Premiers pas

Chronique d'une fin de régimeLe président de la République a lancé le compte à rebours d'un processus à haut risque en précisant la méthode, les objectifs et les principes de la réforme. Après l'organisation d'un débat dont " notre pays a besoin " - mais dont les modalités restent à définir -, le gouvernement " suivra la voie du dialogue avec les partenaires sociaux pour arrêter, avant l'été, les décisions nécessaires ". Ces dispositions, a-t-il précisé, " devront inscrire dans la durée le processus d'adaptation de nos régimes de retraite ". Ernest-Antoine Seillière, président du Medef, a salué " l'excellente analyse " de Jacques Chirac.
" La feuille de route du gouvernement nous convient. Il va falloir entrer maintenant dans le vif du sujet. Or, chacun le sait, le diable se niche dans les détails. " C'est en ces termes que Jean-Luc Cazettes, Président de la CFE-CGC, a salué l'allocution prononcée par le chef de l'Etat à l'occasion de ses voeux aux corps constitués. François Chérèque (CFDT) et Jacques Voisin (CFTC) , se sont déclaré comme lui , assez satisfaits du cadrage de Jacques Chirac qui, a souligné Bernard Thibault (CGT), a garanti le droit à la retraite à 60 ans.

Premier accroc

Le 9 janvier, François Hollande a rencontré le ministre des Affaires sociales, François Fillon, pour évoquer la réforme promise par Jacques Chirac. Pour lui et ses partisans, il ne saurait être question de revenir à 37,5 années de cotisation dans le secteur privé. Il s'en est donc tenu à quelques principes fondamentaux susceptibles de servir de base commune à l'ensemble des socialistes : " La réforme doit garantir les régimes par répartition, maintenir le niveau des pensions, tenir compte de la pénibilité du travail et refuser toute capitalisation. "
Le 9 janvier, c'est le jour du référendum à l'EDF. La direction d'EDF a commandé un sondage " sortie des urnes " à l'institut CSA. Aux alentours de 17 heures, le CSA rend son verdict : le " oui " l'emporte avec 54% des voix. Ce chiffre est transmis au cabinet de Jean-Pierre Raffarin, qui élabore un communiqué sur le thème " voilà bien la preuve qu'il est possible de réformer les retraites en concertation avec les syndicats ". l'EDF devait être le " laboratoire " de la réforme tant pour le gouvernement que pour les organisations syndicales signataires de l'accord (CFDT, CFTC et CGC) et pour la direction de la CGT qui avait approuvé le " oui " de Denis Cohen. Erreur de casting ? Le scénario ne fonctionne pas, la direction d'EDF doit jeter au panier le sondage CSA et le Premier ministre remballer son communiqué de victoire. Les électriciens ont majoritairement rejeté l'accord de destruction de leur régime de retraite. Les syndicats signataires se retrouvent désavoués.
Dans un communiqué au ton virulent, la fédération Chimie-Energie de la CFDT ne manque pas de " dénoncer une désinformation systématique qui a attisé les inquiétudes du personnel ". Pour Philippe Douste-Blazy, secrétaire général de l'UMP, le résultat de la consultation " est un mauvais coup pour le système des retraites en général. La CGT, la CFDT ont dit oui. Le référendum dit non. Manifestement, il y a une sorte d'incompréhension entre la base et le sommet ". Pour le Premier secrétaire du PS, François Hollande, " les salariés d'EDF-GDF n'ont pas dit non à l'évolution de leur régime de retraites " en rejetant un accord qui " garantissait l'essentiel ". Pour sa part, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, regrette que " les salariés se soient trompés sur l'objectif du texte, qui visait à alléger l'entreprise des charges de retraites à un moment où l'on ouvre la marche à la concurrence ". Jean-Marie Toulisse, trésorier de la CFDT, demande très officiellement au gouvernement d'appliquer l'accord : " Ne pas le mettre en oeuvre, mettrait en difficulté l'avenir d'EDF-GDF et celui des retraites des personnels. " Il est entendu par Jean-Pierre Raffarin qui le rassure : " Cet accord négocié pendant ces six mois a été signé par la majorité des organisations syndicales ayant participé à cette négociation. Il revêt, par conséquent, toutes les caractéristiques nécessaires pour que les décisions législatives en soient tirées et elles le seront. "
Jacques Chirac entend que la réforme des retraites soit menée à bien et rappelle qu'" une partie du chemin a déjà été accomplie en 1993 ", l'année où Edouard Balladur avait allongé la durée de cotisation des salariés du privé de 37,5 ans à 40 ans. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, beaucoup plus prudent, ne mésestime pas l'importance symbolique de ce vote négatif, il y voit un " avertissement " : " Ceux qui pensent que la réforme des retraites peut passer dans un consensus harmonieux se trompent. C'est une réforme très difficile. "
Selon un responsable cédétiste cité par Le Monde, le non des salariés d'EDF-GDF " n'aide personne. Ni l'entreprise, ni les organisations syndicales, ni la dynamique intersyndicale, ni la confédération CGT, ni le gouvernement ". Il a oublié dans sa liste, à juste titre, les salariés.

Encore des voeux

Jacques Chirac appelle les fonctionnaires à rapprocher la République des citoyens, en corrigeant " les archaïsmes, les contraintes, les rigidités et les lenteurs " de l'administration. Il les invite à se poser quelques " questions simples " : " Les horaires d'ouverture des services publics tiennent-ils suffisamment compte de la disponibilité des usagers ? Que faites-vous pour réduire les déplacements, les files et les délais d'attente ? " Il lance aux hauts fonctionnaires : " Il vous reviendra de procéder aux changements d'organisation et aux redéploiements de moyens devenus possibles du fait de la décentralisation. " Il souligne que l'Etat " devra se dégager des activités où son intervention n'est pas réellement utile ". Il ne tait pas les " adaptations et redéploiements nécessaires " qui lui paraissent " essentiels de mettre en oeuvre, dans le dialogue et la concertation ".
" Bravo, bon courage. Je ne suis pas du genre à laisser tomber les copains. Surtout, à partir de maintenant, tu te couches de bonne heure. " C'est ainsi que Jean-Pierre Raffarin encourage son ministre de la Fonction publique, Jean-Paul Delevoye, à l'issue de cette cérémonie des voeux du président de la République aux corps constitués. Et dans la foulée, à l'assemblée générale du Médef, il propose " une réconciliation entre l'Etat et les entreprises " : " l'Etat doit tout faire pour que vos énergies ne soient plus bridées, que vos projets soient soutenus, pour que votre liberté d'action puisse entièrement s'exprimer ", en réponse au président du Médef qui réclamait " la réforme de l'Etat, la réduction de la dépense publique, la modernisation de la fiscalité et la refondation sociale ", tout en regrettant que le ministre des Finances - son ancien collègue du Médef, Francis Mer - n'ait pas réduit les dépenses de l'Etat en taillant dans les effectifs des fonctionnaires.
Finalement pas si sûr de lui, devant les militants UMP de Poitiers, Jean-Pierre Raffarin a déclaré : " Nous allons, peut-être, travailler par ordonnances. "

Déclaration de guerre

Au congrès de l'UDF, du 17 au 19 janvier, François Bayrou, fort de la victoire de Christian Blanc et du gain de la mairie de Noisy-le-Sec, a accusé l'UMP d'avoir passé un contrat sur son parti. " La déclaration de guerre " a eu lieu, Jean-Pierre Raffarin a donné son aval au projet du ministre de l'Intérieur qui fixe un seuil de 10% des inscrits pour qu'une liste se maintienne aux régionales. Le gouvernement a choisi l'épreuve de force. Contre cette réforme, l'opposition n'est pas chose simple, note Le Monde. Les Verts laissent entendre qu'ils seraient prêts à répondre aussi bien aux sollicitations de l'UDF qu'à celles du PS et souhaitent, avec le MRC, que le front commun des " petits partis " intègre l'UDF, voire le MPF de Philippe de Villiers.
Tandis que, lors de son dernier meeting à la Mutualité, Marie-Georges Buffet s'exclamait : " J'aime à penser que le 1er février, il y aura du monde dans la rue pour proposer une réforme audacieuse et juste ", Robert Hue, qui tente un come back à l'occasion de l'élection législative partielle d'Argenteuil, remarque à propos de son adversaire Georges Mothron : " Il fait défiler les ministres mais en quoi cela sert-il la circonscription ? Sarkozy est venu le soutenir, mais il n'a rien dit sur les besoins en policiers. Or, il en faudrait quarante de plus à Argenteuil et une quinzaine à Bezons. C'est cela qu'attendent les habitants. " Avec 48,22% des voix et plus de 50% d'abstentions, le candidat de la réforme des retraites et de l'augmentation des effectifs policiers est renvoyé, le 2 février, à sa mairie de Montigny-lès-Cormeilles.

Allon'zenfants !

Tout ce beau monde, gouvernement et " opposition ", s'est retrouvé à l'Assemblée nationale pour adopter à l'unanimité un amendement instituant un nouveau délit, celui " d'outrage au drapeau tricolore et à l'hymne national ", punissable de 7 500 euros d'amende et de six mois de prison. Daniel Joseph, président du Syndicat des avocats de France, a salué comme il se doit cette démonstration d'union nationale : " On est confondu devant tant de bêtise. Cela relève d'une volonté identitaire plus que franchouillarde et nous ramène au temps des tribunaux militaires et de l'infraction d'insulte au drapeau. "

Encore plus de plans "sociaux"

Les plans sociaux se multiplient : Métaleurop, Daewoo, ACT-Manufacturing, Palace Parfums, Péchiney, GIAT, LU-Danone... Arcelor, Matra automobiles, Air Lib devraient annoncer, à eux trois, la suppression de milliers d'emplois. Selon les chiffres officiels, le nombre de chômeurs a augmenté de 17 700 au mois de décembre 2002 et de 100 000 au cours de l'année. Dans le même temps, Jean-Pierre Raffarin justifie les allégements de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) que les députés de la majorité entendent voter le 4 février. Ernest-Antoine Seillière, rappelant que le Médef réclame toujours la suppression pure et simple de l'ISF, félicite le Premier ministre : " C'est un premier pas. Il y en aura nécessairement d'autres. "

Premiers pas

Samedi 1er février, 500 000 salariés ont manifesté contre la " réforme " des retraites et pour les 37,5 annuités public-privé. Dimanche 2 février, les pilotes d'Air France entament leur deuxième jour de grève pour des raisons salariales.
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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