Fonction publique : la curée

Dossier : la Révision générale des politiques publiques (RGPP)Le 10 juillet 2007, le Premier ministre François Fillon a donné le coup d'envoi de la RGPP (Révision générale des politiques publiques). Ce projet de casse monumentale du service public est mené par le désopilant Eric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics et de la Fonction Publique. Fermeture de tribunaux, d'hôpitaux, de casernes, fusion impôts-Trésor, compression des administrations ministérielles centrales, le casseur mandaté par Sarkozy pour faire " place nette " poursuit sa politique. Le 20 février 2008, SArkozy a reçu de chaudes félicitations, en ces termes : " Les administrateurs félicitent vivement le gouvernement pour ses révisions générales des politiques publiques (RGPP) et de prélèvements obligatoires (RGPO) [...] Ils observent que le gouvernement a déjà pris des mesures pour atténuer le caractère très restrictif de la réglementation du travail, notamment en assouplissant les dispositions des 35 heures et en encourageant l'accord conclu par les partenaires sociaux visant à rationaliser les contrats d'emploi et à accroître la flexibilité du travail ".
De qui cet éloge émane-t-il? Du Conseil d'administration du FMI, présidé par le " socialiste " français Dominique Strauss-Kahn (voir le site du FMI : http://www.imf.org/external­/np/
sec/­pn/2008/fra/pn0823f.htm).

Parallèlement, Jean-Ludovic Silicani, conseiller d'état et rapporteur général de la conférence nationale sur l'avenir de la Fonction Publique, a remis au gouvernement un document intitulé : Livre Blanc sur l'avenir de la Fonction Publique, faire des services publics et de la Fonction Publique des atouts pour la France. De cet ouvrage ressortent " six orientations stratégiques et 40 propositions ". Il est toujours amusant de constater que l'on puisse organiser de si importantes pseudo consultations, puis rédiger un document de 236 ages, pour n'aboutir finalement qu'au même florilège de litanies resservies de gouvernement en gouvernement depuis des lustres. Mais penchons-nous quand même sur ce dont à accouché M. Silicani.

" Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ". épargnons-nous le fallacieux diagnostic de rage (plus de 60 pages) pour nous concentrer sur la technique de noyade. Nous retrouvons, engluée dans un flot de phrases oiseuses, la liste exhaustive de tous les fantasmes réactionnaires de la bourgeoisie au pouvoir en ce qui concerne la Fonction Publique.

En voici quelques uns des plus significatifs.

La privatisation

Proposition n° 4 :

" Conserver un champ large au service public.

Dans le modèle européen qui s'est construit depuis la Libération, les services publics recouvrent un champ large. Cela n'est en rien incompatible avec l'économie de marché.

[...] En revanche, il n'est pas nécessaire que tous ces services publics soient assurés par les collectivités publiques. "


Nous y voilà.

Proposition n° 5 :

" Poursuivre l'évolution progressive du statut des entreprises publiques.

Les entreprises publiques n'exerçant pas de missions de service public :

En principe, ces dernières n'ont pas vocation à demeurer dans le secteur public.
[...]

Les entreprises publiques exerçant, au moins pour partie, des missions de service public à caractère industriel et commercial, autrefois en situation de monopole, se sont progressivement ouvertes à la concurrence. [...]

La seconde question est celle du maintien de leur caractère d'entreprise publique.

Le choix fait en France a été de maintenir une propriété publique.
[...]

l'évolution conduira sans doute à ce que progressivement, d'une part, ces entreprises se transforment en sociétés et que, d'autre part, la participation de l'État à leur capital se réduise, voire, dans certains cas, que l'État s'en retire [...] ".

Voilà qui a au moins le mérite d'être clair. Pour une rupture, c'est une rupture ! Après des années de privatisations à marche forcée par les gouvernements précédents, y compris PS-PCF-Verts, l'UMP-Sarkozy va ... continuer à privatiser !

Proposition n° 6 :

" Mieux spécialiser chaque catégorie de collectivités publiques dans l'exercice de certaines missions et renforcer les capacités de régulation de l'État.
[...]Nous avons donc besoin aujour­d'hui de plus d'État régulateur. [...]

Si tel est le cas, l'État [...] pourrait être, moins qu'aujourd'hui, un prestataire direct de services de masse. "

Il est vrai qu'un " état prestataire " est aberrant aux yeux de nos chers réformateurs. Qui dit prestation doit forcément vouloir dire marge, commission, profit, dividende ...

Proposition n° 7 :

" externaliser certaines tâches en contrôlant strictement leur exécution.

[...] permettre aux collectivités publiques de se concentrer sur le coeur de leurs missions ou de leurs métiers en confiant à d'autres, généralement des entreprises, le soin de produire certains biens ou services. [...] les moyens des collectivités publiques sont ainsi con­cen­trés sur les tâches essentielles qui ne peuvent et ne doivent être exercées que par elles ; les autres tâches sont effectuées par des opérateurs spécialisés compétents dans les domaines concernés, et donc normalement à moindre coût. "

" Externaliser ", nouveau terme en vogue qui permet d'éviter d'avoir la franchise de parler de privatisation. Quant au " moindre coût ", il ne s'agit que d'un trompe-l'oeil. Pour un service équivalent, un prestataire privé reviendra toujours plus cher qu'une équipe d'agents publics. Si économie il y a, elle ne se fera que sur la quantité et la qualité des services rendus et, par dessus tout, sur les pensions. Nous y reviendrons.

" La DSP [délégation de service public] ne peut cependant conduire à déléguer le coeur d'une mission régalienne [...]. En revanche, un marché public ou une DSP peuvent être utilisés, même pour ces missions, pour assurer un service de " second rang ", de nature matériel ou logistique généralement. On peut citer, à ce titre, l'importante politique d'externalisation menée depuis dix ans par le ministère de la défense, administration régalienne s'il en est. "

Bel exemple en effet que le ministère de la défense, qui va fermer plusieurs dizaines de casernes dans les années à venir. Si l'on n'envisage pas de pleurer sur le sort des militaires, les emplois de fonctionnaires civils feront aussi les frais de cette " réorganisation ".

" D'autres exemples intéressant l'externalisation peuvent être signalés : celle, assez fréquente, dans les collectivités territoriales, des cantines scolaires et, dans les hôpitaux, de la restauration des malades ; dans beaucoup d'administrations, celle de l'entretien et du gardiennage des locaux. "

Très intéressante cette allusion aux hôpitaux alors que le rapport Larcher sur les missions de l'hôpital, autre joyau de rhétorique libérale, vient de sortir. Il devrait aboutir à la fermeture de 200 hôpitaux d'ici 2010 selon la CGT.

La casse du statut

Le statut du fonctionnaire est fondé sur la séparation du grade et de l'emploi. De quoi s'agit-il ?

Le fonctionnaire est titulaire de son grade, de son statut. Il le possède en quelque sorte. l'état, lui, ne possède que l'emploi du fonctionnaire, son poste. En principe, l'Administration est tenue de le lui garantir. Si un emploi disparaît pour une raison ou pour une autre, un nouveau doit être proposé à l'agent qui l'occupait, contrairement à l'ouvrier du secteur privé qui sera licencié. C'est à cette garantie d'emploi que le livre noir de Silicani s'attaque insidieusement.

La séparation du grade et de l'emploi est le socle fondamental du statut du fonctionnaire, l'assurance de sa neutralité, le rempart à toute pression.

Proposition n° 9 :

" Simplifier l'organisation statutaire de la Fonction Publique de l'État

En lieu et place des quelque 700 unités statutaires actuelles de l'Etat
[...], il est proposé de mettre en place un nombre restreint de " cadres statutaires ".

En première analyse, il est possible d'identifier sept filières professionnelles : filière d'administration générale ; filière financière et fiscale ; filière sociale ; filière de l'éducation et de la recherche ; filière culturelle ; filière technique ; filière de la sécurité. "


De l'arithmétique comme on l'aime, 700 + Silicani = 7. Le tour est joué. Avec " 7 grandes familles de métiers ", on peut faciliter la polyvalence des agents qui pourront évoluer dans n'importe quelle Fonction Publique du moment qu'ils restent dans leur " famille " (principe du " cadre d'emploi " déjà en vigueur dans la Fonction Publique territoriale et hospitalière ).

Proposition n° 23 :

" Organiser la sortie de la Fonction Publique des agents devenus inemployables ou dont la valeur professionnelle est insuffisante

Il convient de trouver un équilibre en­tre plusieurs préoccupations :

- permettre à l'administration d'affecter les agents là où existent des besoins ;

- ne pas laisser en poste les agents qui ont des difficultés récurrentes et importantes les empêchant d'assumer les responsabilités qui leur sont con­fiées ;
[...] "

Voila un tour de passe-passe rondement mené.
Si le licenciement d'un fonctionnaire ou même son déplacement d'office sont très difficiles à réaliser (passage en conseil de discipline, etc ...), il serait très simple de se débarrasser de ce même agent avec les dispositions Silicani. Il suffit de le mettre en " instance d'affectation ".

Grâce à la fameuse " externalisation " vue plus haut, il sera très simple de décider que l'emploi d'un fonctionnaire n'est plus nécessaire puisque sa prestation est désormais réalisée par un intervenant privé, plus " souple " en terme de gestion.

Licenciements dans la Fonction publique ?

Pendant cette période (trois mois) [instance d'affectation], l'administration a l'obligation de proposer deux postes à l'agent concerné (obligation de réemploi), dont un dans la région d'affectation antérieure.

À l'issue de cette période de trois mois, si l'agent n'a ni accepté les propositions d'af­fectation qui lui ont été faites ni trouvé lui-même une autre affectation, au travers de la bourse de l'emploi public, il est proposé d'utiliser la procédure de réorientation professionnelle prévue par le projet de loi sur la mobilité et les parcours professionnels en cours d'examen.

Venons-en un instant à ce Projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la Fonction Publique :

" Divers moyens sont mis en oeuvre pour favoriser la réorientation de l'agent : actions d'orientation, de formation, d'évaluation, de validation des acquis de l'expérience professionnelle, période de professionnalisation, consacrées par la loi de modernisation de la Fonction Publique du 2 février 2007.[...] ". En revanche, il perdrait le bénéfice de ce dispositif s'il refusait successivement trois emplois publics correspondant à son grade et à son emploi. Dans ce cas, il pourrait être placé d'office en disponibilité ou être mis à la retraite. Un licenciement qui ne dit pas son nom.

Ah... c'était donc ça ! Rappelons qu'en période de disponibilité, le fonctionnaire perd toute rémunération.

Evaluation et salaire au " mérite "

Déjà à l'essai dans plusieurs ministères : l'entretien professionnel d'évaluation. Remplaçant un système de notation que d'aucuns jugent trop " automatique " et engendrant des déroulements de carrières trop fluides et favorables à l'avancement des fonctionnaires, le principe de l'évaluation risque d'être impitoyable.

Les textes prévoient déjà la possibilité de licenciement pour insuffisance professionnelle. Toutefois, le très faible recours à cette possibilité (une vingtaine de cas en 2006) conduit à s'interroger sur les pratiques de management et sur le dispositif juridique actuel. La procédure à suivre est celle qui existe en matière disciplinaire. Il n'est pas proposé de la modifier. [...]

En ce qui concerne les critères de fond du licenciement pour insuffisance professionnelle, il est proposé de retenir celui tiré de l'évaluation : un agent, dont la valeur professionnelle aura été estimée insuffisante de manière répétée, pourrait faire l'objet d'un licenciement pour ce motif.

Le responsable hiérarchique évaluateur devient donc tout-puissant. Son simple jugement sur la " valeur professionnelle " du fonctionnaire pourra suffire à le pousser vers la sortie.

Proposition n° 29 :

" Distinguer, dans la rémunération des agents, une composante liée au grade et une autre liée à l'emploi "
Pour deux agents du même grade et de la même ancienneté, le salaire aurait une base identique (rémunération statutaire) mais une part (rémunération fonctionnelle) varierait selon la " cotation "de l'emploi occupé.

Proposition n° 30 :

" Personnaliser la rémunération fonctionnelle en tenant compte de la difficulté du poste et des résultats de l'agent.
Le mérite si cher à Sarkozy enfin ré­com­pensé !
Il existe déjà, quoi qu'on en dise, une part des primes versées aux fonctionnaires, établie plus ou moins ouvertement " à la gueule du client ". Silicani propose de l'augmenter significativement.

Tout est fait pour dégoûter le fonctionnaire. Lui montrer qu'il n'a aucun intérêt à rester fonctionnaire.

Dépenses de l'état : 118 milliards d'euros pour payer les fonctionnaires

On pourrait facilement citer jusqu'à l'écoeurement des pages et des pages de ce livre blanc . C'est inutile, l'objectif inchangé depuis des années est clair : dégraisser massivement la Fonction Publique et surtout celle de l'état en accélérant le désengagement dans les services publics.

Pour quelle obscure raison veulent-ils à tout prix supprimer l'idée même de Fonction Publique alors que le recours au privé ne coûtera pas moins cher ?

Le mystère est très vite éclairci : en 2006, les dépenses totales de l'état s'élevaient à 266 milliards d'euros, soit un déficit de 45 milliards. Sur ces 266 milliards, 118 milliards, soit 45 %, ont servi à payer les agents de l'état (enseignants, agents de tous les ministères, civils et militaires de la Défense, etc.).

On comprend mieux la volonté acharnée visant à ne pas remplacer les fonctionnaires partant à la retraite, à ne plus embaucher dans aucune filière, à tarir les concours ...

En finir avec les pensions civiles et le statut de fonctionnaire de l'état

Le fonctionnaire d'état est payé deux fois par l'état : en activité d'abord puisjusqu'à la fin de ses jours. Le fonctionnaire d'état n'a pas de caisse de retraite. Sur sa feuille de paie, la rubrique " coût total employeur " est fictive puisqu'à la retraite c'est l'état qui lui verse une allocation, sa " pension civile " comme s'il continuait à s'agir d'un salaire. Le fonctionnaire est " pensionné de l'état " qui lui assure sa retraite pour services rendus à la Nation.

Pour les fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers, c'est différent. Si le calcul est le même que pour les fonctionnaires d'état, (75 % du salaire brut calculés sur les 6 derniers mois) les pensions sont versées par la CNRACL (Caisse Nationale de retraites des agents des Collectivités Locales), gérée par la Caisse des Dépôts et Consignations. Ce dispositif a l'avantage de ne pas apparaître dans le budget de l'état.

Nous l'avons vu lors des transferts de personnels d'état vers la Fonction Publique territoriale (personnels TOS de l'éducation nationale, DDE, etc.), lors des privatisations (La Poste, France Télécom, EDF-GDF, etc.), il ne faut plus de fonctionnaires d'état.

Le livre blanc prône le recours aux contractuels. Il prône la mobilité pour faciliter les transferts vers les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Il prône l'aide financière pour le départ des fonctionnaires vers le secteur privé, donc loin du régime des pensions civiles. Une fois le salarié en retraite, l'état n'aura plus rien à voir avec lui. Et surtout rien à débourser !

La casse des services publics, objectif des gouvernements depuis 25 ans

S'il est impossible de supprimer des pensions, il sera toujours possible de procéder à des coupes budgétaires qui n'amèneront, par exemple, qu'à congédier des prestataires privés.

Et après ? Oh pas grand chose, juste le naufrage des services publics. Mais ce ne sera plus le problème de l'état désengagé. Il deviendra ce qu'il est déjà un peu plus chaque jour, la galère des salariés, de la population pour trouver une poste, une maternité, une gare à proximité, une route ou un réseau ferré bien entretenus ... à ce sujet, le Président de Réseau Ferré de France (RFF) ne vient-il pas de révéler que 2000 km de voies ferrées sont en état de délabrement avancé, remettant en cause la sécurité des voyageurs ? Il est grand temps d'arrêter le bras des casseurs.
Modifié le mardi 13 mai 2008
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