La dictature des actionnaires

La dictature des actionnaires | La casse du Code du travail, programmée depuis trente ansLa classe dirigeante, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, se rencontre et s'organise au niveau mondial. Aujourd'hui, et ce depuis les années 90, les maîtres du monde s'expriment de plus en plus clairement sur leurs objectifs et leurs méthodes. Cette classe a parfaitement conscience d'elle-même. Ainsi, Warren Buffet, grand financier américain, di­sait-il il y a deux ans : " Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n'avons jamais été aussi prospères. C'est une guerre de classes, et c'est ma classe qui est en train de gagner ".Et David Rockfeller, à l'origine de la création du Groupe de Bilderberg et de la Trilatérale, expliquait dans Newsweek International du 01/02/99 ce qu'il pensait de la démocratie : " La souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et de banquiers est sûrement préférable au principe d'autodétermination des peuples ".
Le capital se concentre suffisamment pour que l'on puisse compter ceux qui dominent le monde en accaparant les biens publics : en comptant tous les actionnaires, concentrés à 90 % en Amérique du Nord, en Europe et au Japon, on trouve selon le connaisseur Jean Peyrelevade " environ trois cent millions de personnes, femmes et enfants compris " soit 5% de la population mondiale. Mais, à l'intérieur des actionnaires, il faut différencier les " vraiment riches " (au moins un million de dollars en actifs financiers), très peu nombreux, qui concentrent la richesse : ainsi " dix à douze millions d'individus (0,2 % de la population mondiale) contrôlent la moitié de la capitalisation boursière de la planète et, vraisemblablement, une proportion à peine plus faible du patrimoine marchand de l'humanité ". Et, parmi les " vraiment riches ", les " ultra-riches ", 77 000 ménages (0,0025 % de la population mondiale) détiennent environ 15 % de la richesse mondiale.

Du XIXe siècle au milieu des années 70

Durant cette période, les conditions de travail dans la grande industrie ont conduit aux luttes sociales d'où sont sortis le droit de grève, l'organisation syndicale et politique. Parmi les conséquences, la réduction régulière de la durée du travail (quotidienne d'abord, puis hebdomadaire en 1936, les 40 h) et la fixation de salaires minimum (SMIG puis SMIC, et minima des conventions collectives), le paiement d'un salaire socialisé (maladie, retraite, chômage) dans le cadre de la Sécurité Sociale.
Le maintien d'un rapport de forces important après-guerre a masqué un temps le poids croissant de l'impérialisme US : tous les moyens (jusqu'aux coups d'État) ont été bons pour empêcher l'arrivée de la gauche au pouvoir dans les pays d'Europe de l'Ouest et ailleurs ! (cf. Les armées secrètes de l'OTAN, Danièle Ganser, Éd. Demi-Lune).

Depuis le milieu des années 1970

Le patronat, contraint de diminuer le temps de travail, a compensé par l'intensification du travail et le chômage de masse. Celui-ci a été l'élément déterminant de la dégradation du rapport de forces : baisse des salaires, multiplication des contrats précaires, etc.
Depuis les années 90 se sont mises en place les institutions antidémocratiques au niveau européen et mondial (AMI, OMC, AGCS, Traités européens à valeur de Constitution) qui fonctionnent comme des conseils d'administration des multinationales.
S'organise la concurrence entre travailleurs au niveau mondial (délocalisations, importation de travailleurs sans droits ou à droits réduits - directive Bolkestein) en maintenant le chômage à un niveau suffisant pour écraser les salaires. C'est le sens des politiques dites d'augmentation du taux d'emploi visant à faire travailler plus longtemps (début plus jeune, durées de travail hebdomadaire et annuelle plus longues, annuités plus nombreuses) pour éviter la pénurie de main-d'oeuvre que devrait entraîner l'arrivée de nombreux salariés à la retraite.

Dégradation accélérée des droits sociaux acquis depuis 150 ans

La force de travail tend à se réduire à une simple marchandise. Citons :
- la perte progressive de la hiérarchie des normes avec ses conséquences sur le prix de la marchandise : désormais un accord collectif d'entreprise peut être inférieur à une convention collective de branche ou à un accord interprofessionnel, qui peuvent eux-mêmes être inférieurs à la loi ; effacement progressif de la distinction entre le secteur public et le secteur privé (GIE, partenariats public-privé, privé dans le public, public dans le privé) ; - le retour des marchands de main-d'oeuvre qui accroît l'exploitation tout en camouflant le véritable propriétaire de la marchandise (intérim, sous-traitance, entreprises " à temps de travail partagé " qui permettent l'intérim permanent, faux " indépendants " et vrais exploités façon Bolkestein ou à la mode du " portage " que des organisations syndicales viennent de signer avec le Medef le 11 janvier 2008) ; - la multiplication de contrats qui, outre le bas prix de la marchandise, permet de la tester sans risque (augmentation des périodes d'essai dans l'accord du 11/01/08, " stagiaires ", chèques emploi-service) et de la jeter sans contrainte (CNE ; chèques emploi-service qui permet l'embauche de nouveaux domestiques d'ailleurs qualifiés par le code du travail d'" hommes toutes mains "). Et ce plus aisément encore grâce aux mesures légales successives (possibilité de réduire ou supprimer les indemnités de fin de CDD et d'intérim, dispense de procédure de licenciements collectifs pour motif économique, interdiction des réintégrations, et maintenant avec l'accord du 11/01/08 les ruptures dites à l'" amiable " qui interdiront le recours aux prud'hommes et les contrats de projet, faux CDI et faux CDD) ; - le droit d'utiliser la force de travail pour la durée voulue et aux horaires voulus (heures supplémentaires, repos compensateur, RTT, travail de nuit, des dimanches et jours fériés, forfait jours, travail à la tâche légalisé, faux indépendants). Avec les travailleurs immigrés, les pratiques esclavagistes et mafieuses se multiplient (travail saisonnier ; loi Hortefeux du 23/10/07 qui permet de trier la main-d'oeuvre étrangère et d'appliquer la directive Bolkestein aux multinationales).

Baisse du prix de la force de travail

Le prix de la force de travail baisse (10 % du PIB passés en 20 ans de la poche des travailleurs à celle des capitalistes) selon trois mécanismes :
- la concurrence sur le marché de la force de travail qui permet, rupture historique, d'accroître à nouveau la plus-value absolue avec l'augmentation du temps de travail (et l'intensification commence à montrer ses limites avec les suicides dans les grandes entreprises) ; - les heures non payées ou sous-payées (centaines de millions d'heures supplémentaires gratuites ou camouflées dans les comptes " épargne-temps " inventés en 2000 ; qualifications collectives transformées en " compétences individuelles " ou VAE) ; - l'extinction progressive du salaire socialisé (25 milliards d'euros par an d'exonérations de cotisations sociales) avec ses conséquences (soins de moins en moins remboursés, retraites qui fondent et s'éloignent).
Les recours (inspection du travail, médecine du travail, représentants du personnel) s'amenuisent avec la réduction des moyens et des pouvoirs de ces institutions, tandis que se délitent les garanties collectives : perte du monopole de l'ANPE ; " assouplissement ", voire disparition dans le cas des chèques emploi-service, des moyens de contrôle que sont la déclaration préalable à l'embauche, le bulletin de paie, le contrat de travail, les différents registres (personnel, hygiène et sécurité), l'enregistrement des heures de travail.
Aujourd'hui en France, le patronat gouverne directement : des patrons se succèdent au Ministère de l'économie, les diverses Hautes Autorités de ceci ou de cela sont truffées au CAC40, la directrice de l'institut de formation des inspecteurs du travail est du MEDEF, eux-mêmes dépendent pour l'emploi et la formation professionnelle du Minis­tère de l'Économie, le Medef et l'Éducation nationale s'offrent des journées école-entreprise et les professeurs de sciences économiques et sociales viennent se former dans une filiale du MEDEF aux joies de la mondialisation heureuse ... Le droit de grève, dont l'exercice est rendu difficile par la pression du chômage, se restreint loi après loi, jurisprudence après jurisprudence.
Depuis 2002, la casse du droit du travail (programmée par les rapports Virville, Camdes­sus et les demandes du MEDEF) a lieu sans contrôle démocratique, de lois discrètes en ordonnances.
l'ordonnance du 12/03/07 sonne le début de la fin du travail de démolition ; le code du travail a été entièrement réécrit, prétendument à droit constant :
- les salariés sont éclatés en 10 codes du travail différents selon les secteurs ; - une part importante du code disparaît de la loi, donc du contrôle du Parlement, pour passer dans le règlementaire : le gouvernement décidera ainsi seul, très vite et sans publicité ; - maints droits sont supprimés (protections pour les femmes) ou réduits (repos du dimanche). Depuis un an ou deux, les " négociations " sociales (interprofessionnelles ou sectorielles) se font le revolver sur la tempe : la loi ne vous protège plus, l'accord collectif prime et si vous ne signez pas, nous prendrons la loi équivalente.

Perspectives

Sans doute le capitalisme qui semble aujourd'hui tout puissant est-il cerné par d'immenses failles : l'obstacle de la planète qu'il détruit se rapproche de plus en plus nettement et la folie de la spéculation financière fait même régulièrement frissonner ceux qui jouent avec les hommes et la nature.
Sans doute la police des corps (fichage, répression) s'avére-elle insuffisante puisque, malgré son poids croissant, le recours à la police des esprits atteint des niveaux inouïs : dans les médias la désinformation, la crétinisation et la mise en avant de boucs-émissaires culminent avec l'instillation d'une peur permanente par l'évocation de menaces d'attentats et même leur commission : le 11 septem­bre, pour qui s'en tient plus aux lois de la physique qu'à celles de la propagande, a tous les traits de l'incendie du Reichstag du XXIe siècle (sur cette question, voir notamment le site : reopen911.info).
Mais il ne faut rien attendre des faiblesses du capitalisme (la bourgeoisie préférera " une fin effroyable à un effroi sans fin ", disait Marx) et face à une guerre de classes, à une guerre contre la démocratie, le plus urgent est sans doute de dire que nous sommes dans cette situation-là ; et qu'il faut en tirer les conséquences : il n'y a rien à négocier et tout à gagner par la lutte.

Richard Abauzit.
Modifié le dimanche 24 février 2008
Voir aussi dans la catégorie Dossiers
Dossier La Commune de Paris 150e anniversaireDossier La Commune de Paris 150e anniversaire

Notre journal La Commune propose à ses lecteurs deux dossiers consacrés au 150e anniversaire de la Commune de Paris : le premier, dans le numéro 127, retrace, à la lecture de La Guerre civile en...

Dossier santéDossier santé

30 004 morts : le bilan du COVID-19 en Franceest le résultat de 40 ans d'attaques de l'hôpital public !TOUS COUPABLES ET RESPONSABLES ! En France, la population paye un très lourd tribut humain,...

Le projet Macron de réforme des retraites en 10 questions-réponsesLe projet Macron de réforme des retraites en 10 questions-réponses

L'histoire de notre système de retraites par répartition, celle de sa casse, des « réformes » successives et des discours qui les accompagnent, est essentielle pour comprendre le projet Macron,...

Qu’est-ce que l’Union européenne ?Qu’est-ce que l’Union européenne ?

Première partie Nous sommes partisans de la rupture avec l’Union européenne et ses institutions. Nous militons pour l’abrogation des traités dit « européens » et inconditionnement pour «...

Comment naît le besoin d’un parti des travailleursComment naît le besoin d’un parti des travailleurs

« Personne ne nous représente ». Cet ouvrier de Roubaix sollicité par le Point 1 à propos des élections exprime la sensation de millions de salariés. Beaucoup de gens ne supportent plus ces...

Pourquoi militer avec La Commune ?Pourquoi militer avec La Commune ?

Notre journal La Commune paraît depuis bientôt vingt-cinq ans. Notre site web met à la disposition de tous quinze années d’archives (articles – documentation - lettres d’information -...



HAUT