La nuit des petits couteaux

Chronique d'une fin de régimeCombien de temps reste-t-il à Raffarin ? Depuis l'annonce de sa candidature aux élections sénatoriales, les rumeurs sur un changement de Premier ministre s'accélèrent et s'amplifient. A l'ordre du jour depuis la débâcle des régionales, encore accentuée aux européennes, le départ de Raffarin bute sur la crise qui s'est emparée de l'UMP, aujourd'hui réduite à la portion congrue de 7% des électeurs inscrits, sur fond de nouveaux records d'abstentions. Mais, cette crise n'épargne pas non plus les autres partis qui ont lié leur sort au régime, le PS, le PCF mais aussi le FN.Même les apparences ne sont pas sauves : le parti du président élu à 82%, représentant lui-même 80% des députés, dominant le sénat, est donc basé en réalité sur 7% des électeurs, même pas un sur dix.
Souvenons-nous, cette Union "pour un mouvement populaire" devait devenir le parti unique de la droite c'est-à-dire un " Parti de l'Ordre" à même de mettre au pas les masses laborieuses et la société, au son du canon de la "cohésion sociale" et de "l'unité nationale". Il sombre dans la décrépitude en moins de deux ans et semble devoir se venger du sort qu'il connaît en se rangeant derrière l'adversaire du chef de l'Etat en son sein, Nicolas Sarkozy.
Evidemment, de tout temps, les chefs locaux ou nationaux des partis institutionnels ou traditionnels se disputent les postes et les faveurs, sous couvert du "mérite" et de la "reconnaissance" mais, pour ne pas dégénérer en luttes stériles, les compétitions entre personnages politiques doivent être contenues dans les fictions de l'intérêt supérieur de la nation et cesser au sifflet de l'arbitre placé au dessus de la mêlée. Les choses se gâtent d'ordinaire lorsque l'arbitre est à son tour happé dans la mêlée qui ressemble à s'y méprendre à un panier de crabes. "C'est moi qui décide, lui, exécute" martèle Chirac, le 14 juillet. Sarkozy, lui, esquive ce rappel à l'ordre, l'air de dire "cause toujours, tu m'intéresses", le sourire en coin car, en ce qui concerne le budget de l'Etat, c'est son arbitrage à lui, Sarkozy, en sa qualité de ministre des Finances, qui l'emporte selon le principe de l'obéissance aveugle et inconditionnelle aux critères de Maastricht Amsterdam, à savoir : pas un euro de déficit.

Le chef de l'Etat écorné

Que veut Sarkozy ? La même chose qu'Iznogoud, devenir Calife à la place du Calife. Et, pour ce faire, prendre la tête de l'UMP. Ce à quoi Chirac objecte : "celui qui se présente à la présidence de l'UMP doit démissionner de son poste de ministre" De cette façon, Chirac pense t-il enfermer Sarkozy dans un dilemme, en le privant de son assise ministérielle, précieuse dans sa quête de pouvoir absolu. En effet, la présidence de l'UMP pourrait devenir un boulet puisque la "machine à gagner" dont Juppé avait pris les commandes est devenue rapidement, on l'a vu, une "machine à perdre ". D'ailleurs, cet appareil qui, de temps en temps, a des velléités de ne pas apparaître comme un parti godillot à la botte de Chirac, ressemble plus à une confédération de courants rivaux qu'à un parti unique "en mouvement".Emboîtant le pas au chef de l'Etat en péril, Raffarin précise que Sarkozy doit rendre son portefeuille ministériel dès qu'il fera acte de candidature à la tête de ce bateau ivre qu'est l'UMP. Fielleux, le chef de gouvernement en sursis raille que l'ambition ne doit pas friser la prétention. Ce camouflet vise bien sûr le Nicolas aux dents qui rayent le plancher. Mais derrière cette répartie guère civile, la question est de savoir qui va arbitrer le budget 2005, Sarkozy ou Raffarin ? Or, le 2 septembre, Chirac et Sarkozy se rencontrent en tête-à-tête. Il en ressort que Chirac soutient la candidature de Sarkozy à la présidence de l'UMP et que Sarkozy quittera son fauteuil de ministre quand il sera élu chef suprême de l'UMP. Bien malin qui pourrait dire lequel des deux a dupé l'autre, dans ce compromis de dernière minute ! Mais, force est de constater que Raffarin en est le dindon de la farce puisque Sarkozy pourra revendiquer le budget 2005. Autre constat : dans cette affaire, Chirac est une nouvelle fois écorné dans sa fonction de chef de l'Etat. En effet, dans son intervention télévisée du 14 juillet, Chirac avait été catégorique : " je n'ai pas l'intention de me mêler de la désignation ou de l'encouragement à telle ou telle personne pour être candidate à la présidence de l'UMP au départ d'Alain Juppé, un départ dont je dis au passage que je le déplore, que je le regrette et que je le comprends - par conséquent pour répondre à votre question si tel ou tel ministre, car il y en a plusieurs qui semblent intéressés, si tel ou tel Ministre veut se lancer dans la campagne, s'il est élu Président de l'UMP, il démissionnera immédiatement ou je mettrai fin à ses fonctions (...) Je le répèterai indéfiniment que je n'ai pas à me mêler des affaires de l'UMP. C'est clair ". Seulement voilà, moins de deux mois après, Chirac est donc contraint de descendre de son piédestal pour contenir la dislocation de l'UMP.

La farce de l'apaisement

Devant les "jeunes populaires" se joue alors la farce de l'apaisement, de l'unité retrouvée, dans le téléphérique qui conduit Douste, Sarkozy et Raffarin vers les hauteurs d'Avoriaz le 5 septembre dernier. Sarkozy peut alors se muer dans le personnage du sauveur de l'UMP, de celui qui va redresser et redonner force de vie à ce mouvement en perdition, celui qui va unir autour de son nom vers l'horizon présidentiel de 2007, libéraux, centristes, gaullistes et autres variétés politiques de la droite dite "républicaine" dans un grand parti de l'Ordre réunissant dans une seule palette toutes les nuances de la réaction. Face à lui, la dissidence de son ancien bras droit Dupont-Aignan partisan du "Non" au référendum de 2005 et adversaire de la décentralisation, qui reste très marginale. Quant à Raffarin, son objectif est de tenir jusqu'au référendum "européen".Le moins qu'on puisse dire est que rien n'est réglé, pas même la question des rapports entre l'UMP et l'UDF que la politique de la main tendue à Bayrou, tentée par Sarkozy, n'épuise pas. Ainsi, derrière le rideau de fumée de l'apaisement entre les factions qui se disputent la dépouille de l'UMP et des institutions moribondes de la Vème République, la question de savoir qui doit présider l'EDF avive les heurts au sein même du gouvernement, à peine remis des crispations que la préparation du budget a suscitées entre Borloo et Sarkozy, entre Alliot-Marie et le même Sarkozy.

Universités d'été, foires d'empoignes ?

Les heurs et malheurs de l'UMP ont failli éclipser la situation du Parti socialiste qui, parait-il, se remettrait lentement mais sûrement du rejet massif qui a frappé la " Gauche plurielle" le 21 avril 2002. Le PS, redevenu "premier parti de France" rassemble à grand-peine 13% des électeurs inscrits aux dernières élections européennes. Moins exposé que l'UMP, il n'est cependant pas épargné par le rejet des institutions et des "réformes". Durablement affaibli, le PS est lui aussi en proie aux déchirements internes. Ainsi, Arnaud de Montebourg et Jack Lang qui font cause commune en faveur d'un replâtrage de la Vème république s'opposent entre eux sur la consigne de vote à donner au référendum sur la constitution européenne. Lang est pour le "oui", de Montebourg est pour le "non". Quant à l'apparition de Jospin, peu après l'assomption, à l'université d'été du PS, elle ne semble pas avoir soulevé l'enthousiasme de ses anciens disciples.
Mais, c'est encore sans commune mesure avec les convulsions qui agitent le FN. Une faction, entraînée par Alain Bompart, le maire d'Orange, a tenu une université d'été concurrente à celle organisée par la direction du parti d'extrême-droite. Entre autres amabilités à l'attention de la fille de Le Pen, Bompart lance "si elle avait des idées, ça se saurait". Pour sa part, Marine Le Pen se dit être victime d'une " diabolisation" interne. Et son père réagit en annonçant des sanctions contre ces nouveaux dissidents qui sont les derniers vestiges de l'aile catholique intégriste et royaliste alliée au courant "solidariste" que représente l'ancienne députée FN Marie-France Stirbois. Comparés à "la nuit des longs couteaux" (au cours de laquelle Hitler fit passer par les armes l'aile "plébéienne" du parti nazi) les règlements de comptes au sein du FN semblent bien dérisoires, au moins aussi dérisoires que la prétendue "montée de l'extrême-droite" décrétée au soir du 21 avril 2002 comparée à la montée du fascisme et du nazisme dans les années 30. A tout le moins, ces chocs frontaux au sein du FN montrent que ce "parti"est, lui aussi, désemparé par la crise des institutions qui résulte de leur rejet par l'ensemble de la population laborieuse.

" Course éperdue dans un labyrinthe "

l'ensemble du mécanisme de la Vème république est déréglé. Pour conjurer ces dérèglements institutionnels, les partis traditionnels se sont entendus pour mettre en place le "quinquennat" qui présentait l'avantage d'éviter à l'avenir de nouvelles cohabitations au sommet. Or, dans une déclaration commune de plusieurs ministres publiée dans Le Monde du 17 juin, on pouvait lire : "Dans le rythme électoral rapide imposé par le quinquennat, il faut que le mouvement se dégage, au moins jusqu'à la fin de 2006, de la seule logique de conquête présidentielle, donc du jeu personnel, faute de quoi il se disperse et s'épuise. La course éperdue dans un labyrinthe est la certitude de s'égarer à jamais ". Là n'est pas le moindre défaut du quinquennat aux yeux de tous ceux qui se situent du point de vue de la continuité du régime gaulliste de la Vème république. Ce palliatif a tout l'air d'un remède pire que le mal. De Gaulle, père de la Vème république, avait pourtant prévenu : "Il ne faut pas que le président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altèrerait le caractère et abrègerait la durée de sa fonction de chef de l'Etat "[Conférence de presse du 31 janvier 1964. Cité dans le courrier des lecteurs du journal Le Monde, 3-4 septembre 2000]
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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