Au-dessus du volcan

Mexique : après les élections présidentielles du 2 juilletLe soulèvement révolutionnaire au Mexique, à la frontière du plus puissant État impérialiste au monde, est une menace directe contre lui. Depuis la révolution des années 1910, celle de Pancho Villa et d'Emiliano Zapata, le Mexique n'avait connu qu'un seul mouvement de cette ampleur : celui qu'avait déclenché la nationalisation par le Président Lázaro Cárdenas de l'industrie pétrolière, en 1938. Depuis le 2 juillet, du jour au lendemain, des millions d'ouvriers et de paysans se sont dressés et lancés dans la lutte pour leurs droits.La période qui a précédé les élections présidentielles du 2 juillet a été marquée par une polarisation extrême, une fermentation dans le mouvement syndical et étudiant, ainsi qu'une série d'attaques contre les travailleurs de l'acier dans la ville de Lázaro Cárdenas, dans l'état de Michoacán, et contre les professeurs en grève dans la ville d'Oaxaca.

Une immense fraude

La campagne électorale, qui a duré dix mois, a vu se rassembler derrière Andrés Manuel López Obrador, dirigeant du PRD (Parti de la révolution démocratique), des millions d'ouvriers, de paysans, de jeunes décidés à en finir avec le gouvernement réactionnaire du PAN (Parti d'action nationale) et à infliger une cuisante défaite à son candidat Felipe Calderón.
Au lendemain du 2 juillet, George Bush et son ambassadeur à Mexico se sont empressés de féliciter Calderón pour sa " victoire ". Cette précipitation est à la mesure de la panique qui a saisi les milieux financiers américains au vu des développements de la situation et de la bombe à retardement que représentent les vingt millions de Mexicains immigrés dans le Sud-ouest des États-Unis, en raison de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) dont la mise en oeuvre a détruit l'agriculture mexicaine, condamnant à la surexploitation des milliers d'ouvriers et d'ouvrières dans des entreprises construites tout le long de la frontière avec les États-Unis.
Des immigrés qui viennent de montrer leur force dans les puissantes manifestations d'avril-mai de cette année, de Chicago jusqu'à Los Angeles [cf. La Commune n° 57, avril 2006]. Terrifiés par la perspective d'un " Chávez mexicain " aux frontières des États-Unis, George Bush et Felipe Calderón ont organisé une fraude électorale gigantesque et ce dernier a été déclaré élu avec 0,58 % de voix d'avance par le tribunal électoral, qui a officialisé cette prétendue " victoire " le 7 septembre alors que les résultats ont été falsifiés dans 70 % des 130 477 bureaux de vote.

Montée révolutionnaire

La fraude électorale a fait remonter à la surface toutes les contradictions qui, pendant des décennies, se sont accumulées dans la société mexicaine : le manque de démocratie, le chômage, les salaires de misère, la corruption généralisée, les millions de travailleurs forcés d'émigrer aux États-Unis - la moitié de la population mexicaine, soit 50 millions de personnes, vit dans la pauvreté - tous ces facteurs se sont combinés pour créer une situation explosive. 500 000 manifestants le 8 juillet, 1 500 000 manifestants le 16 et 3 millions le 30, qui ont organisé un gigantesque campement dans le centre de Mexico sur l'immense place du Zócalo, où se situe le siège du gouvernement, et dans toutes les avenues qui convergent à cet endroit, bloquant toute la circulation.

À Oaxaca, une ville de 260 000 habitants, capitale de l'état du même nom, qui compte 3,5 millions d'habitants, à 550 km au sud de Mexico, le mouvement est allé plus loin que partout ailleurs. Deux jours après des attaques contre les enseignants en grève, une manifestation de 400 000 personnes demandait la démission du gouverneur Ortiz. Au terme de quatre heures de lutte, les enseignants sont parvenus à chasser la police et à prendre le contrôle du centre de la ville.

Le mouvement a pris l'initiative de former l'Assemblée Populaire du Peuple d'Oaxaca (APPO). Des représentants d'assemblées de quartier ont été élus dans chaque rue, et ces assemblées ont à leur tour élu des représentants à l'APPO. Ces représentants élus et révocables sont responsables de la sécurité et du bon fonctionnement des affaires quotidiennes dans les quartiers et dans la ville. l'APPO a également proclamé son autorité suprême sur Oaxaca et l'illégitimité de la structure politique existante.

l'APPO rapporte également que des Assemblées Populaires se sont constituées dans d'autres états qu'Oaxaca, comme par exemple à Guerrero, à Michoacán, et même dans l'état de Basse Californie, dans le Nord du pays.

La Convention nationale démocratique

López Obrador a promis " une transformation radicale " du pays sur la base d'un gouvernement parallèle : " Nous allons vers un changement profond, un changement à la base, parce que c'est ce dont le Mexique a besoin. Nous allons reconstruire le pays, en faire un pays nouveau, juste et digne. [...] Nous n'allons pas seulement décider de la forme du gouvernement, mais de quelque chose de plus important : d'un plan général pour la transformation du Mexique ". Et c'est dans ce cadre qu'il a appelé à une Convention Nationale Démocratique (CND) qui s'est réunie dans le centre de Mexico, samedi 16 septembre. 1 025 724 délégués de tout le pays ont participé à cette CND, sans compter les dizaines de milliers d'autres qui n'avaient pas été officiellement enregistrés. Dans les semaines qui ont précédé ce rassemblement, le gouvernement mexicain a tenté d'en empêcher la tenue, mais l'ampleur de la mobilisation populaire est telle que, le 15 septembre, le Président en exercice, Vicente Fox, a dû renoncer - une première en près d'un siècle - à l'idée de faire le discours traditionnel que, chaque année, le Président prononce du balcon du Palais National, place du Zócalo, en référence au premier appel à la lutte pour l'indépendance de 1810.
Lorsque la CND a commencé, la première oratrice, Elena Poniatowska, a mentionné une lettre de Cuahtémoc Cárdenas, un ancien dirigeant du PRD, qui écrit que le mouvement " ne doit pas briser les cadres institutionnels " en élisant López Obrador comme " Président légitime ". Ces mots ont été accueillis par un tonnerre de désapprobation aux cris de : " Traître ! Traître ! ". De son côté, l'" Autre campagne ", en fait un appel ouvert à l'abstention aux élections présidentielles lancé par le Sous-commandant Marcos, a valu au responsable de l'EZLN le sobriquet de " Sous-comédien Marcos ". Le CND a approuvé plusieurs résolutions qui proclament que Felipe Calderón est un " usurpateur " et refusent de " le reconnaître comme Président légitime de la République ".

Un " plan de résistance " massivement approuvé inclut une journée d'action contre la privatisation des ressources énergétiques (électricité et pétrole) et une semaine d'action pour la défense de l'éducation publique contre la politique du PAN et de Felipe Calderón, qui prévoient de privatiser la compagnie pétrolière d'État PEMEX et la compagnie d'électricité, de créer un enseignement supérieur à deux vitesses, de détruire le système de sécurité sociale et d'éliminer les droits fondamentaux des travailleurs tels qu'ils ont été inscrits dans la Constitution, en 1917, lors de la révolution mexicaine.

" Obrador, Président ! "

La CND a atteint son point culminant lorsque la question de reconnaître López Obrador comme le Président légitime a été soumise au vote du rassemblement de masse. Certains proposaient de le proclamer " chef de la résistance ", cette proposition a été largement rejetée, et une écrasante majorité des délégués a déclaré López Obrador " Président de la République ". Il a été alors décidé que López Obrador formerait un gouvernement légitime qui s'installerait à Mexico, le 20 novembre, date anniversaire de la révolution mexicaine. Une mobilisation massive a été programmée pour le 1er décembre, dans le but d'" empêcher l'installation de Felipe Calderón comme Président ".

La bourgeoisie organise systématiquement une campagne destinée à restaurer la légitimité de ses institutions et à présenter López Obrador et tous ceux qui le soutiennent comme de " dangereux radicaux ". Elle a reçu le soutien, qui s'en étonnera, de la hiérarchie catholique, en la personne des cardinaux Sandoval et Rivera qui, lors de la messe du dimanche, ont demandé à López Obrador de reconnaître l'autorité de Felipe Calderón et d'" accepter les règles du jeu démocratique ".

En Amérique Latine

Alors que le Président vénézuélien Hugo Chávez a déclaré qu'il " ne reconnaîtr[ait] pas le gouvernement de Calderón ", son homologue bolivien Evo Morales a pris la position inverse, déclarant que " même s'il y a eu fraude, le vainqueur doit être reconnu ". Le 14 septembre, le ministre bolivien des affaires étrangères, Choquehuanca, a envoyé une lettre officielle à Felipe Calderón, dans laquelle sa " victoire " est reconnue.

Ce qui a commencé comme une lutte contre la fraude électorale se transforme rapidement en une situation révolutionnaire, dans laquelle des éléments de double pouvoir commencent à se faire jour. Chaque jour qui passe, la question est un peu moins le décompte " bulletin par bulletin, urne par urne ", et un peu plus " qui doit diriger la société ? ". Et cette question lancinante n'est pas, loin s'en faut, seulement mexicaine.
Modifié le mardi 10 octobre 2006
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