené à 15 sièges, dès lors qu'il n'a obtenu que 15 députés auxquels il faut rajouter trois autres apparentés, dont le dissident Maxime Gremetz.

l'éditorialiste du Monde, éric Fottorino, le reconnaît, le mardi 19 juin : " l'impression qui a dominé le scrutin de dimanche - du rebond socialiste à la défaite d'Alain Juppé en Gironde - ne doit pas occulter le résultat de ces législatives : la droite, malgré une mobilisation affaiblie, a gagné. La gauche, malgré un sursaut, a perdu. Si la vague bleue n'a pas enflé au point de tout submerger, il faut alors, à la manière des sismologues, parler de réplique. D'un choc second moins fort que le choc premier, mais venant rappeler qu'il y eut bien choc le 6 mai avec la victoire de Nicolas Sarkozy. Un signe parmi d'autres de la suprématie du fait présidentiel sur une intendance législative qui a suivi sans éclat pour l'UMP ".

Voilà une analyse bien plus raisonnable et plus conforme aux faits.

Victoire étriquée ?

Sans doute agacé par une euphorie mal placée, le politologue de gauche Olivier Duhamel, pourtant un fervent " royaliste " de la première heure, s'emporte ainsi ( LCI, le 21 juin) :

" Les électeurs ont été gentils avec le PS mais c'est un très, très bon score pour Sarkozy. Bien peu de fois, en 50 ans de Ve République, une majorité de droite réussit à se reconduire une seconde fois. J'entends parler de " victoire étriquée ", le dire est délirant ! Sarkozy a réussi à détruire Bayrou, alors qu'il avait 7 millions de voix, réussi à détruire le FN ... ".

Voilà qui, dit par un défenseur du PS, remet les pendules à l'heure.

Abstention ouvrière

Si le PS et la gauche ont sauvé les meubles, in extremis, le doivent-ils, comme certains le prétendent, à une mobilisation inespérée de leur électorat ouvrier et populaire et à une forte abstention à droite ? Certainement pas.

Avec près de 40 %, le second tour pulvérise des records d'abstention dans l'histoire de la Ve République.

Certes, il y a eu abstention à droite, les électeurs considérant certainement que les jeux étaient faits. Mais que dire de l'abstention de l'électorat traditionnel ouvrier et populaire, bien plus massif encore ! Quelques exemples.

Val-de-Marne : Créteil Ouest-Sud : 47,94 % ; Vitry-Est-Ouest : 49,52 % ; Vitry-Nord : 48,40 % ; Villejuif : 45,57 %.

Seine-St-Denis : St-Denis-Nord : 53,92 % ; Aubervilliers : 54,38 % ; Le Blanc-Mesnil : 50,28 % ; Bobigny : 49,16 % ; Pantin : 48,10 % ; Bondy : 48,59%, etc.

Yvelines : Trappes : 45,5 % ; Mantes-la-Jolie : 45,48 %, etc.

Nord-Pas-de-Calais : Lille-Sud : 49,38 % ; Lille-Centre : 46,36 % ; Dunkerque-Ouest : 45,19 % ; Tourcoing-Nord : 50,33 % ; Roubaix-Ouest : 51,07 % ; Valenciennes-Sud : 62,34% ; Le Havre-Nord : 50,09 %, etc.

À Marseille, l'abstention oscille, selon les circonscriptions, entre 44 et 49,01 % ; à Villeurbanne, banlieue ouvrière de Lyon, elle est de 44,66 %. C'est dire que, si, nationalement, 4 électeurs sur 10 ne sont pas allés voter, dont une partie issue de l'électorat de droite, dans les villes et cités ouvrières, c'est près d'un électeur sur deux à peine qui ne s'est pas déplacé !

Retour au bercail

D'où viendrait alors le sursaut inespéré du PS ?

Il vient pour l'essentiel de son électorat traditionnel dans la petite-bourgeoisie, de ces intellectuels, semi-intellectuels, des couches enseignantes par exemple qui, tout au long de la Ve République, avaient l'habitude de voter à gauche, singulièrement pour le PS. Cette base électorale traditionnelle du PS (et, pour une partie plus infime, pour le PCF et les Verts) lui avait fait des infidélités notoires et fracassantes lors de la Présidentielle, attirée par le miroir aux alouettes de l'aventure Bayrou. C'est la manière par laquelle cette petite-bourgeoisie, habituellement liée au mouvement ouvrier par le biais du vote PS depuis ces 25 dernières années, a manifesté son mécontentement et désarroi après des gouvernements successifs de gauche et de droite qui, depuis 25 ans, enfoncent le pays dans une crise profonde, aggravant et désagrégeant la situation économique et sociale de ces couches intermédiaires en voie de paupérisation.

l'aventure Bayrou a tourné court. Avec, au mieux, quatre députés, Bayrou a perdu son groupe parlementaire et la quasi-totalité des élus du " Centre " sont désormais ralliés à Sarkozy à commencer par Hervé Morin, ex-bras droit de Bayrou et actuel ministre de la Défense. Alors qu'il avait cru faire trembler l'UMP pendant la campagne présidentielle en rassemblant 6,8 millions d'électeurs (soit 18,57 % des voix) le 22 avril dernier, le " troisième homme " est isolé, marginalisé, atomisé. Son Mouvement démocrate a obtenu moins de 2 millions de voix (7,61 %) au premier tour des législatives, n'a sauvé que 6 de ses candidats au second et n'a finalement que quatre députés. Où sont passés alors ces 4,8 millions de voix de différence entre la Présidentielle et les législatives ?

En bonne partie, l'électorat traditionnel de droite de Bayrou est retourné d'où il venait ... vers la droite. Soit celle du Nouveau Centre, ces centristes ralliés à Sarkozy, qui disposent de 22 députés (grâce à l'aide de l'UMP, qui ne leur a opposé aucun candidat) soit vers l'UMP.

Et le reste, qui provenait de cet électorat de gauche déçu et déboussolé est retourné d'où il venait et a voté PS pour l'essentiel. Voilà d'où vient le " sursaut " de la gauche. Aucun mystère.

Deux exemples parlants

D'abord la défaite de Juppé. Il y a tout lieu de s'en réjouir assurément. À quoi est-elle due ?

D'abord et avant tout, au rejet par les électeurs du Premier ministre de Chirac, noyé dans les scandales, condamné par la justice, discrédité. Ensuite, comme le souligne elle-même Michèle Delaunay, rivale de Juppé : " Je remercie ceux qui ont porté un vent de liberté sur Bordeaux, et particulièrement le candidat du MoDem ", Ludovic Guignard, qui, avec 8,3 % des voix au premier tour, n'avait pas donné de consigne de vote à ses électeurs. Rappelons qu'il a eu cette position malgré les consignes de Corinne Lepage, du MoDem, qui l'avait exhorté à accorder une " chance " à Juppé.

Certes, Ségolène Royal avait obtenu à Bordeaux, 54,66 % au second tour de la Présidentielle dans cette circonscription, mais le score obtenu (50,93 % pour Michèle Delaunay contre 49,07 % pour Juppé, soit 670 voix d'écart) indique à quel point rien n'était joué.

Ensuite, l'exemple parisien, où l'électeur petit-bourgeois traditionnel dont nous parlons plus haut avait eu un coup de coeur appuyé pour Bayrou.

Là, la gauche parisienne possède désormais 13 députés sur 21, après avoir arraché à l'UMP la 8e circonscription et battu à plate couture l'officier sioniste anti-palestinien Arno Klarsfeld.1 " Finalement, l'ensemble des élus de gauche a nettement battu ses adversaires UMP. Une ampleur qui s'explique par le report des voix des électeurs du MoDem, qui ont nettement voté à gauche à Paris " (Le Parisien, 19 juin). Dans la plupart des grandes villes, même phénomène.

Exit Juppé ...

La défaite de Juppé à Bordeaux est, répétons-le, d'une portée politique majeure, s'agissant d'un homme qui fut le Premier ministre de Chirac, empêtré dans les scandales de toutes sortes et connu des salariés pour ses attaques contre la Sécurité sociale avec son compère Fillon. C'est effectivement la page du " Chiraquisme " qui se tourne ainsi. Contrairement à des spéculations oiseuses, il est clair que cette défaite n'était en rien voulue par Sarkozy. Il est contraint de s'en accommoder, tout au plus.

Parmi les battus, signalons aussi Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture entre 2005 et 2007, le juge Bruguière, connu pour son hystérie anti-Basques et anti-islamistes, Alain Carignon à Grenoble...

... et Chevènement

La plus retentissante claque à gauche est sans nul doute celle de Chevènement à Belfort. C'en est fini de l'itinéraire de celui qui a été le mentor de Ségolène Royal après avoir été entre autres ministre de l'Intérieur contre les immigrés et les jeunes des banlieues qu'il traita de " sauvageons ".

Dans sa chute l'accompagne son fidèle lieutenant de toujours, Georges Sarre, battu à Aubusson, dans la Creuse. Le parti créé par Chevènement, le Mouvement républicain et citoyen (MRC) a du plomb dans l'aile. Pas sûr qu'il se relève de ces déculottées. Ce n'est pas nous qui le regretterons.

Citons également Vincent Peillon, Malek Bouthi, Jacques Mellick, le faux-témoin de Bernard Tapie dans l'affaire VA-OM, Émile Zuccarelli, le PRG (radicaux de gauche) de Haute-Corse ...

Sarkozy poursuit le démarchage de personnalités du PS et de la gauche. Voici du renfort pour les traîtres : Jean-Marie Bockel est nommé secrétaire d'État chargé de la coopération et de la Francophonie et Fadela Amara devient secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, sous la direction de la très catholique et anti-avortement Christine Boutin, Ministre de la ville.

Mi-pute, mi-soumise

Fadela Amara est conseillère municipale (PS) de Clermont-Ferrand. Elle est fondatrice du mouvement Ni putes ni soumises, sponsorisé par le PS et auquel nombre d'organisations de gauche et d'extrême-gauche avaient apporté leur soutien.

Il était de bon ton, jusqu'à une date récente, de s'en réclamer et de défiler aux côtés de Fadela Amara. Celle-ci était devenue une star du féminisme et avait engagé une croisade contre le port du voile islamique. Le mouvement Ni putes ni soumises a été créé au printemps 2002, après le meurtre horrible de la jeune Sohane, brûlée vive par un amoureux éconduit. l'utilisation de ce fait divers, au demeurant atroce en soi, à des fins politiques anti-jeunes des cités était tout simplement putassière.

En 1986, Fadela Amara entre à SOS racisme, après avoir participé à la grande Marche des Beurs pour l'égalité de 1983, marche qui avait suscité un légitime espoir à l'époque. La création de SOS Racisme par Mitterand et Julien Dray viendra à point nommé pour étouffer les véritables revendications des jeunes issus de l'immigration pour l'égalité des droits et leur substituer le mot d'ordre réactionnaire du " droit à la différence " paravent à la différence des droits.

Fadela Amara a, depuis cette époque, milité activement à tous les montages visant à masquer et couvrir la politique anti-immigrés des gouvernements successifs.

" Elle a fait carrière dans l'ombre du parti de la rue de Solférino, où elle comptait de solides appuis, dont Julien Dray " (Le Parisien du 20 juin 2007).

La voilà désormais chargée de la politique de la ville, sous la houlette de la très réactionnaire Christine Boutin. Le 7 juin dernier, elle soutenait dans le 20e arrondissement de Paris la candidature du fabiusien Michel Charzat. Elle est désormais membre du gouvernement Sarkozy-Fillon.

Le président des jeunes socialistes, Razzye Hammadi l'a accusée de " trahison ".

Le moins qu'on puisse dire est que les jeunes des banlieues et cités ont du mouron à se faire face au tandem Boutin-Amara. Et inversement.

Trahisons ? Pas tant que ça ...

Nous serons entièrement d'accord avec Ségolène Royal sur un point. Elle a déclaré, le 21 juin : " l'entrée de personnalités de gauche au gouvernement doit interpeller le PS ". C'est effectivement un problème que ce parti doit se poser. Car il y a certes des motivations qui tiennent aux personnes.

Les transfuges, Eric Besson, Bernard Kouchner, Martin Hirsch, Jean-Pierre Jouyet, Fadela Amara ont certainement en commun d'être des pieds écrasés du PS et de la gauche, des aigris, des frustrés qui pensaient ne pas être reconnus à leur juste valeur par leurs pairs, et qui se vengent ainsi.

Certes, mais cela ne suffit pas. Les couloirs de la rue Solférino (et de la place du Colonel Fabien) sont pleins de personnages rongés par l'ambition et la vanité et prêts à se vendre pour un plat de lentilles. Beaucoup d'entre eux sont déjà des transfuges des partis trotskystes où ils ont considéré ne pouvoir faire carrière : Mélenchon, Julien Dray, Cambadélis, pour ne citer que ceux qui ont, croient-ils, réussi.

Mais, à ces caractéristiques, s'ajoute une autre, bien plus essentielle : le contenu politique de leur ralliement. Car, en définitive, que va faire Fadela Amara s'agissant de la Ville et des banlieues ? Va-t-elle lutter pour la création de 3 millions de logements HLM dans les 5 prochaines années ? Va-t-elle exiger de Boutin et de Sarkozy qu'ils cessent immédiatement les expulsions de logement, va-t-elle exiger la régularisation de tous les sans-papiers et un vrai travail, un vrai salaire pour les jeunes ? Non. Elle va poursuivre, sous des formes quasi-identiques, la politique du PS en matière de logement, d'immigration, des banlieues.

Il en est ainsi dans tous les domaines : travail, santé, sécurité sociale ...

On l'a vu pendant toute la campagne Présidentielle : le programme de Ségolène Royal se différenciait de celui de Sarkozy par l'épaisseur d'une feuille de papier de cigarette. C'est la raison profonde de la défaite de la gauche.

Ainsi, il y a une logique à ces ralliements : pourquoi refuser de travailler à la maison mère et rester dans la succursale, moins bien récompensée, moins voyante, moins gratifiante ?

Le PCF quémande un groupe

Après les législatives, le PCF se retrouve avec 15 députés, contre 21 ors de la législature précédente. Trois apparentés, dont Maxime Gremetz, ayant accepté de se rallier, le PCF peut revendiquer 18 députés. Insuffisant pour pouvoir créer un groupe parlementaire. Qu'à cela ne tienne : " Si le Président de la République est un démocrate, qu'il le prouve ", c'est ainsi que le député PCF du Nord, Alain Bocquet, est monté en première ligne pour demander l'abaissement du seuil requis pour constituer un groupe parlementaire. De 20, le PCF propose qu'il passe à 15 députés.

En 1988, le PS avait déjà ramené la barre de 30 à 20 députés pour sauver la représentation de ses fidèles alliés.

" Il ne s'agit pas de réclamer une faveur mais la reconnaissance de notre courant de pensée ", plaide Alain Bocquet, qui en est réduit à quémander gentiment auprès de Sarkozy.

Schivardi et le grand parti ouvrier

Un dernier mot à propos du PT, qui présentait des candidats aux législatives. Là aussi, mêmes causes, mêmes effets. Schivardi et Gluckstein avaient annoncé le coup d'envoi, à partir des législatives, de la création d'un Parti ouvrier indépendant. Espérons qu'il ne se fera pas sur les fonts baptismaux de leurs résultats aux législatives.

Globalement, ils sont en baisse par rapport à ceux de Schivardi qui avait pourtant, avec 0,34 %, touché le fond.

Notons en outre que Schivardi a déclaré publiquement que sur sa circonscription, Narbonne 2e, il votait personnellement pour Jacques Bascou (PS), réélu. Voilà qui a dû faire plaisir à Amiard, candidat du PT dans la même circonscription, qui a quand même réalisé le score flamboyant de 223 voix, soit 0,32 %, sur 72 133 suffrages exprimés !

Même sans l'appui de Schivardi, ce score se situe aux environs supérieurs du score national du PT. Cela n'augure rien de bon pour ce parti ouvrier indépendant qui doit surgir des cendres du PT moribond. De Profondis.
Modifié le vendredi 29 juin 2007
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