La situation à la SNCF, six mois après mai-juin 2003

six mois après mai-juin 2003 | Entretien avec le secrétaire général de SUD-RailSix mois après les grèves de mai-juin 2003, quelle est la situation à la SNCF ? Annonce d'un plan de redressement du secteur "fret" de cette entreprise, menaces de mise en place d'un "service minimum anti-grève", éclatement de la FGTE-CFDT... Nous publions ci-après un entretien avec Christian Mahieux, secrétaire fédéral de SUD-Rail, cheminot à la gare de Lyon, qui nous livre son point de vue. La Commune : Le plan de redressement du fret, annoncé le 19 novembre par la direction générale SNCF, est clairement fondé sur un objectif de gains de productivité de 20 % sur trois ans qui cache mal la volonté de pratiquer une saignée sans précédent dans les effectifs et une réduction correspondante de " l'offre ". Ce plan fait suite à une campagne interne et externe sur le thème du " déficit très lourd de l'activité fret ". Si déficit il y a, d'où vient-il ? Existe-t-il un risque de filialisation du fret SNCF ?

Christian Mahieux : Au-delà des chiffres que gouvernement et direction jettent en pâture, c'est de choix politiques, de choix de société dont il s'agit. La question du transport, tant " voyageurs " que " fret " ne peut être abordée sous l'aspect du " coût financier " ; si on veut parler de coût, il faut parler de coût social. Le chemin de fer est le moyen de transport le plus sûr, le plus écologique, il a un rôle à jouer en matière d'aménagement du territoire. Oui, il y a un risque de filialisation du fret. Mais avant cette étape, il faut le recapitaliser pour que les sociétés privées en tirent ensuite profit. l'exemple britannique est édifiant : une fois privatisé, le chemin de fer a atteint un niveau de délabrement invraisemblable (avec de graves problèmes de sécurité, des accidents)... et a englouti plus d'aides financières de l'Etat - donc des citoyens - que lorsque la compagnie était publique !

L. C. : Depuis la manifestation anti-grève, anti-fonctionnaires et anti-cheminots du 15 juin dernier, les partisans d'un " service minimum " semblent déterminés à aller jusqu'au bout. D'autre part, un accord " minoritaire " a été conclu entre certains syndicats et la direction SNCF qui entrave un droit de grève déjà assujetti à la règle des préavis de cinq jours francs. Le droit de grève est-il menacé à la SNCF ? Face à ces tentatives pour l'étouffer, quelle devrait être selon toi la position unitaire des fédérations des cheminots ?

C. M. : Oui, le droit de grève est menacé. Cela fait partie des objectifs du Medef et le gouvernement s'applique à mettre en oeuvre, un par un, tous les désirs des patrons. A travers les accords du type " amélioration du dialogue social " signé à la SNCF par l'UNSA et la CGC, ou " prévention des conflits " (signé à la RATP par CFDT, CFTC, FO et deux des cinq syndicats CGT), les patrons n'ont qu'un but : casser les secteurs combatifs du mouvement ouvrier. Patronat, gouvernements, mais aussi certains syndicalistes font preuve de beaucoup d'hypocrisie sur ce sujet : les grèves ne sont pas dues pour l'essentiel à un " manque de concertation ", non, elles sont la traduction du rapport de forces qui oppose salariés et employeurs. La grève, c'est l'outil privilégié des travailleurs dans le combat qui les oppose à tous ceux qui veulent diriger le monde pour leur seul profit. Pour en revenir à la SNCF, il faut espérer que le front unitaire (CGT, SUD-Rail, FO, CFDT, FGAAC) restera inflexible et refusera de mettre le doigt dans une négociation sur quelque remise en cause que ce soit du droit de grève. Nos camarades italiens, victimes d'un accord signé par les confédérations CGIL, UIL, CISL, nous l'ont expliqué : accepter de commencer à en discuter, c'est accepter la remise en cause !

L. C. : Quelle est l'appréciation de SUD-Rail et du G10-solidaires sur l'accord interprofessionnel portant sur la " formation professionnelle " et ses possibles répercussions à la SNCF ?

C. M. : Le dossier " formation professionnelle " était un des chapitres importants de la " refondation sociale " dont se gargarise le Medef depuis quelques années ; refondation sociale qui n'est ni plus ni moins que l'application d'une politique ouvertement pro-patronale, pour laquelle le but essentiel est que les propriétaires d'entreprises fassent plus de profits, ce qui bien sûr ne peut être qu'au détriment des salariés et des chômeurs. Bien sûr, la loi sur la formation professionnelle datant de 1971 n'était pas la panacée. Les inégalités sont criantes : la formation professionnelle ne gomme nullement les inégalités issues du système éducatif qui, lui-même, favorise les classes sociales les plus aisées. Mais le nouveau texte approuvé par le patronat, la CGT, la CFDT, la CFTC, FO et la CGC entérine des reculs importants pour les salariés. Notamment, il banalise totalement le fait que la formation professionnelle puisse se faire... en dehors du temps de travail ! Le " droit individuel à la formation " est présenté comme l'innovation majeure par les signataires de l'accord ; elle crée effectivement un droit individuel qui n'existait pas (20 heures de formation par an et par salarié, cumulable sur six ans). Mais l'existence sur le papier d'un droit n'a d'intérêt que si on s'intéresse à ses conditions d'exercice : ces heures de formation peuvent se réaliser sur le temps de travail... ou en dehors. Dans ce dernier cas, le salarié reçoit une indemnité compensatrice équivalente à 50 % de sa rémunération nette. Cette indemnité est exonérée de cotisations patronales et salariales et n'est donc pas comptabilisée pour les droits à la retraite, au chômage, à la protection sociale. Ceci peut se faire (dans le cadre du cumul possible sur six ans) jusqu'à hauteur de 50 heures annuelles par salarié, qui ne seront ni comptées en heures supplémentaires, ni déduites du contingent maximum d'heures supplémentaires autorisé. D'autres types de formation seront aussi possibles en dehors du temps de travail, et ainsi jusqu'à concurrence de 80 heures par an. Un salarié verra ses heures de formation s'effectuer en dehors de son temps de travail, non payées en heures supplémentaires et même seulement à 50% du taux normal !

L. C. : Le Bureau national de l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires (CFDT) appelle ses militants, adhérents et électeurs à rejoindre la CGT. En tant qu'ancien militant de la CFDT qui, au lendemain de la grève de novembre-décembre 1995, a fait partie des syndicalistes CFDT ayant opté pour la création de SUD-Rail, comment apprécies-tu ce choix ?

C. M. : Je ne perçois pas la pertinence d'une démarche consistant à quitter la CFDT parce que son " recentrage " est arrivé à terme pour rejoindre la CGT qui, à travers son intégration de plus en plus forte dans la CES, a choisi d'entamer le même processus. Pour autant, je respecte et comprends le choix des collectifs syndicaux qui optent pour la CGT parce que, localement, cela leur paraît le meilleur moyen de continuer le combat syndical. Je m'interroge quand cela se traduit par des déclarations de l'ex-secrétaire de la CFDT-Cheminots disant se retrouver pleinement dans les orientations du dernier congrès confédéral CGT (celui de l'abandon de la référence aux 37,5 annuités !)

L. C. : Le BN démissionnaire de la CFDT- Cheminots considère que SUD-Rail " reste marqué par un fort sectarisme vis-à-vis des grandes confédérations " et que " la grève sur les retraites a montré les limites d'un syndicalisme essentiellement protestataire ". A l'évidence, cette appréciation recoupe un débat plus vaste sur : syndicalisme de revendication, syndicalisme de contestation, syndicalisme de proposition et syndicalisme d'accompagnement. Comment, à la lumière du bilan des grèves du printemps 2003 et de la crise de la CFDT, définirais-tu la place et le rôle des syndicats aujourd'hui et comment envisages-tu l'unité syndicale ?

C. M. : Notre histoire, marquée par des centaines de procès, par lesquels direction mais aussi CGT, CFDT, FO ont tenté de nous empêcher d'exister, a créé un sentiment d'amertume vis-à-vis de ces syndicats qui n'a pas été facile à effacer. Mais notre orientation est claire, nous l'avons réaffirmé lors de notre dernier congrès fédéral en juin 2003 : " Le sectarisme n'est pas compatible avec notre vision du syndicalisme. " Le mouvement du printemps dernier est un échec (nous avons là une divergence d'analyse avec la CGT qui continue à proclamer que " l'action se poursuit sous d'autres formes "). Toutes les organisations syndicales, tous les militants doivent être interpellés par cette situation ; pour ce qui est de SUD-Rail, l'apport de nombreuses équipes venues de la CFDT (à Lille, Amiens, Reims, Nantes, Lyon, Nevers, Modane, la Maurienne, Orléans, Paris Sud-Ouest, Moulin neuf, Nancy, Nice, Toulon...), de camarades qui avaient des responsabilités dans la CGT (ex-secrétaires de syndicat de Belfort, de Besançon...) nous amène une richesse supplémentaire qui doit nous faire évoluer positivement. l'unité syndicale est indispensable. Mais l'unité n'est pas l'uniformisation. Je ne crois pas au " syndicat unique " : soit c'est le modèle absolument anti-démocratique déjà expérimenté ailleurs, soit il débouche sur un fonctionnement en tendances, qui fige souvent le débat et ne règle finalement pas la question de la division, la reportant simplement au sein du syndicat. l'unité d'action syndicale se construit à la base, dans les pratiques communes. Les fédérations doivent impulser de telles démarches.
Modifié le lundi 20 juin 2005
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