Pauvreté, travail et logement

travail et logement | 7 millions de travailleurs pauvres : entretien avec J. CottaPlus de 7 millions de salariés perçoivent un salaire inférieur à 722 euros par mois et plus de 12 millions ont moins de 843 euros de revenu mensuel. Plus de 3 sans domicile fixe sur 10 ont un boulot, qu'il soit à temps complet, partiel ou précaire. Jacques Cotta, journaliste de renomJacques Cotta a collaboré à Radio France, à divers supports de presse écrite ainsi qu'à plusieurs émissions de télévision (Droit de réponse, Envoyé spécial, etc.). Réalisateur de nombreux films d'investigation, dont Front national : la nébuleuse, récompensé par un 7 d'Or, il dirige actuellement la série de documentaires Dans le secret de ... sur France 2. publie chez Fayard : 7 millions de travailleurs pauvres, la face cachée des temps modernes. Au cours de cette enquête sans fard, Jacques Cotta dévoile une vérité que ceux qui nous gouvernent depuis 30 ans veulent cacher. Un livre indispensable à tout citoyen, tout militant. Entretien avec l'auteur.La Commune : À l'origine, comment t'est venue l'idée d'écrire ce livre ?

Jacques Cotta : l'histoire de ce livre a commencé dans une laverie automatique. Après avoir essuyé le refus d'une clocharde à qui je proposais d'appeler le SAMU social pour passer la nuit à l'abri du froid et de la pluie, un homme vêtu d'un costume en velours, portant une parka sur le dos, m'a demandé :

- Pour moi, monsieur, vous pourriez appeler ?

J'ai d'abord été surpris puis me suis exécuté. Après deux heures de discussion autour d'un café, dans l'attente de la maraude venue le récupérer, j'ai décidé de me lancer dans ce travail qui m'aura pris une année. Une année pour mettre au jour ce que tout le monde, hommes politiques de gauche comme de droite, veut aujourd'hui ignorer. l'existence de 7 millions d'hommes et de femmes liés au travail d'une façon ou d'une autre qui touchent moins de 722 € par mois, 12 millions qui lorgnent vers 843 €. Des millions qui ne peuvent assumer les nécessités de la vie quotidienne correctement, se loger, se soigner, se nourrir, s'habiller, éduquer leurs enfants ...



L. C. : Quelles sont les causes principales de l'émergence de cette couche de travailleurs pauvres que tu dépeins dans ton livre ?

J. C. : La pauvreté dans le travail est bien évidemment liée au salaire et à la nature même du travail. Depuis 1983, quand le gouvernement de Pierre Mauroy a instauré la rigueur, le gel des salaires a été quasiment constant au détriment des salariés alors que la rémunération du capital est passée de 8 du PIB à plus de 14 %. Les chiffres peuvent paraître rébarbatifs, mais ils sont éloquents. De 1988 à 2002, le pouvoir d'achat des revenus monétaires a augmenté de 202 % !



La pauvreté dans le travail est le produit d'une politique organisée



Et si on parle du travail, on perçoit que dans les 10 dernières années les contrats d'intérim ont augmenté de plus de 130 %, les CDD de plus de 60 % et les CDI, seuls contrats de travail permettant d'envisager un peu l'avenir, de seulement 2 %. La pauvreté dans le travail n'est pas le fruit d'une fatalité, mais bien le produit d'une politique organisée. Les exemples de cette politique abondent : la remise en cause des retraites, le CPE et le CNE, la " modération salariale ", lorsque les millions d'euros servent d'indemnités à quelques patrons, etc. J'ai rencontré des centaines de cas dont certains, plus démonstratifs les uns que les autres, sont exposés dans mon livre.



L. C. : Qu'attendent les travailleurs pauvres des organisations syndicales ?

J. C. : Déjà, ce que peuvent attendre, même s'ils ne le disent pas, les travailleurs en général. l'établissement et la défense nette de leurs revendications. l'efficacité dans l'action contre toutes les journées d'action à répétition de moins en moins suivies car connues pour leur inutilité. Ils attendent l'unité, l'indépendance vis-à-vis du gouvernement et de tous les organismes qui les lient aux intérêts du capital financier, notamment des organismes supranationaux tels l'OMC, les institutions européennes, la commission de Bruxelles et autres. Le 29 mai a été un bon exemple sur le terrain électoral de l'attente de millions de nos concitoyens qui depuis des années désertaient la chose publique. Mais les travailleurs pauvres ont peut-être une attente supplémentaire : celle d'être défendus lorsqu'ils subissent les coups particuliers réservés aux plus faibles et plus précaires. l'exemple de Faty, " technicienne de surface " dont je raconte l'histoire dans mon livre, est une bonne illustration de cette attente. Très vite elle et ses camarades se sont retrouvés seuls, après un premier mouvement de solidarité bien rapide, face à leur direction et au groupe Accor ...



L. C. : Les travailleurs pauvres comptent parmi les plus mal-logés. Pourquoi n'accèdent-ils donc pas aux logements sociaux HLM ?

J. C. : Ils cumulent de fait toutes les difficultés. La précarité et les faibles revenus qui les handicapent pour assumer les charges y compris des logements sociaux qui nécessitent des dépenses conséquentes. Mais en plus, comme tous ceux qui en ont besoin, ils subissent l'insuffisance de logements dans le domaine social. La non application par exemple de la loi SRU par une série de communes qui préfèrent payer des amendes dérisoires pour maintenir quelques ghettos de riches. Ou la non application de la loi permettant aux élus de réquisitionner des logements vacants lorsqu'il s'agit d'une question de sécurité élémentaire pour ceux qui sont à la rue ...



L. C. : Les travailleurs pauvres se reconnaissent-ils dans les discours des futurs candidats aux élections présidentielles ? Qui les représente à ce jour ?

Là encore, les couches de travailleurs pauvres ne font qu'amplifier un phénomène qui concerne tous les travailleurs en général. Depuis des années, la tendance à l'américanisation de la vie politique française - un PS qui ressemble de plus en plus au parti démocrate américain lorsque l'UMP prend le rôle du parti républicain - éloigne des couches entières de la vie politique qui les ignore. Meilleur exemple, le 29 mai.



Clivage avec l'oligarchie politique



Là, ils ont retrouvé le chemin des urnes poussés par le sentiment de pouvoir intervenir sur une ligne de clivage avec l'oligarchie politique, médiatique et économique. Idem sur les mobilisations telles les retraites ou le CPE. Mais pour le reste, le sentiment qu'il n'y a de différence qu'à la marge sur quelques questions sociétales entre les partis de gauche et de droite pousse à la démobilisation et au désintérêt de la vie politique traditionnelle. En fin de compte, c'est la démocratie elle-même qui risque fort d'en pâtir ...



L. C. : Ne crois-tu pas qu'on peut à court terme se retrouver en France dans une situation à l'argentine, avec l'effondrement des couches dites moyennes, de la petite bourgeoisie en somme ?

J. C. : Oui, je crois que des causes différentes peuvent avoir des effets identiques. Nous assistons ici à un vieux pronostic de Marx, qui se confirme tragiquement, un renforcement des pôles opposés de la société pendant que les couches moyennes, la petite bourgeoisie est inexorablement attirée vers le bas.



Des couches moyennes inexorablement attirées vers le bas



Une question illustre bien cette tendance forte, celle du logement. Il est maintenant fréquent de voir des pans entiers de la petite bourgeoisie menacés pour leur mode de vie, incapables de se loger décemment, de vivre comme cela était encore possible il y a quelques années. Prenez la question spécifique des ventes à la découpe qui touche au compte du capital financier, des banques, des fonds de pension et de la spéculation, des locataires qui ont des salaires élevés. Et qui les rejette loin des villes, de plus en plus loin, là où il y a peu encore ils n'auraient pas imaginer aller ...



L. C. : Quelles solutions vois-tu ?

J. C. : à court terme il y a la question électorale dont je crains fort que les acteurs de mon livre, les travailleurs pauvres, comme les travailleurs tout court d'ailleurs, ne puissent dans les faits attendre grand-chose. Avec mon livre j'ai voulu établir clairement un état des lieux. Le sens de la démarche devrait permettre d'ouvrir une véritable discussion sur les remèdes à apporter, en termes de travail, de salaire, de logement, de santé, de retraite, d'éducation, etc., bref, de rapport entre le capital et le travail. La question républicaine et sociale me semble centrale. Une discussion qui devrait être porteuse d'exigences, dont la première est le refus de tout sectarisme pour la mener, condition nécessaire au débat libre et à l'action collective ...

Propos recueillis par la rédaction de La Commune.

Modifié le mercredi 29 novembre 2006
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