La débâcle

Crise immobilière aux USA et crise économique mondialeCommentant la crise qui secoue toutes les places boursières et les marchés financiers de la planète, un spécialiste en la matière, Alan Greenspan, dix-huit ans durant patron de la Banque fédérale américaine (FED) a prédit en privé, selon le Wall Street Journal : " Les comportements que nous observons ces sept dernières semaines sont identiques à ce que nous avons observé en 1998 [faillite du hedge fund géant LTCM, NdlR], dans le krach des marchés de 1987, lors de l'effondrement du prix des terres en 1837 et la panique bancaire de 1907 ..." Que se passe-t-il ? Retour sur un mécanisme parasitaire ...Au départ, il y a l'effondrement brutal du marché immobilier aux USA. La racine du problème est somme toute assez simple. Depuis 2002, la banque centrale américaine (FED) a encouragé le crédit facile afin de relancer l'économie par l'incitation à la consommation. En particulier, elle a permis l'accession à la propriété à des millions de ménages américains. C'est ainsi que, pour acheter leur logement, les familles à faibles revenus se sont vu prêter de l'argent moyennant des prêts à surprime autrement appelés " subprimes ". Les taux d'intérêts de ces prêts ont la particularité d'être très bas au début, pour attirer l'acheteur, mais, comme ils sont variables, ils peuvent atteindre 18 % au bout de trois ans. Bien entendu, compte-tenu du risque que les organismes financiers considèrent prendre, ces prêts sont garantis sur l'hypothèque de la maison, qui peut être reprise en cas de défaut de paiement. Enfin, autre particularité de ces taux, ils dépendent de la valeur du bien immobilier : plus votre maison a de la valeur, plus le taux de remboursement est bas. Mais, si par malheur votre maison perd de la valeur, le taux d'intérêt monte.

Effondrement de la bulle

Ce système a ses limites, dès le début de 2007 : le marché immobilier se restreint, atteint par la saturation, les ventes ralentissent. Dans ces conditions, le prix des maisons baisse, et donc les taux de remboursement grimpent.

Cité dans Le Monde du 21 août dernier, un sénateur américain indique : " les modifications d'intérêts peuvent faire passer les mensualités de 400 dollars à plus de 1500 dollars, pour les gens qui ont pris les typiques crédits hypothécaires à risques qui offraient des taux d'intérêts au rabais au démarrage ".

Dans ces conditions, des milliers de ménages ne peuvent plus faire face aux échéances exorbitantes et d'un niveau usuraire. Ces défaillances entraînent à leur tour la faillite des organismes de crédit prêteurs qui ne peuvent même pas se rembourser en saisissant la maison puisque celle-ci a désormais une valeur inférieure à celle du départ, au moment de l'achat !

On estime à ce jour à plus de 92 le nombre de sociétés qui s'étaient spécialisées dans les crédits immobiliers " subprime " qui ont fermé, poussées à la faillite depuis les quatre derniers mois, et à 23 000 celui des salariés du secteur financier virés du jour au lendemain.

Selon le Président du conseil bancaire américain, cité par Le Monde : " nous sommes au plus haut niveau des saisies de logements depuis 37 ans et au plus bas niveau depuis dix ans pour les mises en chantier de logements [...] Un à trois millions de personnes pourraient perdre leur logement, non parce qu'ils ont perdu leur emploi, ni parce que l'économie s'est effondrée mais parce qu'ils ont eu de mauvaises conditions pour leur emprunt immobilier ".

Titrisation et spéculation

Le tableau ne serait pas complet si on ne précisait pas comment les organismes de " subprime " ont au départ eux-mêmes trouvé l'argent pour prêter aux particuliers. Ils ont tout simplement emprunté eux aussi aux banques, soit sous forme d'emprunts classiques, soit sous forme de " titrisation " des dettes de leurs clients. De là l'effet boule de neige mondial : tout le monde financier est mouillé.

Il faut d'abord comprendre deux choses : le principe des produits de titrisation que je regroupe sous l'appellation " Asset Back Securities "(ABS) et la manière dont fonctionnent les produits de gestion collective (appelés en France OPCVM).

Les produits de titrisation

Par le mécanisme de la titrisation, les banques qui ont prêté à des clients et détiennent donc des créances (immobilières par exemple) peuvent les céder à un organisme appelé SPV (Special Purpose Vehicle) souvent établi dans les paradis fiscaux. Même si les banques continuent à gérer les relations avec les clients, les créances ne sont plus présentes dans leur bilan et elles n'en portent pas le risque (le risque étant le non remboursement par les clients). Le SPV émet pour financer ces créances des titres appelés de manière générale ABS (Asset Back Securities). Lorsqu'il s'agit de créances immobilières, on parle aussi de MBS (Mortgage Back Securities). Ces ABS (ou MBS) sont divisés en plusieurs tranches (en général trois) :

- La tranche Equity : c'est celle qui rapporte le taux de rendement le plus élevé, mais qui présente le risque maximal, elle peut être achetée par des fonds risqués ou être conservée par la banque.

La tranche Mezzanine : son taux est moins élevé et son risque de non-remboursement beaucoup plus faible

La tranche Senior : considérée (en tout cas avant les problèmes ...) comme quasiment sans risque, son taux de rendement est encore moins élevé.

Le mécanisme dit de " structuration " est le suivant : les défauts des clients seront affectés à la tranche equity. En supposant qu'elle représente 10 % de l'ensemble du montant, il faut qu'il y ait plus de 10 % des clients qui ne remboursent pas pour que la tranche médiane (mezzanine) ne soit pas remboursée totalement ... et il faudrait qu'il y ait de nombreux défauts (ce qui semblait il y a quelque temps impossible) pour que la tranche senior soit affectée.

Le montage peut aussi comprendre différentes techniques comme le rehaussement de crédit ou des techniques d'assurances.

Assurances, caisses de retraites, organismes HLM

Les tranches sont notées par les agences de notation (par exemple l'agence Standard and Poors). Compte tenu du très faible risque des tranches seniors des ABS, elles sont généralement notées AAA (la meilleure notation : la même que celle de l'État français) mais la rémunération obtenue étant quand même légèrement meilleure que celle obtenue en achetant des obligations d'État français, les investisseurs ont acheté ces produits qui leur permettait de dynamiser leurs portefeuilles en améliorant leur rémunération.

Les ABS peuvent être achetés librement par les investisseurs et l'AMF (Autorité des marchés financiers) en autorise la détention par les OPCVM français.

Lorsque les investisseurs achètent des ABS, ils savent très peu de choses sur les créances détenues par le SPV, mais font confiance à la note donnée par l'agence de notation. En achetant ces produits, il est donc très possible qu'ils prêtent aux ménages américains surendettés, mais s'il s'agit de la tranche senior, le risque est limité puisqu'il faudrait qu'un important pourcentage des ménages ne rembourse pas pour qu'eux-mêmes ne soient pas remboursés. En ce qui concerne la tranche notée AA, le non-remboursement peut intervenir plus vite, mais la rémunération est meilleure.

Les OPCVM

Ce sont les " produits français de gestion collective ", encadrés par l'AMF (Autorité des Marchés Financiers), organismes de placement collectif en valeurs mobilières français, ils comprennent des SICAV (Société d'investissement à Capital Variable) ou des FCP (Fonds Communs de Placement). Les OPCVM sont des produits de gestion collective. Au lieu d'acheter les actions, obligations, etc. en direct, les investisseurs (particuliers, mais aussi caisses de retraites, compagnies d'assurances, offices d'HLM, etc.) mettent leur argent dans un OPCVM et c'est le gérant de l'OPCVM qui décide des investissements.

Les banques françaises aussi

Les OPCVM sont gérés en France dans des sociétés de gestion (ex BNP Paribas Asset Management), le plus souvent filiales de banques (BNP Paribas) ou de compagnies d'assurances.
Leurs équivalents aux États-Unis sont les mutual funds. De manière générale, lorsqu'il s'agit de fonds risqués, on parle de " hedge funds " Ces derniers sont le plus souvent situés dans les paradis fiscaux afin d'avoir le moins de contraintes possibles, mais il existe aussi des " hedge funds " à la française, créés par l'AMF, appelés ARIA EL (A Règles d'Investissements Allégés et à Effet de Levier.Un exemple d'un fonds de ce type : www.amf-france.org/BIO/BIO_PDFS/ NIP_NOTICE_PRODUIT/ 45948.pdf.


Lorsque les investisseurs placent leur argent dans des OPCVM, ils prennent le risque que les produits achetés par le gérant perdent de leur valeur. Par exemple si l'OPCVM contient des actions et que les cours des actions baissent, la valeur (dite valeur liquidative) de la part d'OPCVM baissera et l'investisseur ne récupérera pas sa mise initiale s'il veut sortir de l'OPCVM.

Les investisseurs peuvent à tout moment demander à sortir des OPCVM (on parle de rachat).

Ce mécanisme a un effet boule de neige. Lorsque les investisseurs sont inquiets sur un marché, par exemple celui des ABS, ils sortent des OPCVM qui détiennent ces produits. Le gérant de l'OPCVM pour leur rendre leur argent est obligé de vendre les produits, ce qui accélère encore la chute de leur prix.

Prenons l'exemple du fonds " BNP Paribas ABS Euribor "Notice : www.amf-france.org/BIO/ BIO_PDFS/NIP_NOTICE_PRODUIT/ 51039.pdf
que l'on pourrait appeler fonds " monétaire dynamique " : il est investi pour partie sur des ABS dont certains proviennent de prêts immobiliers américains titrisés. Inquiets, les gens qui avaient investi sur ce fonds ont voulu récupérer leur mise. Pour cela le gérant devait vendre les ABS pour récupérer de l'argent et le verser à ces personnes, mais compte tenu de la crise actuelle, personne ne veut se risquer à acheter des ABS. Il était donc impossible de trouver des acheteurs, mais aussi de donner une valeur à ces titres puisqu'il n'y avait pas d'échanges (rappel : le prix des produits financiers est déterminé par la loi de l'offre et de la demande) et donc de calculer le montant à verser à ceux qui voulaient sortir du fonds.

Certaines sociétés de gestion ont décidé de donner un prix, sans doute arbitraire, aux ABS et de calculer une valeur liquidative du fonds. Mais comme il leur fallait des liquidités pour rembourser les clients, c'est vraisemblablement leur maison mère qui a acheté elle-même les ABS à ce prix arbitraire. Si ce prix arbitraire était plutôt élevé, c'était un cadeau au client sortant, s'il était plutôt faible, c'était un cadeau pour les banques.

BNP Paribas avait décidé de jouer plutôt franc jeu en n'affichant pas de valeur liquidative pendant quelque temps (puisqu'elle était impossible à déterminer) ce qui obligeait à bloquer les fonds, les investisseurs ne pouvaient donc pas récupérer leur argent.

Impact sur le marché de la trésorerie bancaire et intervention de la BCE

Sur le marché interbancaire, les banques se prêtent ou s'empruntent de l'argent entre elles pour équilibrer leur trésorerie. Suite à l'annonce de BNP Paribas sur le blocage de ses fonds jeudi 9 août matin, les banques se sont inquiétées et ont refusé de se prêter de l'argent entre elles. Une banque qui disposait de liquidités préférait les garder plutôt que de les prêter à une autre banque susceptible de ne pas lui rembourser le lendemain. Les banques qui acceptaient de prêter le faisaient à des taux de plus en plus élevés. Les taux d'intérêt sur les prêts-emprunts au jour le jour se sont brutalement envolés de 4,10 % à 4,70 % en quelques minutes. Certaines banques risquaient de ne pas trouver les liquidités nécessaires à leur équilibre de trésorerie et être obligées de se déclarer en défaut sur leurs opérations.

Pour éviter cela, la Banque centrale européenne (BCE) est intervenue en prêtant aux banques qui avaient besoin de liquidités sur une journée (de jeudi à vendredi), elle a prêté un montant de 95 milliards d'euros sur un jour. Elle a donc simplement fait l'intermédiaire entre les banques qui ont gardé les liquidités sur leur compte BCE et celles qui en avaient besoin, on pourrait dire qu'elle a pris à sa charge le risque bancaire (mais comme elle ne prête que contre garanties, ce risque n'est pas élevé pour elle).

Le lendemain, vendredi 10 août, les banques ont remboursé les 95 milliards à la BCE et cette dernière a prêté à nouveau, mais seulement 61 milliards sur trois jours (jusqu'à lundi).Il ne faut pas ajouter 95+61 comme ça été présenté dans la presse puisque les 95 étaient remboursés quand elle a prêté les 61 !

La situation du marché interbancaire s'est amélioré sur les durées courtes (le taux au jour le jour a rebaissé fortement) mais les banques restent réticentes à se prêter de l'argent sur les durées longues. La BCE a donc diminué l'argent qu'elle prête à une semaine régulièrement lors de ses opérations hebdomadaires de refinancement pour le prêter à trois mois (pour un montant de 40 milliards d'euros) afin que les banques disposent d'argent sur une durée plus longue. Ces opérations sont décrites dans les situations hebdomadaires consolidées de l'euro-système.Voir www.ecb.int/press/pr/wfs/ 2007/html/fs070814.fr.html et www.ecb.int/ press/pr/wfs/2007/html/fs070828.fr.html.
À ce jour, il est difficile de prévoir les montants de pertes et les répartitions entre clients investisseurs et banques. Cette inquiétude généralisée fait baisser le marché des actions et pousse donc aux chutes en bourses auxquelles nous avons assisté. Elle pose des problèmes aux banques pour trouver du refinancement car elle ont du mal à emprunter, ou du moins doivent le faire à un taux plus élevé. La perte de confiance entre banques est la marque de la situation. Tout le monde se regarde en chien de faïence avec les conséquences économiques que l'on voit : les signes de récession s'accentuent aux USA et se généraliseront inexorablement, tôt ou tard, au marché mondial. Une fois de plus, à la face de ceux qui veulent le moraliser, ce système montre ses limites, depuis longtemps dépassées.

remerciements à Christine Lambert pour son aide précieuse.
Modifié le dimanche 16 septembre 2007
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