Une loi scélérate

Analyse de la loi dite « d'égalité des chances »La mobilisation de la jeunesse et des salariés du pays tout entier a fini par avoir la peau du CPE, mort et enterré. C'est bien entendu une victoire considérable. Cependant, le reste de la loi qui contenait le CPE est toujours là. Cette loi sur " l'égalité des chances ", votée le 21 avril dernier, est une loi scélérate contre la classe ouvrière et la jeunesse.On en trouvera ci-dessous une analyse détaillée réalisée par Richard Abauzit, ancien inspecteur du travail et syndicaliste enseignant dans l'Hérault.

Travail à 14 ans

l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans disparaît de fait avec l'invention de l'apprentissage à 14 ans. On a beau certifier qu'il ne s'agit que d'un apprenti " junior " qui sera de 14 à 15 ans sous statut scolaire, il n'en quittera pas moins le collège (direction un LEP ou un CFA) et travaillera en entreprise (" stages d'initiation ") pendant une durée non précisée (renvoyée à un décret). Quoi qu'il en soit, il est évident que ces jeunes ne pourront pas même acquérir le " socle commun " garanti par la loi Fillon car, pour l'essentiel, il s'agira des enfants scolairement les plus en difficulté et ils auront moins de temps que les autres pour acquérir ce qui n'était déjà qu'un RMI des savoirs.

Travail de nuit, dimanche et jours fériés dès 15 ans : Retour au XIXe siècle

Dès 15 ans, le jeune pourra signer un contrat d'apprentissage. La loi Dutreil du 2 août 2005, complétée par les décrets du 13 janvier 2006, lui permettra de travailler la nuit (boulangerie, pâtisserie, restauration, hôtellerie, spectacles, courses hippiques), les dimanches et jours fériés (hôtellerie, restauration, traiteurs et organisateurs de réception, cafés, tabacs et débits de boisson, boulangerie, pâtisserie, boucherie, charcuterie, fromagerie-crémerie, poissonnerie, magasins de vente de fleurs naturelles, jardineries et graineteries, et les établissements des secteurs qui assurent à titre principal la fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ou dont l'activité exclusive est la vente de denrées alimentaires au détail).

Travail gratuit, les " stagiaires "

Tour de force médiatique, le gouvernement assure que grâce à lui, les stages gratuits, c'est fini ! C'est le contraire. En dehors des stages dans le cadre d'une formation scolaire, la loi ne prévoyait aucun stage gratuit ! Les entreprises qui le pratiquaient le pratiquaient illégalement. La loi dite " d'égalité des chances " invente deux types de stage :

- Les stages pour les apprentis " junior ", faussement sous statut scolaire, qui pourront travailler (" se former ") pour une durée non encore déterminée dans les entreprises : pour eux, la loi prévoit que ce sera gratuit jusqu'à une certaine durée (définie par décret) et au-delà, il n'auront pas droit à un salaire, mais à une " gratification " (dont le montant sera déterminé par décret). En échange de cet argent de poche, le patron se verra accorder un crédit d'impôt de 100 euros par élève et par semaine, pendant 26 semaines. Et la sécurité sociale ne recevra aucune cotisation sur cette " gratification ".
- De mystérieux stages en entreprise pour les plus de 16 ans, qui ne sont pas des stages de formation continue, qui font l'objet d'une convention signée par le stagiaire et l'entreprise mais aussi " l'établissement d'enseignement ". Le lien avec l'établissement d'enseignement peut être très réduit puisqu'il est prévu que les stages puissent ne pas être " intégrés à un cursus pédagogique " ... Travail gratuit pendant trois mois possible, et ensuite re-argent de poche sous forme d'une " gratification " qui n'est pas un salaire, et dont le montant sera fixé par accord collectif ou, à défaut, par décret.

La fin des collectifs de travail et des représentants du personnel

Le Code du travail définit les effectifs de l'entreprise pris en compte pour calculer le seuil déclenchant la possibilité d'avoir des délégués du personnel (plus de 10 salariés), un comité d'entreprise, un comité d'hygiène et de sécurité, des délégués syndicaux (plusde 50 salariés).

Depuis longtemps déjà, les gouvernements successifs se sont appliqués à diminuer le nombre de travailleurs pris en compte. Ainsi, tous les salariés sous contrat précaire faisant l'objet d'une aide de l'État étaient exclus. Villepin a décidé d'exclure tous les salariés de moins de 26 ans (le Conseil constitutionnel a émis un avis négatif). La loi dite " d'égalité des chances " exclut tous les salariés qui travaillent dans l'entreprise en sous-traitance, alors que la Cour de cassation venait de confirmer la jurisprudence constante, à savoir qu'il fallait les prendre en compte ! Bonjour Bolkestein ! Avec cette loi, la tendance déjà marquée des grandes entreprises à sous-traiter, délocaliser, va encore passer à la vitesse supérieure.

Agence " sarkozyste " nationale pour la cohésion sociale

Dissolution du FASILD (Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations) fondé en 1964, dont les agents seront transférés à l'" Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances " créée par la loi dite " d'égalité des chances " ou, pour ceux qui le souhaitent (!) à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations.

Ces deux agences dépendent du Ministère de l'Intérieur par l'intermédiaire des Préfets qui en sont les délégués dans chaque département et signeront les conventions qu'elles passeront.

l'Agence nationale pour la cohésion sociale comprendra dans son conseil d'administration des représentants d'organisations d'employeurs, des chambres consulaires et les désormais incontournables " personnalités qualifiées " parmi lesquelles sera choisi le Président du Conseil d'Administration.
Alors que la loi dite " d'égalité des chances " est censée lutter contre la précarité, il est prévu le recrutement d'" agents non titulaires " pour répondre aux besoins permanents !

Haute autorité de lutte contre les discriminations

Cette instance créée en décembre 2004 a visiblement pour but, sous couvert d'intégration, de faire, comme aux États-Unis, de la population immigrée une population fichée, statistiquement répertoriée (le débat à l'Assemblée nationale au moment de la discussion sur ce point est édifiant) parce que considérée comme nouvelle classe dangereuse.

La composition de cette " Haute autorité " mérite d'être analysée : outre le directeur Marc Dubourdieu, Président de la commission interministérielle aux rapatriés, défenseur du rôle " positif " de la colonisation, les onze membres comprennent au moins trois PDG (Louis Schweitzer, Président de la Haute autorité, Président du festival d'Avignon et PDG de Renault ; Nicole Notat, PDG de l'Agence de notation sociale Vigeo ; Alain Bauer, patron d'un cabinet d'audit en matière de sécurité), plus Catherine Kopp, chef du personnel du groupe ACCOR, particulièrement distingué par la discrimination syndicale, Marc Gentilini, bardé de diplômes, ancien médecin des colonies, récemment Président de la Croix Rouge au moment où elle s'est associée aux charters de Sarkozy et qui parlait de " voyoucratie " à propos des journalistes du Canard Enchaîné qui avaient soulevé l'opacité des comptes de la Croix Rouge, Marie-Thérèse Boisseau, élue UMP, etc.

Ces " sages " seront rémunérés pour leur travail.

Cette " Haute autorité ", instance désignée par le pouvoir sans aucune indépendance, pourra être saisie et rendra une décision de justice sur des faits relevant des délits de discrimination portant sur toutes sortes de discriminations : sexe, race, origine, moeurs, handicaps, opinions et activités syndicales, politiques, etc. Elle se substituera aux autorités compétentes en la matière (inspecteurs du travail par exemple !) si elle est saisie avant celles-ci. Et elle pourra alors, comme aux États-Unis, absoudre le délinquant moyennant le versement d'une somme (maximum 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale) ou moyennant la diffusion d'un simple communiqué faisant état de la décision de la Haute autorité : affichage pendant au plus deux mois en un lieu décidé par la Haute autorité ou transmission d'un communiqué aux délégués du personnel ou au comité d'entreprise, ou diffusion d'un communiqué au JO ou dans une publication de presse ou par voie de services de communication électronique ... On croit rêver.

Contrat de responsabilité parentale

" Absentéisme scolaire ", " trouble porté au fonctionnement d'un établissement scolaire ", " toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale ", tout sera bon pour que des délateurs désignés par la loi (inspecteur d'académie, chef d'établissement, maire, directeur de l'organisme payant les prestations familiales, préfet !) demandent au président du Conseil Général la signature d'un " contrat de responsabilité parentale " aux parents du jeune. Le non-respect du contrat entraînera la suspension du versement de tout ou partie des prestations familiales et, éventuellement la saisie du procureur de la République.

À défaut de faire la guerre à la pauvreté, on fait la guerre aux pauvres.

Lutte contre les incivilités, encore le retour du travail gratuit

Les agents de police municipale pourront relever des infractions par procès-verbal, et, comme pour les discriminations, le maire pourra proposer une " transaction " consistant en la réparation du préjudice subi ou des travaux gratuits au bénéfice de la commune (maximum de 30 heures).

Service civil volontaire, le retour des chantiers de jeunesse

Engagez-vous ! Les " jeunes volontaires " pourront se former " aux valeurs civiques ", entre 16 et 25 ans, auprès d'un organisme public ou même privé s'il exerce une " mission d'intérêt général ou d'insertion professionnelle ", donc un grand nombre d'entreprises. Encore du travail gratuit, ou pas cher, en perspective. La morale en plus.

Il règne décidément dans ce pays une atmosphère vichyste, avec un zeste berlusconien et une touche lepeniste.
Modifié le mercredi 17 mai 2006
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