« Le rendez-vous manqué »*

Le caractère extravagant de cette campagne présidentielle concentre tous les aspects de la crise de régime, de la crise des partis, de la crise de représentation politique, qui marquent la situation politique. Tout s’accélère sous pression de la lutte des classes. Les grèves et manifestations du printemps 2016 pour l’abrogation de la loi El Khomri ont marqué un tournant majeur dans la situation politique en ceci qu’elles en façonnent le contexte politique actuel.

« Le rendez-vous manqué »*

Régime anti-démocratique par définition, la Ve République a été conçue par De Gaulle pour domestiquer et mettre au pas la classe ouvrière, intégrer les syndicats à l’Etat et liquider le mouvement ouvrier et démocratique. Dès l’origine, la « V ème »s’est dotée d’une formation de combat, le parti gaulliste, dont la dernière appellation contrôlé est le parti LR. A sa tête, François Fillon, béni par la « primaire de la droite et du centre », est passé du statut de prochain président de la République à celui de voyou assisté. Ici, un rappel chronologique s’impose.

25 janvier 2017 : Le Canard enchaîné révèle que Pénélope Fillon a perçu 500 000 euros en tant qu’attachée parlementaire sans que la réalité de son travail soit prouvée. Emploi fictif ? François Fillon dénonce l’ouverture de «la séquence des boules puantes » et se dit « scandalisé par le mépris et la misogynie » de l’article. Il demande à être reçu «dans les plus brefs délais par les enquêteurs » pour « rétablir la vérité » par le Parquet National Financier (PNF) qui ouvre une enquête préliminaire sur ce « dossier ».

26 janvier : Invité du 20 heures de TF1, Fillon déclare qu’il renoncerait à la présidentielle s’il était « mis en examen ». il assure que Pénélope travaille pour lui « depuis toujours ». Les enfants Fillon ont aussi été embauchés par leur père : Marie touche 57 000 euros en 15 mois, Charles, 26 500 euros en six mois comme « avocats ».

Un « Coup d’Etat Institutionnel » ?

1 er février : Les compteurs s’affolent. Le Canard enchaîné révèle que ce sont désormais 920 000 euros qu’auraient perçu par Pénélope et les enfants... Fillon demande à ses soutiens de « tenir 15 jours » le temps que le PNF mène ses investigations. Fillon dénonce un «coup d’État institutionnel » contre sa candidature et accuse « la gauche » et « le pouvoir » d’en être les initiateurs. Fillon dégringole dans les sondages (moins 5 à 6 points entre janvier et février). De plus, Fillon aurait perçu plus de 750 000 euros de salaires et de bénéfices de sa société 2F Conseil entre juin 2012 et décembre 2015.

2 février : le PNF étend son enquête aux emplois fictifs des deux enfants Fillon.

« Je n’ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre ». « Je ne m’occupe pas de sa communication ». avait déclaré Pénélope Fillon au cours d’une interview au Daily Telegraph en 2007 rediffusée par Envoyé Spécial.

6 février : Conférence de presse de Fillon. Il «présente ses excuses aux Français » et reconnaît une « erreur ». Revenant sur la diffusion de l’interview auDaily Telegraph, il déclare que son épouse « n’a pas été assistante à l’insu de son plein gré »…

7 février : Selon Le Canard enchaîné, Pénélope Fillon aurait perçu 45 000 euros d’indemnités de licenciements versées en deux fois (2002 et 2013).

Victime d’un « tribunal médiatique » ?

11 février : Fillon se dit être victime d’un « tribunal médiatique ». Les affaires sont des prétextes pour le « lyncher » et « l’assassiner politiquement ». Réaction de Dominique Bussereau : « Je ne crois pas au complot et aux officines. Je crois que les journalistes font leur travail ». Pour Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI : « La presse fait son travail et je ne pense pas qu’il y ait un complot ».

15 février : Pour François Bayrou, président du MoDEM, « la séparation des pouvoirs, ce n’est pas la protection des abus ni la dissimulation des dérives. » « Comment faire une campagne électorale dont tout l’axe était de demander des sacrifices aux gens, de faire travailler davantage les salariés et les fonctionnaires sans les payer davantage, de s’émouvoir qu’on puisse accumuler un certain nombre d’allocations, s’indigner de ce qu’il y avait des gens qui recevaient des aides alors qu’ils ne travaillaient pas. Cette campagne est, à mes yeux, impossible à faire. »

16 février : Dans un communiqué de presse (fait très rare), le PNF annonce que : « les nombreux éléments déjà recueillis ne permettent pas d’envisager, en l’état, un classement sans suite de la procédure. » visant les époux Fillon et leurs enfants. Fillon dénonce « un acte de communication qui nourrit le feuilleton médiatique ». « Il n’y a rien de nouveau, ni poursuite ni mise en examen ».

Via sa société 2F Conseil, Fillon aurait perçu entre 2013 et 2016 de 140 000 à 210 000 euros pour des interventions au cours de « colloques » à l’étranger (Kazakhstan, Pologne, Espagne, Emirats arabes unis, Maroc…).

18 février : Pour Henri Guaino, « Ce n’est pas raisonnable de persévérer dans une campagne qu’il est impossible de conduire. C’est une folie pour la droite, un mauvais coup porté aux institutions, l’assurance que le rendez-vous de la présidentielle est manqué. »

22 février : François Bayrou annonce son ralliement à Emmanuel Macron.

24 février : Le PNF ouvre une information judiciaire.

Un « assassinat politique » ?

26 février : Pour Fillon, le gouvernement laisse se développer « un climat de guerre civile ».

1 er mars : Fillon annule sa visite au Salon de l’agriculture et annonce sa convocation le 15 mars devant un juge en vue d’une éventuelle mise en examen. Fillon persiste : « Je ne céderai pas, je ne me rendrai pas, je ne me retirerai pas ». Et de fulminer : « C'est un assassinat politique. Ce n'est pas moi seulement qu'on assassine, c'est l'élection présidentielle. Je me rendrai à la convocation des juges. C'est au peuple français que je m'en remets. C'est la démocratie qui est défiée ». Fillon appelle à un rassemblement du « peuple français » au Trocadéro le 5 mars. Bruno Le Maire, démissionne de l’équipe de campagne de Fillon et déclare : « Je crois au respect de la parole donnée. Elle est indispensable à la crédibilité de la politique », rappelant l’engagement de retrait en cas de « mise en examen ». Le premier président et le procureur général de la Cour de cassation réagissent dans un communiqué de presse commun aux accusations lancées par Fillon. Ils dénoncent des « reproches outranciers » et réaffirment que les magistrats « suivent leur rythme en toute indépendance ». Jean-Christophe Lagarde annonce que l’UDI suspend sa participation à la campagne de Fillon.- Pour Mélenchon : « Ça me fait presque de la peine pour mes compatriotes qui auraient le droit d’avoir un candidat qui puisse être présentable ». « C’est l’élection la plus importante du notre pays et nous voici tous suspendus au sort de quelqu’un qui sait par avance qu’il va être mis en examen. »

Un « compteur des lâcheurs de Fillon »

2 mars : Gilles Boyer, trésorier de la campagne de François Fillon présente sa démission. Les maires de droite de Mulhouse, Nancy, Saint-Etienne, Reims, appellent au retrait de la candidature de Fillon.

3 mars : Patrick Stefanini, directeur de la campagne de François Fillon, annonce sa démission, suivi de Thierry Solère, organisateur de la « primaire de la droite et du centre » et porte-parole de Fillon.

Un « compteur des lâcheurs de Fillon » a été ouvert par Libération le 2 mars. Au total, 296 « lâcheurs » sont identifiés (ce 9 mars) dont : Patrick Stefanini, , Bruno Lemaire, Yves Jégo, Benoît Apparu, , Alain Lamassoure, Pierre Lellouche, Catherine Vautrin, Georges Fenech, Renaud Muselier, Nadine Morano, etc.

Ils soutiennent Fillon : Bruno Retailleau, Jean-Pierre Raffarin, Eric Ciotti, Brice Hortefeux, François Baroin, Laurent Wauquiez, Hervé Morin, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé…

Pour Nicolas Sarkozy : « Cela ne peut pas durer comme ça ».

L’UDI retire son soutien à Fillon et demande aux Républicains de « changer de candidat ». Fillon appelle ses partisans à participer à la manifestation du Trocadéro pour « résister ».

4 mars : Fillon en meeting à Aubervilliers : « N’abdiquez pas, ne renoncez jamais ! » « On veut vous intimider. On s’attaque à moi. Mais à travers moi, ce qu’on cherche à abattre, c’est le redressement national ». Perquisition du château du couple Fillon dans la Sarthe.

5 mars : Manifestation au Trocadéro. Christian Estrosi, Xavier Bertrand, Jean-Frédéric Poisson, président du PCD ( Parti chrétien démocrate) ne participeront pas au rassemblement : « On ne fait pas campagne contre les juges » résume Poisson.

6 mars : Juppé déclare au cours de sa conférence de presse : «Je ne serai pas candidat à la présidence de la République », «il est trop tard », François Fillon est dans une « impasse ». Après la défection finale de Juppé, telles des poules, les « lâcheurs »’retournent au poulailler, dare-dare, en rase campagne, toute honte bue. Le comité politique LR renouvelle «à l'unanimité son soutien » à Fillon. Gérard Larcher assure : « la droite est derrière François Fillon ».

7 mars : D’après Le Canard enchaîné, François Fillon a reçu un prêt (non déclaré) de 50 000 euros de la part de son ami Marc Ladreit de Lacharrière.

Le parti LR est pulvérisé sous nos yeux. Au même moment, le PS est en état de choc cérébral. De ce chaos au sommet, émerge la candidature Macron, propulsée par le Capital financier qui avait au départ misé sur Juppé..La décomposition complète du PS et du PCF accouche de deux « rassemblements » en toc : « En Marche » (derrière Macron) d’une part et « France Insoumise » (derrière Mélenchon), d’autre part. Tous tentent de sauver ce qui peut l’être de ce régime qui s’effondre, sous les coups de béliers de la résistance et de la colère des classes populaires.



Wladimir Susanj,
11 mars 2017



* Formule employée par Henri Guaino

Modifié le dimanche 12 mars 2017
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