«P.Q.V.S.»

Chronique d'une fin de régime"P.Q.V.S.", Pour Qui Vous Savez, tel est l'intitulé d'une rubrique trouvée dans des documents financiers saisis lors d'une perquisition dans le bureau du directeur commercial d'une société de Bâtiments et Travaux Publics. Derrière ce sigle il s'agissait de "dissimuler le versement de commissions à l'occasion de marchés publics, notamment ceux conclus avec le conseil régional d'Ile-de-France". Un simple rappel d'une des sept affaires où apparaît, en filigranne, le nom de l'intouchable - jusqu'à quand ? - Jacques Chirac.Je reste, telle est la décision prise par Alain Juppé après quelques jours de réflexion au lendemain de sa condamnation par le tribunal de Nanterre. "C'est l'énorme courant de sympathie qui s'est manifestée à mon égard, d'amitié, d'affection, de tous les milieux et de tous les bords. Ils m'ont ému. Ils m'ont parfois tiré des larmes" qui l'aurait motivé. La lecture d'un sondage de l'IFOP aurait du tempérer ses propos , 58% des Français souhaitent qu'Alain Juppé ne joue pas un rôle politique à l'avenir. Une fois l'émotion retombée, le président de l'UMP risque de devenir un handicap pour son parti dans la campagne des régionales. Le doute s'installe depuis sa condamnation, les chiraquiens sont dans l'incertitude. Et trop d'inconnus pèsent sur l'UMP : le sort d'Alain Juppé, l'avenir de Jean-Pierre Raffarin, la stratégie de Nicolas Sarkozy et le résultat des scrutins du printemps. Le sacrifice d'Alain Juppé ne suffit pas : "il fallait solder les comptes, reconnaître que le système pour parti perdurait, malgré les lois. S'excuser et rembourser" . La stratégie adoptée par Chirac a accentué le malaise, la création d'une commission ad'hoc chargée d'enquêter sur les pressions qu'auraient subies les magistrats, est jugée sévèrement . l'un d'eux résume la situation : "il y a eu un vent de panique générale".
A l'Assemblée nationale, M. Raffarin a rappelé "son amitié pour Alain Juppé ... qui n'est pas incompatible avec la justice" . Lors de son déplacement à Marseille, Jacques Chirac a pu entendre, dans les salons de la Mairie, Jean-Claude Gaudin faire l'éloge d'Alain Juppé en ces termes : "c'est un homme d'état et dans notre pays ça ne court pas les rues" , Jacques Chirac lui a répondu qu'il était sensible à ses propos et il a rajouté "j'ai pour Alain Juppé amitié, estime et respect. C'est un homme politique exceptionnel de compétence, d'humanisme, d'honnêteté et la France a besoin d'hommes de sa qualité". Il avait été précédé par son épouse qui avait dit la même chose, deux jours auparavant, sur RTL, tandis que Jean-Pierre Raffarin en fait des tonnes en qualifiant le jugement de "provisoire".

Prudence

Julien Dray, porte-parole du PS, a invité les politiques à faire preuve de "prudence" après la condamnation d'Alain Juppé. Laurent Fabius s'est dit "sensible à la dimension humaine " de l'affaire. Tandis qu'au siège du PCF, c'est le silence qui a dominé. François Hollande a protesté contre l'accusation de prudence qui lui etait lancée : "Il n'y a guère de doute que quand Jacques Chirac en aura fini avec son mandat, il encourra, à un moment ou à un autre, une procédure judiciaire". Ce qui veut dire, en attendant, qu'il peut continuer à gouverner tranquillement jusqu'à la fin de son mandat, ce n'est pas le Parti Socialiste qui ira lui chercher des poux sur la tête, la république "des copains et des coquins" peut continuer son existence .

Un honnête homme

A propos de l'honnêteté d'Alain Juppé, le Canard Enchaîné rappelle qu'en juin 1995, alors que Juppé était Premier ministre, sa famille était logée dans quatre appartements loués à la ville de Paris, pour des loyers nettement inférieurs aux prix pratiqués ; loyers qui étaient soumis "pour approbation" à un certain Juppé Alain, Premier adjoint au Maire de Paris, chargé des finances. Il avait ordonné une diminution de 1 000 francs par mois pour le loyer du studio de son fils et, pour les travaux de rénovation, toujours sous son contrôle, la ville avait déboursé 1,5 millions de francs. Le procureur de l'époque avait alors rendu un avis selon lequel les conditions du délit "d'ingérence" pourraient être réunies. Résultat ce procureur était viré sur l'heure par Jacques Toubon, alors Garde des Sceaux. Et vive l'indépendance de la justice ! Une somme de 1,2 millions d'euros, tel est le préjudice évalué par le service juridique de la ville de Paris, qu'aurait subi la collectivité parisienne dans l'affaire du financement du RPR. l'enquête qui a entraîné la condamnation d'Alain Juppé avait révélé qu'entre 1990 et 1995, sept personnes travaillant au service du parti de Jacques Chirac avaient été salariées par la ville. La ville est partie civile dans l'affaire et son maire Bertrand Delanoë a toujours estimé qu'elle devait obtenir "réparations des préjudices subis" . Il trouve "logique" que l'UMP, héritière du parti gaulliste, rembourse "la dette" de ce dernier.

Un vent de révolte

Le 5 février au soir, Valéry Turcey (représentant le CSM) a lu un communiqué sur le perron du quai Branly où siège le Conseil Supérieur de la Magistrature : "le CSM regrette de ne pas avoir été consulté avant la création d'une commission administrative chargée d'enquêter sur des faits qui font l'objet d'une information judiciaire". Cette déclaration est une réaction aux propos du Premier ministre, puis du Président de la République qui est, par ailleurs, Président du CSM, tenus à l'encontre de la décision prise par les juges de Nanterre. Jean-Pierre Raffarin avait qualifié le jugement de "provisoire" et Jacques Chirac avait salué "l'honnêteté" d'Alain Juppé. Si ce n'est pas encore une révolution, c'est bien une révolte qui s'empare de la justice, tout d'abord des magistrats par ce rappel à l'ordre à l'encontre du Président de la République et enfin des avocats qui manifestent et font grève, la troisième fois depuis 1945, contre le projet de loi Perben.

Divisions

Au deuxième congrès de l'UMP, Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé ont resservi la vieille soupe à l'union : "Notre seul adversaire c'est la division, le carré magique de la majorité - le Président de la république, le chef du gouvernement, l'Assemblée nationale et l'UMP - ne doit pas être altéré par les divisions". La division dans les rangs de l'UMP menace l'action du gouvernement alors que le programme des "réformes" à venir est considérable : Sécurité sociale, Institution européenne, Loi d'orientation scolaire. "Mon seul courant c'est le TSD, tout sauf la division" , a proclamé le Premier ministre à la tribune, cette formule se voulait une réplique humoristique au TSS - tout sauf Sarkozy - formule favorite des partisans du Président de la République. Le Ministre de l'Intérieur s'est tenu ostensiblement à l'écart, préférant la compagnie des militants à celle des ministres, cela n'a pas empêché un mouvement de foule à son arrivée ponctué d'acclamations et de vibrants "Nicolas, Nicolas ......"

Je t'aime, moi non plus

La bataille entre Chiraquiens et Sarkozistes, engagée depuis de longs mois, a connu un nouvel épisode quand il s'est agit d'en finir avec la composition de la liste parisienne aux élections régionales lors d'une réunion présidée par Alain Juppé en personne, les partisans du Ministre de l'Intérieur ont tous été écartés des positions éligibles, ce qui a fait dire à l'un d'entre eux, à propos d'Alain Juppé : "on l'a vu la larme à l'oeil, dimanche au congrès de l'UMP, et il réapparaît la hache à la main le mercredi, en commission d'investiture". La moitié du gouvernement participe aux élections régionales des 21 et 28 mars. En avril 2003 Jean-Pierre Raffarin s'exclamait devant les députés de l'UMP : "nous avons des batailles à gagner. Quand le Ministre est le meilleur il doit y aller" , aujourd'hui l'ambiance est plutôt morose, la plupart des candidats ministres préfèrent mettre en avant l'ancrage local plutôt que leur fonction gouvernementale, alors que la popularité de Jacques Chirac est en chute. Pour la première fois, selon les sondages, les mécontents - 53% - sont nettement plus nombreux que les satisfaits, ceci à moins d'un mois du premier tour de ces élections. Significative de cette situation est la décision prise par Véronique Fayet, une adjointe UDF d'Alain Juppé à la Mairie de Bordeaux, de s'enrôler sur la liste régionale de François Bayrou, ce qui a inspiré au Ministre de l'enseignement scolaire Olivier Darcos, tête de liste de l'UMP en Aquitaine, ce mot, il l'a qualifiée de "femme adultère" , un élu municipal a rajouté : "Jamais auparavant elle n'aurait osé s'opposer au Maire qui a fait sa carrière politique". Nicolas Sarkozy, candidat aux élections cantonales à Neuilly, quant à lui, vient de se voir offrir par Charles Pasqua la Présidence du Conseil général des Hauts de Seine. Un bastion dont il se servira pour ses ambitions qu'il ne masque pas, c'est ainsi que dans un meeting électoral de l'UMP, à la Garenne-Colombes, il a lancé : "C'est à une nouvelle mobilisation que je vous appelle. Dans ce combat, je ne serai pas derrière vous, ni à côté de vous, mais tout simplement devant vous, car il n'est d'autre place pour vous conduire vers les victoires que vous attendez et que vous méritez."
2007 est bien loin et il est peut-être déjà bien tard pour l'homme pressé.
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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