Ont-ils fait leur temps ?

Régimes spéciaux de retraiteComme en 1995, les régimes spéciaux de retraites sont dans la ligne de mire du gouvernement en place. Un consensus semble même se dessiner autour de l'idée de leur nécessaire réforme. Sarkozy la présente volontiers comme une mesure de justice sociale. Eh oui ! Ces régimes constitueraient, selon les dires de certains, des privilèges d'un autre âge supportés par l'ensemble de la collectivité pour une petite minorité de salariés. Qu'en est-il au juste ? Faut-il les défendre ? Ont-ils fait leur temps ?Examinons donc d'un peu plus près les particularités de ces fameux régimes spéciaux.

D'où viennent les régimes spéciaux de retraite ?

Ces régimes de retraite, d'entreprises ou de corps de métiers, se sont formés avant 1945, année de naissance de la Sécurité sociale et, en son sein, du régime général de retraite.

Avant 1945, la majorité des salariés s'en remettaient à un système de retraite par capitalisation, c'est-à-dire à une assurance individuelle. À l'inverse, les régimes spéciaux étaient basés sur les cotisations proportionnelles au salaire, selon le principe de la répartition solidaire, à l'opposé de la capitalisation. C'est ce principe de répartition qui va fonder le régime général, c'est-à-dire la solidarité entre les générations : les actifs cotisent pour les retraités et non " chacun pour soi ".

Quelles sont les particularités de ces régimes ?

Le régime général, on l'a vu, est interprofessionnel. Il n'est donc pas lié au contrat de travail. Les régimes spéciaux, eux, sont le plus souvent contractuels. Ce sont donc des clauses à part entière du contrat de travail. Ainsi, en 2003, à propos du régime spécial des cheminots, Louis Gallois, alors PDG de la SNCF, écrivait aux agents de la SNCF : " j'ai à nouveau mesuré votre attachement à un régime de retraite qui est une part essentielle du contrat social que l'entreprise a passé avec chacun d'entre vous lorsque vous êtes entré à la SNCF. Les spécificités du régime des cheminots sont liées notamment au fait que l'entreprise fonctionne 24 heures sur 24 et 365 jours par an. La pénibilité qui en résulte a évolué mais reste présente aujourd'hui dans nombres de métiers de la SNCF " (23/05/2003). Ce n'est pas un syndicaliste qui le dit mais un patron qui est bien obligé de le reconnaître.

Quelles sont les spécificités du régime de retraite des cheminots ?

l'âge de l'ouverture des droits à la retraite est fixé à 55 ans pour l'ensemble des cheminots, exception faite des conducteurs, qui partent à 50 ans s'ils ont quinze années au moins de route (avec tout ce que cela comporte : repos hors résidence, découchés, prises de service à tout heure du jour ou de la nuit, stress lié à la sécurité des circulations, vie de famille et horloge biologique détraqués).

Le calcul de la pension à taux plein correspond à 75 % de la rémunération mensuelle +1/12 de la prime de fin d'année. Chaque année de service " vaut " donc 2 %, ce qui, multiplié par 37,5, fait 75 %.

Les cheminots qui partent à 55 ans, en ayant cotisé moins de 150 trimestres (37,5 années), ne subissent aucune décote.

Les cheminots cotisent-ils moins que dans le privé ?

Les réformateurs " bien intentionnés " n'ont pas de mots assez durs pour flétrir les privilèges des nantis du rail. À les entendre, les cheminots cotiseraient moins que les salariés du privé. Pour preuve, selon eux, le taux de la cotisation-salariés d'un agent SNCF est inférieur à 8 % du salaire, tandis que le taux de la cotisation-salariés d'un salarié du régime général dépasse les 10,5 %. À la nuance près que cette façon de comparer les choses est foncièrement malhonnête. Si l'on veut vraiment comparer les cotisations, il convient de prendre en considération le taux global des cotisations des uns et des autres : cotisation-salariés + cotisation-entreprise des cheminots = 42,3 % contre 26,15 % dans le privé. Autant dire tout de suite que cela se ressent sur les salaires des cheminots. Même Sarkozy, lors de son numéro de claquettes du 18 septembre, a dû convenir que les agents de la SNCF ont des " petits salaires ". Autre précision : les cheminots n'ont pas de régime de retraite complémentaire. Une fois à la retraite, leurs pensions sont maigres. D'autre part, au détour du remplacement d'un ancien partant à la retraite par un jeune embauché, l'entreprise y gagne car, à qualification égale, un jeune touche une paie inférieure de 20 % minimum à celle de l'ancien qu'il remplace. Ce n'est pas une petite ristourne !

En tout état de cause : les cheminots, au travers des cotisations (part patronale + part-salariés) financent eux-mêmes leurs droits spécifiques.

Les salariés du privé financent-ils les retraites de la SNCF ?

Les professionnels de l'intox sont maîtres dans l'art de fabriquer du faux à partir du vrai.
Ce qui est vrai : il existe depuis 1974 un mécanisme de compensation entre les différents régimes.

Ce qui est faux : " ce mécanisme sert à amortir les problèmes financiers des régimes spéciaux ".

Tout d'abord, rappelons que l'inventeur de cette usine à gaz s'appelle Chirac, alors tout frais émoulu Premier ministre. Ce bouillant VRP de la Ve République était alors préoccupé par les soucis qui minaient les régimes ... libéraux, c'est-à-dire les régimes dit " non-salariés ".

Faisons les comptes :

Le régime général verse à cette compensation généralisée : 46 % de celle-ci. Les régimes spéciaux : 46 %. Les régimes libéraux : 7 %.

Les régimes libéraux perçoivent 93,7 % de cette compensation, dont 69,5 % pour les exploitants agricoles, 14,5 % pour les commerçants et 7 % pour les artisans. 6,3 % reviennent aux régimes spéciaux qui comprennent non seulement les cheminots, les électriciens, les gaziers, les égoutiers, les marins, les mineurs, les employés de l'Opéra et de la Comédie Français mais encore ces pénibles métiers de clercs de notaires, de sénateurs et de députés (dont le sommeil est tellement décalé qu'ils s'endorment durant les séances du parlement ou ne peuvent y assister tant leur mandat les esquinte et les éreinte).

Au bout du compte, cette caisse de compensation entre les régimes verse au régime des cheminots 0,21 % de ses ressources !

Cette caisse de compensation " finance " le régime des cheminots à hauteur de 7 % de ce régime.

Les contribuables paient-ils pour les régimes spéciaux ?

Tout d'abord, précisons que le régime de retraite des industries électrique et gazière dégage un bénéfice qui avoisine les 300 millions d'euros.

Le régime des cheminots se retrouve, de fait, déficitaire, du seul fait de la réduction des effectifs amorcée à partir de 1950. Cela étant, jusqu'en 1958, le nombre d'actifs est supérieur au nombre de retraités. Le nombre de retraités cheminots continue à croître jusqu'en 1970.

Depuis lors, il est en diminution constante en réaction différée aux premières vagues de suppressions d'emplois qui correspondent toutes à des fermetures de lignes, de gares, de triages, de dessertes, sur fond de désengagement financier de l'État.

S'agissant du désengagement financier de l'État, particulièrement criant depuis l'obligation faite à la SNCF d'équilibrer ses comptes résultant de la Loi d'Orientation des transports ferroviaires de 1982 (loi que l'on doit au ministre PCF des transports de l'époque, Charles Fiterman), cette entreprise publique a dû s'embourber elle-même tous les frais de construction des lignes à grande vitesse TGV, les frais de mise en place des dispositifs de sécurité KVB (contrôle de vitesse par balises) à la suite des catastrophes ferroviaires terribles de 1988, les frais d'installation des chantiers multi-techniques de transports combiné " rail-route ".

Des centaines de kilomètres de lignes désaffectées, des 22 triages qui subsistaient au début des années 90, il n'en restera que trois. C'est un véritable laminage au profit des transporteurs routiers privés qui sont, le plus souvent, des filiales ... de la SNCF, autour desquelles s'organise la sous-traitance à l'infini.

Conséquences : rigueur salariale et saignée des effectifs La perte du pouvoir d'achat des salaires s'élève à plus de plus de 20 % et les effectifs sont passés de 250 000 à 167 000 cheminots de 1982 à 2007.

Telles sont les causes du déficit de la caisse de retraite des cheminots !

Ainsi, en finançant le déficit démographique du régime de retraite SNCF, l'État ne " compense " que son désengagement et s'en tire plus que gagnant.

Du coup, " l'assiette " de financement de la caisse de retraite se détaille ainsi :

Compensation et surcompensation : 7 %

Contribution de l'État : 54 %

Cotisations des cheminots (part salariés et part entreprise) : 38 %.


Faut-il supprimer les régimes spéciaux ?

Avant de répondre à cette question, un retour en arrière s'impose : c'est en 1991 que la suppression des régimes spéciaux a été mise au goût du jour dans un " livre blanc sur les retraites " élaboré par Michel Rocard, alors Premier ministre de Mitterrand.

Reste que le livre noir de Rocard contre les retraites a servi de matrice à la réforme scélérate du régime général de Balladur puis de Fillon. Il n'est donc pas surprenant que Rocard devienne un porte-flingue de Sarkozy.

Rappelons qu'en 1991, dans le journal de la CGT, la Vie ouvrière, on pouvait lire :

" Faut-il supprimer les régimes spéciaux ? Surtout pas. Cela serait accepter un nivellement général par le bas. En effet, les acquis des électriciens et des cheminots servent de points de repère pour l'amélioration de la retraite de tous " (VO Retraite. N°2431).
Modifié le dimanche 21 octobre 2007
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