Cruauté sociale et effondrement politique

Il s’appelait Laurent. Il avait 36 ans, il était neurochirurgien en pédiatrie au CHU de Grenoble. Il avait encore la vie devant lui et la passion de son art. Il vient de se donner la mort, ce 4 novembre, dans un bureau jouxtant le bloc opératoire. La direction du CHU a exprimé sa douleur, mais ce suicide s’ajoute à la longue liste des suicides à l’hôpital public qui, depuis au moins trois ans, est au bord de l’explosion, du simple fait de lois cruelles qui mettent patients et soignants en danger grave.

Jean-Louis MégnienJean-Louis Mégnien
(Photo : AN-JLMégnien)

Nous n’avons pas oublié la défenestration du Jean-Louis Mégnien, cardiologue qui s'est défenestré le 17 décembre 2015 depuis son bureau à l'Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris (XVe). Une association porte désormais son nom. Réagissant à la mort de son collègue Laurent, le professeur Philippe Halimi, président cette association dénonce : « Nous y avons 5 dossiers de médecins maltraités par leur hiérarchie, dont trois que nous avons transmis au médiateur national (…) il y a visiblement des problèmes à Grenoble. » 1

Quand les hôpitaux sont transformés en machines à sous

Cette maltraitance a un nom : le management. Le management appliqué à l’Hôpital public a un but : transformer les hôpitaux en machines à sous. Comment ? Au gré de la « tarification de l’acte », la T2A. Plus il y a d’actes, plus l’argent rentre. Plus les séjours sont courts, plus il y a d’actes. Les patients souffrant de pathologie lourde sont ensuite relégués dans des « SSR » : centres de soin de suite et de rééducation. Cette machine à sous exfiltre les malades et broie les personnels. Les médecins sont soumis à des horaires délirants et sont sommés de « faire du chiffre ». Personnels infirmiers, anesthésistes, soignants enchaînent les heures supplémentaires, les gardes, les patients s’impatientent. L’encadrement supérieur « manie » les femmes et les hommes (Management est un anglicisme qui vient du français, du verbe … manier). Cet encadrement brandit des « indicateurs » de « performances » et use de gros mots comme « l’excellence » et le « savoir-être ». Ici, les mots remplacent la trique, ils agissent comme des teasers. Au bout de cette spirale, c’est le désespoir.

Cette destruction psychologique (et physiologique) des salariés est induite directement par les suppressions de postes, les suppressions de lits et la flexibilité des horaires à l’infini qui brise la vie de famille des personnels, rompt leur sommeil et casse leur horloge biologique.

Des licenciements moyenâgeux

Les interventions des hommes politiques semblent alors complètement déconnectées de cette terrible réalité que l’on n’invoque éventuellement qu’à des fins de démagogie, de récupération, d’opposition en trompe-l’œil. Leurs monologues, leurs mises en scène, leurs « tacles », leurs pirouettes, leurs dérobades, leur enfumage permanent des choses nous livrent le spectacle permanent de leur décomposition. Ce cinéma-là jure avec la vraie vie : ce salarié de l'hypermarché Leclerc de Trélissac qui est licencié pour « vol », en réalité pour avoir mangé une banane dans la réserve du magasin car se trouvant en état d’hypoglycémie 2 . Cette salariée de l’hypermarché Leclerc de Niort, mère de deux enfants, licenciée pour avoir « volé » deux sandwiches. 3

Mélenchon et consorts dans la tourmente « médiatique »

À l’entendre, Mélenchon souffre, lui aussi. « J’ai eu droit à une tournante médiatique sur « ma déprime » après avoir « perdu la bataille » face à Macron. J’ai même entendu un « commentateur » dire de moi que je « n’en peux plus ». Et un autre que je serai en réalité « bipolaire ». Pour lui la maladie est une disqualification. Le Figaro s’est offert une première page sur le thème. La volonté de nuire du grand journal de droite atteste de sa conversion récente désormais assumée en faveur de Macron » 4 . Victime d’une « tournante médiatique » !!! Passons sur les heurs et malheurs des pontes de LFI : l’invitation de Corbière à Bern pour l’initier à « l’histoire du mouvement ouvrier » 5 , Garrido sommée de quitter son poste à LFI par le CSA (selon elle), pour rester sur la chaîne de Bolloré. Avec des opposants de ce genre, Macron pourrait tenir 20 ans !

Côté « Les républicains », tout fout le camp : les « constructifs » (proches de Macron) sont exclus. En catimini, Juppé se met « en marche » pour Macron et les survivants (Wauquiez et consorts) se radicalisent toujours plus à droite.

Tout peut arriver, à tout moment

Les oppositions assermentées sont indispensables à la cohésion du régime qui s’écroule (encore trop lentement). À à leur tour, elles sont marginalisées, inaudibles et fracturées. Cependant, ne faisons pas injure à Macron et à ses concurrents des diverses oppositions institutionnelles de ne pas comprendre que tout peut arriver, à tout moment.

Une société qui dévore ses hôpitaux est une société irréversiblement atteinte. En s’attaquant à ce fondement séculaire, le pouvoir en place quitte les bases de la civilisation. Atteint lui-même par une crise de domination politique sans issue, il créé alors une situation révolutionnaire.




Stéphane Nakache,
13 novembre 2017




1. http://www.leparisien.fr/societe/suicide-d-un-neurochirurgien-au-chu-de-grenoble-c-est-la-stupefaction-04-11-2017-7371975.php

2. http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/10/31/97002-20171031FILWWW00105-licencie-pour-faute-grave-apres-avoir-mange-une-banane.php (banane)

3. http://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/deux-sevres/niort/niort-employee-centre-leclerc-licenciee-avoir-vole-deux-sandwichs-1363627.html

4. http://www.gauchemip.org/spip.php?article30347

5. http://www.lefigaro.fr/vox/histoire/2017/11/13/31005-20171113ARTFIG00061-alexis-corbiere-m-bern-n-oubliez-pas-l-histoire-du-mouvement-ouvrier.php

Modifié le lundi 13 novembre 2017
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