Lénine

Notes de lecturel'ouvrage biographique sur Lénine de J.J.Marie (professeur et historien trotskyste) publié en janvier 2004 est remarquable à plusieurs égards : tout d'abord il s'oppose radi­calement à l'idéologie dominante qui , depuis tout particulièrement la chute du stalinisme, couvre de boue Lénine en en faisant un monstre sanguinaire ; à tel point qu'un historien russe (Daniil Al) rescapé du Goulag a affirmé qu'aujourd'hui on falsifiait l'histoire en­core plus que sous Staline ensuite, l'auteur mêle à la fois le processus révolutionnai­re en Russie, l'évolution politique de Lénine, et des petits détails de sa vie quotidien­ne ; enfin, le style de l'auteur rend la lecture agréable et tient le lecteur en haleine pendant près de 500 pages...Vladimir Ilitch Oulianov est né en 1870, 9 ans après l'abolition du servage en Russie dans une famille petite bourgeoise cultivée (père professeur de lycée qui finira sa carrière comme conseiller d'Etat et grand-père maternel médecin). Très vite, Vladimir se fait remarquer comme un élève doué et brillant, passionné de lecture, avec un certain goût pour la raillerie, ce qui est loin de plaire à ses condisciples. La pendaison de son frère aîné, Alexandre, pour tentative d'attentat contre le tsar en 1887 le marquera. A ce moment Vladimir ne fait pas de politique ; il est reçu premier à l'examen final de lycée et s'inscrit en droit à l'université de Kazan. C'est au début des années 1890 qu'il commence à lire des ouvrages politiques, en particulier ceux de Marx et d'Engels, mais sans enga­gement dans l'action ; ce sont avant tout des années de réflexion et de maturation.

Les premiers pas politiques

Le début de son activité politique remonte environ à 1893 à St Pétersbourg avec sa parti­cipation à des cercles marxistes. Déjà à l'époque il ne supporte pas l'amateurisme, le dilettantisme, et il impressionne par son assurance, la clarté de ses exposés et l'étendue de ses connaissances ; dans les polémiques ses interventions sont toujours in­cisives. En 1895 il peut enfin quitter la Russie et se rendre à l'étranger où sont déjà exilés un certain nombre de marxistes russes. C'est à cette période qu'il se met à écrire (son premier grand ouvrage sera "Le développement du capitalisme en Russie"). Avant 1917, il passera une grande partie de sa vie en dehors de la Russie. Il y mène une existence très modeste passant de longues heures dans les bibliothèques. Assez ra­pidement il se démarque des sociaux-démocrates (marxistes) de l'époque, affirmant l'ori­ginalité de sa pensée politique (nécessité d'un parti ouvrier, liens entre revendications économiques et combat politique... ).

Théorie et pratique

Il participe à la création en 1898 du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie). Après le premier numéro de l'Iskra (journal révolu­tionnaire) en 1900 en 500 exemplaires, Lénine dira : "une lutte économique qui n'est pas unifiée par un organe central ne peut devenir la lutte de classe de l'ensemble du prolé­tariat russe", dans un contexte où il n'existe aucun autre moyen d'action qu'ont les ouvriers occidentaux (syndicats, action parlementaire, agitation électorale...). Son style s'affirme peu à peu et d'après un historien (D. Shub) : "Lénine n'écrivait que pour influ­encer les actions des hommes. Si son écriture est souvent répétitive et ultra simplifiée il martelait son propos avec une grande efficacité". En même temps, il se refuse au moin­dre dogmatisme sur le plan théorique. Le marxisme à ses yeux est une méthode d'analyse à enrichir ; dès 1899 il disait de la théorie de Marx qu'elle avait posé les "pierres angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions s'ils ne veulent pas retarder par eux-mêmes la théorie, car celle-ci n'indique que des principes généraux qui s'appliquent dans chaque cas particulier". Son assurance n'empêche pas Lénine de se remettre en question, de revenir sur certaines analyses ; il sera également souvent mis en minorité parmi les sociaux démocrates qui l'entourent, y compris dans sa propre tendance, celle des bolcheviks. Sa forte ténacité lui permettra de l'emporter à certains moments décisifs.

Pour la III°Internationale

Par exemple, dès 1914, Lénine est le seul qui affirme la nécessité de fonder une nouvelle Internationale en vue de l'assaut révolutionnaire contre les gouvernements capitalistes, et de la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays. En avril 1917, face aux promesses mensongères du gouvernement provisoire il est le seul à envisager la deuxième étape de la Révolution, celle qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie. Lénine cherche en permanence à analyser avec méthode les événements et à en dégager des solutions pratiques pour les révolutionnaires. Il y a donc toujours une confrontation de la théorie avec la réalité sur le terrain. C'est ce qui pousse aussi Lénine à une boulimie d'écriture. Lénine vit pour la Révolution, pour la faire avancer aussi loin que possible ; toute sa vie sera subordonnée à ce but. Sans l'acharnement de Lénine, dira Trotsky en 1924, la Révolution aurait été vouée à l'échec, car c'était bien "maintenant ou jamais".Du début jusqu'à la fin l'inspirateur de l'insurrection fut Lénine. Et pourtant au lendemain de la Révolution, Lénine n'est sûrement pas un dirigeant omni­potent. Il dénoncera souvent la mollesse complaisante du pouvoir bolchevik. Il appar­tient à une direction et continue à se trouver régulièrement minoritaire quant à certai­nes de ses positions. S'agissant de l'appareil soviétique, il ne correspond pas à celui esquissé dans "l'Etat et la Révolution", et Lénine cherche inlassablement à l'améliorer, le simplifier. Mais finalement, sa volonté pèse peu face aux conditions d'action et à la résistance muette mais tenace de cet appareil. Une série de mesures sévères propo­sées par Lénine pendant la guerre civile seront rarement suivies d'effets. Lénine sait que le salut de la Révolution russe dépend du mouvement révolutionnaire dans les autres pays, c'est à dire du développement de la Révolution mondiale.
En général, ses journées sont très longues et épuisantes nerveusement et physiquement; rares sont les moments de détente, sans compter des problèmes de maux de tête et d'in­somnies dont il souffrait déjà avant la révolution. Après la tentative manquée d'assas­sinat contre lui à l'été 1918, l'état de santé de Lénine s'aggravera, lui rendant la vie politique de plus en plus pénible.

Le dernier combat

Lénine restera toujours très lucide sur les obstacles qui se dressent devant le nouveau régime : la perspective de la révolution mondiale s'éloigne, et la guerre civile a plongé le pays dans le chaos ; dès 1921, il déclare que le "pire ennemi intérieur, c'est le bureaucrate" incapable d'organiser le travail pratique.Il souligne aussi à partir de 1922 le danger du pouvoir illimité concentré dans les mains du Secrétaire général, en l'occurence Staline, dont il se méfie de plus en plus.Lénine meurt en janvier 1924, après des mois d'activité politique ralentie.Contre tous ceux qui veulent faire de Staline l'héritier, le fils spirituel de Lénine, ce dernier incarne bien une révolution ouvrière qui a fait trembler tous les défenseurs du capitalisme et donné de l'espoir à des millions de travailleurs. Victor Serge, rallié aux bolcheviks en 1917 et qui rompra dans les années trentes, affirmera plus tard que "les réactionnaires ont un intérêt évident à confondre le totalitarisme stalinien, exterminateur des bolcheviks avec le bolchevisme, afin d'atteindre la classe ouvrière, le socialisme, le marxisme".Ceci est toujours d'actualité ! Envers et contre toutes les calomnies, Lénine reste bien un grand théoricien marxiste, un chef de file audacieux et particulièrement volontaire, un organisateur sur le terrain, une référence incontournable pour le mouvement ouvrier international.
Modifié le mercredi 22 juin 2005
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