Haute tension

Chronique d'une fin de RégimeÀ un pôle, il y a les dividendes des actionnaires des grosses sociétés qui flambent : 85 % pour Arcelor, 108 % pour France Télécom, et ainsi de suite. À l'autre pôle, on trouve les salaires qui stagnent et les poches de misère qui se creusent encore : la France compte chaque jour 1 000 pauvres de plus que la veille, en moyenne. Ces chiffres mesurent, à leur manière, l'extrême tension qui règne dans ce pays. Tandis que le gouvernement, à commencer par ses membres chiraquiens, va de dégringolade en dégringolade.Le porte-avions Clémenceau erre sur les mers comme un vaisseau fantôme après son abordage par une poignée de militants de Greenpeace. Il est sur le chemin du retour, le chemin des écoliers puisqu'il n'a pas droit au canal de Suez pour cause d'économies. Aux yeux du monde entier, la France passe désormais pour une puissance déchue qui tente de déverser ses ordures militaires bourrées d'amiante ailleurs, le plus loin possible (de préférence, là où la main-d'oeuvre est " la moins chère ").

La réalité dépasse les guignols de l'info

Sur le front intérieur, Madame la ministre de la Défense a beau arborer son masque de marbre, elle n'en est pas moins ridiculisée, prise à partie par les siens. C'est bien connu, sous ce Régime, le ridicule ne tue pas, il achève. Une " présidentiable " de moins, donc. Mais ce n'est rien à côté de ce qu'endure Villepin, moins d'un an après sa nomination au poste de Premier ministre. Lâché par les sondages, lâché par la courbe officielle du chômage, astreint, tout comme Chirac, à manger du poulet en public, Villepin est maintenant rattrapé par la calamiteuse gestion de l'épidémie annoncée du virus du moustique appelé chikungunya qui ravage l'île de la Réunion. La réalité dépasse les guignols de l'info. Si ce n'était pas tragique, on en rirait. Cette maladie atteint des dizaines de milliers de personnes, en tue des dizaines, tout cela parce que les pouvoirs publics ont " tardé " à en mesurer l'importance, la minimisant comme ils avaient dangereusement relativisé la canicule en 2003. Le nommé Barouin a lui-même parlé d'une grosse grippe (oubliant au passage que les grosses grippes peuvent encore tuer, même à notre époque).

" Un moment d'énervement "

Dans un autre registre, la Justice, comme institution, est à nouveau mise à mal par l'affaire du procès des présumés coupables de l'assassinat du préfet Érignac. Là encore, comme pour Outreau, le principe de la présomption d'innocence a été purement et simplement écarté. Les accusés condamnés aux plus lourdes peines en première instance n'étaient donc pas coupables de ce crime. l'institution judiciaire se montre pourtant parfois plus clémente, pour ne pas dire complaisante, envers certains criminels, si l'on en croit cet entrefilet du Canard Enchaîné du 1er mars 2006, intitulé " Un tortionnaire de proximité " qui révèle que le ci-devant commissaire Gilbert Ambrosi a été promu juge de proximité. Ce triste sire avait, en décembre 1984, torturé pendant plusieurs heures un jeune cambrioleur d'origine algérienne dans son commissariat, en lui appliquant des décharges électriques sur le corps. " Ambrosi [rappelle le Canard] n'avait pas nié les faits, dus, selon lui à " un moment d'énervement " ". Pour cette promotion accordée à cette crapule, tout le gratin de Menton était là, procureur de la République en tête, député-maire, conseiller général du coin et autres figures locales.

De dégringolade en dégringolade

Dans le même registre, le dernier rapport sur les prisons françaises est accablant : surpopulation, cellules infectes, conditions de détention fondées sur l'humiliation rendant impossible la réinsertion sociale des détenus et propices à la récidive voire à l'annihilation des individus. Stratégie conforme à l'image d'un État vindicatif. Ajoutons, pour clore provisoirement cette rubrique judiciaire, que le ministre de l'Intérieur se prononce pour le fichage ethnique des délinquants, sous couvert de transparence dans les statistiques ... Maréchal, nous re-voilà. Décidément, il ne laisse rien à Le Pen, l'Iznogoud de la place Beauvau.

En tout cas, les errements de la machine à gouverner et des institutions réactionnaires de l'État soulèvent une seule question : comment Chirac, Villepin, Sarkozy, de dégringolade en dégringolade, vont-ils tenir pendant l'année qui les sépare de 2007 ? Reste " la bataille de l'emploi " que le preux Villepin était, paraît-il, " en train de gagner ", en faisant baisser la courbe du chômage, à coups de radiations de chômeurs. Las, la voilà, cette courbe, qui repart à la hausse, infligeant un désaveu cinglant aux remèdes de Diafoirus appliqués par Villepin à ce fléau social chronique.
Voilà ce gouvernement exposé à un vent de fronde contre le CPE qui lie les jeunes à la population tout entière et les soude contre ce gouvernement. l'aspiration à le chasser, sans attendre, devient chaque jour plus explosive. Et cela, même si les commentateurs prennent soin de ne surtout pas évoquer la date fatidique pour le régime du 29 mai 2005, devenue sujet tabou. Et pour cause, l'aspiration à chasser ce gouvernement était contenue dans le résultat du référendum sur le traité constitutionnel européen du 29 mai.

Patriotisme, quand tu nous tiens !

Ils ont beau s'aveugler : les conditions d'un affrontement majeur se rassemblent. Dans ce contexte précis, la fusion annoncée entre Suez et GDF, sous couvert de parer à une OPA, européenne de surcroît, ne fait qu'alimenter le feu roulant de la colère contre Villepin-Chirac-Sarkozy, devant tout cet étalage de contradictions verbales et de fausses promesses. Où l'on voit Villepin hisser le pavillon du patriotisme français (au détriment du patriotisme européen dans lequel il se drapait lorsqu'il s'agissait de faire avaler le oui à la Constitution européenne) pour faire passer en contrebande la privatisation totale de GDF, inscrite dans le patrimoine génétique du nouveau statut de cette entreprise établi par Sarkozy lorsqu'il était aux Finances. Où l'on voit aussi resurgir cette directive Bolkestein que tous les tenants du oui français, tricolores et sûrs d'eux, juraient avoir retirée, le temps d'un référendum. À commencer par la direction du PS, qui pensait qu'en prenant des vessies pour des lanternes, elle saurait convaincre ses propres électeurs de voter oui, comme le Medef.

Ségolène Royal : " Je ne déferai pas ce qu'a fait la droite pour le plaisir "

Du côté du PS, Ségolène Royal, qui se voit déjà en haut de l'affiche, prête à bondir sur le fauteuil de la Présidence de la République, fait comme si elle était déjà en campagne et donne le ton, déclarant avec la morgue des bien-pensants : " il est devenu insupportable de défaire la nuit ce que Pénélope a fait le jour ! Je ne déferai pas pour le plaisir ce qu'a fait la droite ". Après avoir fait l'éloge de Tony Blair et de la flexibilité, après avoir épaulé au Chili Michelle Bachelet, qui n'a jamais fait mystère de son " libéralisme ", après avoir contribué à la mise en place d'emplois-jeunes pour le privé dans les Deux-Sèvres, ressemblant comme deux gouttes d'eau aux CPE que Villepin tente d'imposer à la nouvelle génération, Ségolène Royal laisse entendre qu'elle n'abrogera pas les lois scélérates contre la Sécu, contre les retraites, contre le Code du travail et les services publics, si elle succède à la droite. Il est vrai que Jospin, qui se profile en douce à l'ombre du tableau des présidentiables, n'avait pas agi autrement lorsqu'il était Premier ministre, refusant d'abroger la loi quinquennale contre l'emploi de Balladur, qui avait introduit l'annualisation du temps de travail, refusant d'abroger ses décrets allongeant la durée de cotisation pour une retraite à taux plein dans le privé, généralisant au contraire la flexibilité du temps de travail et le gel des salaires sous couvert de RTT, bloquant la construction de logements sociaux en France sous couvert de " mixité sociale", consacrant " l'ouverture du capital " d'Air France, de France Télécom, et ainsi de suite.

Battre la droite ? Oui, mais comment ?

" Battre la droite ", proclame fièrement une affiche du PCF. Qui pourrait être contre ? Certainement pas les salariés, les chômeurs, les retraités, les immigrés, les jeunes. Tous veulent " battre la droite ", maintenant et sans attendre 2007. Alors, " Battre la droite " ? Oui, mille fois ! Oui, mais comment ? Certainement pas par les journées d'action morcelées, sans lendemain, ou par la " stratégie " dite des " temps forts " qui épuisent les salariés du public et du privé sans faire reculer d'un pouce le gouvernement. Certainement pas par ces " stratégies syndicales " qui consistent à discuter du montant de la participation des salariés dans le capital d'entreprises vouées à la privatisation par le gouvernement, comme cela a été le cas à la SNCM. " Battre la droite ", dans l'esprit de la population laborieuse, cela ne veut pas dire tout et n'importe quoi, cela veut dire : le retrait du CPE et du CNE. Cela signifie : dehors Chirac-Villepin-Sarkozy. Cela implique : une politique ouvrière indépendante qui commence par la satisfaction des revendications vitales, par un plan d'urgence en faveur des travailleurs, des chômeurs, des immigrés, des jeunes, des mal-logés.
Modifié le lundi 06 mars 2006
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