Un an après la présidentielle, tout commence ...

Chronique d'une fin de régime21 avril 2002 : un an après, un an déjà. La véritable signification du résultat du premier tour de l'élection présidentielle avait été momentanément brouillée par l'effet d'optique du résultat obtenu par Le Pen, puis par le score qu'avait ravi Chirac au second tour, grâce à l'appui de la plupart des organisations syndicales et politiques du mouvement ouvrier... Retour en arrière.Révélatrice et accélératrice de la crise politique, l'irruption du sinistre Le Pen au second tour fut d'abord et avant tout un accident.
En effet, bien malin qui aurait pu prévoir ce cas de figure. Le scénario de cette élection présidentielle avait été monté dans la perspective d'un duel Chirac-Jospin. Tout au plus, les pronostiqueurs et les faiseurs de sondages faisaient des paris sur le " troisième homme " : Chevénement ? Le Pen ? Laguiller ? Dans les hautes sphères, personne ne voulait imaginer un effondrement électoral à plates coutures des deux candidats prédestinés au second tour. Or, c'est cet effondrement, non seulement de Jospin mais aussi de Chirac (recueillant les suffrages de 13% des inscrits), qui explique comment Le Pen a pu passer le cap du premier tour. Parce que cet effondrement s'est produit sur fond d'abstentions massives et de rejet de Jospin, de Chirac et de la politique commune qu'ils incarnaient l'un et l'autre.

Le PS se tire une balle dans le pied

A la marge, les manoeuvres d'appareils politiques à 20 centimes, et en particulier celles des chefs du PS, auront contribué à cette " surprise ". Des bribes de campagne nous reviennent : le jour où J.-C. Cambadélis (PS) s'insurgea, au nom de la " démocratie ", contre les obstacles que Le Pen rencontrait dans sa chasse aux 500 signatures de maires sans lesquelles il n'aurait pu se présenter. Et ainsi de suite : le PS donnant consigne à ses maires de donner leur signature à Taubira, pour affaiblir Mamère, à Besancenot pour réduire Laguiller (cf. p. 2).
Autant de manoeuvres par lesquelles le PS se tirait des balles dans le pied : Besancenot a " réduit "... Robert Hue et Jospin ; Taubira a " privé " Jospin... du nombre de voix nécessaires pour se placer juste devant Le Pen. Sans oublier Pasqua qui, in extremis, prétendra ne pas avoir le nombre de signatures de maires pour se présenter, cherchant visiblement à sauver, sans rancune, Chirac. Pasqua, dont une partie de l'électorat potentiel, est allé du côté où il penchait... dans l'escarcelle de Le Pen.

Gauche et droite unis pour falsifier les chiffres

Après quoi, tout ce beau monde est tombé à bras raccourcis sur les abstentionnistes, les désignant comme autant de responsables d'une soi-disant montée de l'extrême-droite en France. Pourtant, l'extrême-droite (Mégret et Le Pen) n'a pas obtenu plus de voix en 2001 qu'en 1995, y compris au second tour ! Rappelons encore une fois quelques chiffres : au premier tour de l'élection présidentielle de 1995, Le Pen, Cheminade et De Villiers totalisaient 6.099.342 voix ; au premier tour de l'élection présidentielle en 2002, Le Pen et Mégret totalisaient 5.456.586 voix et, au second tour, Le Pen obtenait 5.502.314 voix.
Le Pen, " seul contre tous ", a été loin de l'objectif que lui avait assigné son lieutenant Bruno Gollnish : 7.086.829 voix (Le Monde du 17 février 2001). Et le rêve de Gollnish -rassembler un million de personnes place de la Concorde, le 1er mai- s'est transformé en une grotesque pantalonnade devant la statue de Jeanne d'Arc (15 000 manifestants). Y compris, l'objectif de réunir 7 000 personnes en meeting à Marseille, le 3 mai, s'est fini en fiasco pour Le Pen dans une salle à moitié vide.

Une abstention historique

Les vrais résultats sont connus : un électeur inscrit sur 3 n'a pas voté au premier tour, 37% des ouvriers et 40% des jeunes se sont abstenus. Et, selon La Tribune, quotidien patronal, abstentionnistes et électeurs d'extrême gauche formaient " un bloc électoral de 40% des inscrits ". Telle est la réalité que brouillait la campagne d'hystérie menée entre les deux tours, sur l'air de " Le Pen aux portes du pouvoir " et sur fond de chasse aux abstentionnistes.
Dans un entretien livré au Parisien entre les deux tours, le navigateur Alain Gauthier, signataire d'un appel " Nous ne sommes pas les amis du Front national " notait : " Mais attention tout de même : le débat sur Le Pen fait la Une alors qu'il n'a pas engrangé beaucoup plus qu'en 1995. Le fait important, c'est que près d'un tiers des Français se sont abstenus. La France est démotivée, elle ne se sent plus représentée. Cela, il ne faudrait surtout pas l'oublier".
Au second tour, l'abstention dépasse les 20% et le nombre des " blancs et nuls " frôle les 5,5 %. Cette abstention est comparable au second tour de 1995 (20,3%) et bien supérieure aux seconds tours de 1988 (15,9%), de 1981 (14,14%) et de 1974 (12,66%).
Se voilant la face et se pinçant le nez, les chefs du PS n'ont pas voulu comprendre la leçon. Appelant automatiquement à voter Chirac et passant sous silence leur bilan gouvernemental, ils ont dû ensuite passer sous les fourches caudines des législatives. Là encore, la " vague bleue" donnant à l'UMP une majorité écrasante de députés, masquait mal le record absolu de l'abstentionnisme : 37% au premier tour (il faut remonter à 1870 pour trouver une aussi faible participation à des élections législatives). Record encore battu au second tour, où l'abstentionnisme a frôlé les 40% !

Une mauvaise foi sans limites à gauche

Là encore, du côté de la gauche bien-pensante, on chercha les explications ailleurs : " les gens n'ont pas voté parce qu'ils ne voulaient pas d'une nouvelle cohabitation ". A les entendre, l'abstention, décriée quelques jours plus tôt comme le comble de l'incivisme, devenait, comme par magie, une sage résolution du peuple voulant assurer la stabilité des institutions, l'unité du pouvoir entre les mains d'un seul chef d'Etat. Or, pour convaincre le " peuple de gauche " de voter Chirac, ces mêmes ténors juraient : on vote Chirac en mai et on rebondit aux législatives ! Si l'intelligence politique de ces gens-là a atteint ses limites, leur mauvaise foi, elle, n'en connaît aucune.
Un an après, certains hommes politiques, surtout ceux qui sont au rancard, s'octroient quelques minutes de lucidité. Ainsi, Philippe Seguin reconnaît de bonne grâce que " les électeurs ne croient plus que les élections soient un moyen de peser sur les décisions " (Ripostes du 20 avril 2003). Autant dire tout de suite que les gens ne croient plus que le régime est démocratique, ça ira plus vite !
Un an après, le spectre de Le Pen a été remisé (pour un temps ?) dans les placards à balais de la Vème République. Le FN ne fait plus guère recette dans les médias et, à nouveau, une lutte sourde agite cette formation politique. Bruno Gollnish voit d'un mauvais oeil l'ascension de Marine Le Pen qui, pour captiver les médias, doit se faire passer pour une femme très fréquentable, " pas extrémiste " pour un euro. " Raffarin fait du Le Pen ", dit-elle à qui veut l'entendre. On ne lui a pas envoyé dire : ce que son père n'a pas osé proposer, ce gouvernement le décide. Exemple parmi d'autres de la " lepenisation " de la politique du gouvernement : la détention des mineurs délinquants (dès l'âge de 10 ans) au mépris de l'ordonnance de 1945 qui définit le mineur délinquant comme " une personne en danger que la société doit protéger ". A travers cette mesure d'ordre moral c'est, en réalité, l'existence de la protection judiciaire de la jeunesse et des juges pour enfants qui est remise en cause.
Mais pourquoi le gouvernement freinerait t-il ses ardeurs " sécuritaires " ? Dès le 16 juillet 2002, le député PS Julien Dray lui faisait des courbettes : " Pour le bien de notre pays, je ne peux que souhaiter le succès de votre politique ". Le 18 juillet, c'était au tour de Daniel Vaillant, ancien ministre de l'Intérieur PS, d'offrir son aide à Sarkozy.
Dès lors, on comprenait mieux pourquoi cette gauche, soudain en manque de caviar, avait appelé à voter Chirac, en manipulant " l'effet Le Pen ". Un même idéal anime les rescapés de la déroute du PS et la droite. Cet idéal, de Gaulle l'avait résumé ainsi : " il doit être évidemment entendu que l'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l'a élu, qu'il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par lui " (conférence de presse du 30 janvier 1964, cité par A. Peyrefitte, dans son livre " Le Mal Français ").

Règlements de comptes à " OK Solferino "

Mais l'allégeance à Chirac a un prix : à la veille de son congrès, le PS est en proie à tous les règlements de comptes. Pas moins de 5 courants s'y affrontent. A quelques jours du congrès, c'est au tour de Georges Frêche, le maire de Montpellier, de monter au créneau contre Jospin et contre toute la direction " historique " du PS, mais sans aller jusqu'à tirer un bilan politique de la situation de son parti.
Quelques semaines auparavant, le congrès du P.C.F. avait été le théâtre de tous les déchirements. Une opposition s'était dessinée en son sein, sous le drapeau de l'orthodoxie et de la lutte des classes contre les " mutants " qui dirigent ce parti. On allait voir ce qu'on allait voir. Eh bien, l'aile marxiste de cette " opposition " a finalement accepté de se fondre dans la " nouvelle direction ", pour " sauver le parti ". Or, pour la première fois, il était visible à l'oeil nu que, dans sa grande majorité, la base du P.C. rejette la " ligne du parti ", soit en s'abstenant, soit en votant à 45% contre l'orientation de la direction.
Dans ce paysage politique-là, on comprend que François Bayrou ait pu dire, en septembre, que " Chirac et Raffarin disposent d'un pouvoir absolu ". Mais toute l'actualité sociale prouve que ce pouvoir absolu n'est qu'une façade. Regardons les choses en face : les coups portés par ce gouvernement contre les travailleurs et la population sont d'une rare violence. Face à cette agression, les directions syndicales n'offrent aucun point d'appui à la classe ouvrière. Bien au contraire. Elles se coulent dans le moule de la concertation gouvernementale, dans l'accompagnement des plans de licenciements secs et déguisés et des réformes Raffarin qui visent à mettre en pièces la protection sociale. Pourtant, ce gouvernement qui voulait frapper vite et fort vient seulement d'annoncer son " Plan Juppé " contre les retraites de tous les salariés. Un an après les élctions !

La soumission des directions syndicales

Raffarin et Fillon ont conscience que l'application de leur " Plan Juppé " repose entièrement sur l'adhésion des appareils syndicaux. Cette adhésion leur est acquise d'avance. Dès le 1er juillet, Thibault, le chef de file de la C.G.T, déclarait, à propos des retraites : " on ne peut sauvegarder l'acquis comme s'il n'y avait pas de problème ". Mais les salariés et les syndicalistes dans leur grande majorité, ne l'ont pas entendu de cette oreille.
C'était inscrit, " en creux ", il y a un an, dans les abstentions et le vote " extrême-gauche " : dans leur grande majorité, les salariés et la population (c'est-à-dire la majorité sociale de la " France d'en bas ") rejettent le gouvernement. C'est inscrit, en relief, dans la montée des grèves qui surgissent à l'insu des directions syndicales, dans l'enseignement, dans la Fonction publique mais aussi dans le privé : " en bas ", ce gouvernement et ses réformes, on n'en veut pas.
Un an après, malgré les efforts des bureaucraties politiques et syndicales, tout commence.
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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