Scènes de crise en France

Chronique d'une fin de Régime19 octobre. A la une du quotidien lyonnais Le Progrès : " La France au bord de la rupture ". Ce jour là encore, le pays va se couvrir de manifestations monstres. Indubitablement, les salariés, les jeunes et la population cherchent à en découdre avec le régime et ses réformes. Les lycéens sont entrés en scène. Les raffineries de pétrole se sont arrêtées. La grève générale est effective à Marseille. Au sommet de l'Etat, la crise politique enfle, déborde, sur fond de scandales. l'affaire Woerth continue et les journalistes sont espionnés.Tout paraît alors encore possible. Les regards se tournent vers l'Intersyndicale qui va se tenir le 21 octobre...On le sait, une nouvelle fois, selon un scénario dont les ficelles sont grosses, l'intersyndicale va renvoyer les salariés dans les cordes d'une nouvelle journée d'action, une semaine plus tard, ou de grèves reconductibles fragmentées. Véritable stratégie de l'échec programmé.
Sur l'autre versant, la bourgeoisie peine à cacher son effroi devant le déferlement de la colère qui s'empare du pays. Excédé, Yves Calvi, lors de l'émission "C'est dans l'air " du vendredi 29 octobre, se lamente que Thibault ne parvienne pas à mettre au pas la CGT Marseillaise. C'est en effet très inquiétant car en ne donnant aucun grain à moudre aux directions centrales des syndicats, le gouvernement sape leur autorité aux yeux des militants syndicalistes, des salariés et des jeunes et prend le risque que la prochaine vague submerge les Thibault, Chérèque, Mailly et autres " réformateurs ", renversant toutes les palissades dressées par les appareils bureaucratiques pour endiguer la colère des masses. Cela s'avère d'autant plus inquiétant pour la classe dominante que Sarkozy et son Exécutif sont maintenant totalement coupés de la population et en proie à des dissensions internes de plus en plus âpres sur fond de scandales, de corruption et de règlements de compte qui, il est vrai, sont le propre du Régime de la Vème République en décomposition.

De justesse, la vague a été contenue.


Mais, tout observateur à l'oeil un tant soit peu affuté réalise que Sarkozy ne doit son salut qu'à la capitulation annoncée, préméditée et calculée des directions syndicales. En même temps, chacun peut constater que la colère reste intacte. Colère redoublée contre Sarkozy et sa clique du Fouquet's. Colère rentrée à l'égard des bureaucraties syndicales qui ne demandent qu'à traiter avec l'ennemi et lui quémandent des miettes, des os à ronger, des palliatifs qui leur permettrait d'accompagner ou d'aiguillonner le mouvement des " réformes ".

Comme la corde soutient le pendu


Et, la gauche dans tout ça ? Selon les média bien intentionnées, le PS a soutenu la mobilisation des salariés et de la jeunesse, en participant, y compris, sous ses propres banderoles, aux manifestations. Oui, le PS a soutenu les grèves et les manifestations...comme la corde soutient le pendu. Ainsi, ce 12 octobre, alors que trois millions et demi de manifestants déferlaient dans toute la France, Patrick Mennucci, chef de file du PS au conseil municipal de Marseille, faisait le communiqué suivant : " La grève du Grand Port de Marseille n'a rien à voir avec la bataille pour la retraite à 60 ans et il n'est pas admissible de se cacher derrière cette revendication très populaire pour défendre les intérêts très catégoriels... Nous appelons les grévistes du Grand Port de Marseille à mesurer les dégâts causés à notre économie déjà en difficulté et nous leur demandons de cesser ce mouvement ".

Quelle retraite à 60 ans ?


Bataille pour la retraite à 60 ans ? Rappelons tout d'abord ce que déclarait Martine Aubry, le dimanche 17 janvier dernier au Grand Jury RTL-Le Figaro- LCI : "Je pense qu'on doit aller, qu'on va aller très certainement vers 61 ou 62 ans." Le lendemain, un dirigeant du PS confirmait : "Dire "la priorité, c'est de ne pas toucher à l'âge", c'est être déconnecté de ce que vivent les gens. Les Français attendent que nous soyons pragmatiques et non théologiques, qu'on se concentre sur le niveau des pensions ou la possibilité de partir plus tôt quand on a exercé un travail pénible." Tel est le fond de la pensée du PS. Au reste, les polémistes de droite n'oublient jamais de rappeler aux ténors de ce parti qu'ils n'ont pas abrogé la loi Balladur en 1997/2001, quand ils sont retournés au pouvoir et qu'ils se gardent bien de réclamer l'abrogation de la loi Fillon de 2003, lois qui ont augmenté la durée de cotisation de tous les salariés de 37,5 à 41 annuités. Aujourd'hui, comme dans une mauvaise Pub, ils affichent en grand "retraite à 60 ans " et, en caractères plus réduits : " augmentation continue de la durée de cotisation indexée sur l'augmentation présumée de l'espérance de vie ". A moins d'accepter de toucher une pension en deçà du seuil de pauvreté, aucun travailleur ne pourra effectivement partir à 60 ans sous le régime de Madame Aubry. En outre, selon la sociologue Anne-Marie Guillemard : "l'âge médian de sortie du marché du travail stagne à 58 ans, alors que l'âge moyen de liquidation de la retraite a progressé sur la même période et se situe à 61,6 ans."

Elus PS contre éboueurs


Interrogé sur la grève des éboueurs, Patrick Rué, responsable FO des Territoriaux marseillais constate : " Les déclarations des socialistes sont disparates, Aubry demande le retrait de la réforme, Guérini [PS. Président du Conseil Général des Bouches du Rhone appelle à la reprise du travail, Vauzelle soutient les manifestants, c'est un peu confus. Ce qui prouve bien qu'on ne peut compter que sur les salariés, pas sur les politiques. Cela dit la réquisition, je le répète, ne va pas changer grand-chose. Et la détermination est là. "
C'est un fait, à l'instar des cheminots en 1995 qui avaient fait grève tout à la fois contre le Contrat de Plan d'entreprise qui menaçait leur statut et contre le Plan Juppé qui attaquait la Sécurité sociale, les salariés des Ports et Docks, des Raffineries et des collectivités territoriales (éboueurs, personnel des cantines, et des déchèteries) ont conjugué leurs revendications particulières avec l'exigence du retrait de la réforme des retraites. Ce serait à entendre certains caciques du PS (Guérini, Menucci) illégitime et scandaleux. Ce faisant, ces représentants du PS ont donné à leur façon leur feu vert au Préfet pour réquisitionner les grévistes. Ainsi, Eugène Caselli, président PS de la Communauté d'Agglomération Marseille Provence Métropole a expressément demandé la réquisition des éboueurs et chauffeurs si ces derniers ne reprenaient pas le travail Autant dire qu'en la personne du PS, Sarkozy n'a pas trouvé un adversaire digne de ce nom mais un de ses plus sûrs relais pour briser les grèves les plus dures. Interrogés sur le bien- fondé des propositions en trompe- l'oeil du PS, Chérèque devait répondre : " Le PS fait une proposition basée sur l'augmentation de la durée de cotisation. C'était l'esprit de la réforme de 2003 et c'est toujours la position de la CFDT ", et Thibault : " Je ne veux pas me situer sur le terrain politique ".

Action - Réaction

A tout le moins, Sarkozy ne doit ni à sa pugnacité, son hyper-activité ou à son machiavélisme, cette victoire à la Pyrrhus. Sa cote de popularité est laminée à 26%. La volonté d'en découdre de masses de plus en plus large s'est révélée de façon impressionnante : des millions de manifestants, 246 villes mobilisées le 12 octobre, plus de mille lycées bloqués. Toute action se mesurant à la réaction qu'elle provoque, la police a procédé à près de 1300 interpellations. Des lycéens souvent très jeunes ont été placés en garde-à-vue, de façon à être terrorisés et humiliés. Des manifestations de jeunes ont été très durement réprimées par les forces de Police. Des grévistes ont été réquisitionnés par les Préfets pour la première fois depuis fort longtemps et en dehors de toute légalité réelle. Selon le quotidien du soir Le Monde : "" Au-delà de la querelle des chiffres, les journées de mobilisation ont surpris par leur ampleur. "C'est au-dessus de ce que nous attendions", confiait en septembre un ministre sarkozyste. "" Répétonsle, Sarkozy ne doit son salut qu'aux directions syndicales et au premier chef Thibault qui a imposé aux militants et aux salariés l'alliance contre-nature avec Chérèque, le partisan de la réforme de 2003 et celui de la retraite par points opposée à la retraite par répartition, derrière laquelle il s'est retranché pour ne pas appeler, au lendemain du 12 octobre à la grève générale.
Mais, ils le savent tous, en haut-lieu, les braises sont encore chaudes...

Daniel Petri
31 octobre 2010
Modifié le vendredi 28 juin 2013
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