Grand soir et petits matins

Chronique d'une fin de RégimeLes cent premiers jours du nouveau chef de l'État sont passés, le temps d'un été pluvieux, le temps d'une session extraordinaire du Parlement consacrée à toute une batterie de mesures plus anti-ouvrières les unes que les autres, le temps de retournements de vestes en chaîne à la tête du PS, toujours du bon côté, comme dit la chanson. Mais, depuis quelques jours, il semble que l'État de griserie, à défaut d'État de grâce, s'achève pour celui qui se prend pour le DRH de la nation tout entière.Les premiers cent jours, sous leur apparence de faste et de clinquant, n'auront été qu'une trêve passagère dans le développement de la crise politique et institutionnelle de ce Régime. Les personnages neufs du nouveau gouvernement semblent être voués eux-mêmes à s'user prématurément.

Feu de plancher

Pour exemple, Rachida Dati, la garde des sceaux dont le frère est en prison et dont le staff technique a démissionné très vite. Son cabinet a dû essuyer pas moins de sept défections en quelques semaines. Par-dessus tout, elle est parvenue, en un temps record, à se mettre à dos l'ensemble des magistrats, après avoir convoqué un vice-procureur dont les propos lui avaient déplu, au sujet des peines dites " plancher ". Rappelons-le, Philippe Nativel avait été convoqué le 29 août dernier pour avoir déclaré lors d'une audience que les juges n'étaient pas l'instrument et qu'ils devaient appliquer la loi avec discernement, et ce concernant un cas entrant dans le champ de la loi sur les peines plancher. Lors de sa convocation, il avait nié avoir tenu de tels propos. La Ministre de la Justice avait alors annoncé qu'il ne subirait aucune sanction dans la mesure où rien n'avait été dit. Cette mise en garde a été perçue immédiatement comme une tentative d'intimidation et de mise au pas, soulevant l'indignation de l'ensemble de la magistrature, à telle enseigne que le Conseil supérieur de la magistrature a dû intervenir directement, en sommant Dati de s'expliquer. Du jamais vu ! Dès maintenant, une partie de bras de fer s'engage entre la Justice et sa ministre. Laurent Bedouet, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), dénonce " une conception totalement monarchiste de la séparation des pouvoirs ".

Affaires de droit et droit des affaires

Cette indépendance, ô combien relative il est vrai, de la Justice et des magistrats n'est pas du goût du nouveau maître de l'Elysée, avide de réformes tous azimuts. Profitant à sa guise du procès de l'assassinat de deux aides-soignantes de l'hôpital psychiatrique de Pau et du viol d'un enfant par un pédophile récidiviste qui venait juste d'être libéré de prison, Sarkozy s'en est pris à l'irresponsabilité pénale censée s'appliquer aux malades psychiatriques, de moins en moins d'ailleurs.
Ce nouveau justicier a décidément des idées sur tout " et surtout des idées " dirait Coluche : " Les hommes politiques doivent prendre des décisions au moment où elles doivent être prises " s'enflamme Sarkozy. À peine a-t-il fustigé l'irresponsabilité pénale des malades psychiatriques, le voici qui s'insurge contre la pénalisation, cette fois, du Droit des affaires. D'ailleurs, c'est un peu son rayon. N'a-t-il pas été avocat d'affaires auparavant ? Finies, les belles envolées pathétiques et non moins électorales stigmatisant les patrons voyous. Le tribunal de Commerce sera habilité à leur donner un coup de règle sur les doigts. Sarkozy commente : " La justice commerciale doit être, selon moi, l'élément moteur de la compétitivité des entreprises ". C'est tout dire !

Premier revers juridique

Autre affaire de droit : la censure partielle d'un élément de la loi sur la fiscalité par le Conseil constitutionnel : la mesure sur la fiscalité des intérêts d'emprunts immobiliers. Or, Sarkozy tenait à ce que les crédits immobiliers souscrits avant l'entrée en vigueur de sa loi fiscale soient inclus dans le " paquet fiscal ". La loi votée par la chambre bleu Sarkozy prévoyait tout simplement que cette mesure serait rétroactive. Rien que ça. Nouvelle entorse aux principes démocratiques contenus dans le droit qui proscrivent la rétroactivité de toute loi. Dans son communiqué de presse ; le Conseil constitutionnel explique : " Le Conseil constitutionnel a jugé que cet avantage, qui est précisément encadré, répond pour les prêts futurs à un objectif d'intérêt général qui est de favoriser l'accession à la propriété. Il n'en va pas de même pour les prêts déjà accordés car, par définition, pour ceux-ci, le contribuable est déjà propriétaire de son habitation principale. Il s'agit alors d'un soutien au pouvoir d'achat au bénéfice des seuls contribuables propriétaires de leur habitation principale. Son coût (7,7 milliards d'euros) fait supporter à l'État des charges manifestement hors de proportion avec l'effet incitatif attendu. Pour les prêts déjà accordés, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition pour rupture de l'égalité entre contribuables ". À noter que, en ce 16 août, le Conseil constitutionnel ne s'est pas inquiété de la rétroactivité de la mesure, mais principalement de son coût pour l'État. Ici, les arguties juridiques obéissent à des mobiles économiques crus, au moment même où surgit une grave crise boursière. En effet, la réalité économique et financière de la France n'est pas, et c'est le moins que l'on puisse en dire, à la hauteur des prévisions de croissance sur lesquelles tablait Sarkozy au cours de sa campagne. Il ne lui reste qu'à s'exclamer devant un parterre de patrons du MEDEF : " la croissance, il faut aller la chercher ".

Quelle opposition ?

Hormis ces désagréments, Sarkozy semble être incontesté. Tout se passe comme s'il n'y avait pas d'opposition. Le Premier ministre s'en inquiète ; devant les caméras de l'émission Diman­che +, il explique doctement à la journaliste Laurence Ferrari que l'affaiblissement du PS n'est pas une bonne chose. D'ordinaire, ce qu'il est convenu d'appeler " l'opposition " est censée servir de soupape au mécontentement populaire, d'amortisseur et de frein. Le fait que l'opposition se délite n'est pas sans danger pour le Régime et le gouvernement en place. À ce stade, nous avons vu les directions syndicales confédérales multiplier les gestes d'allégeance à Sarkozy, critiquant ses projets destructeurs dans les marges, J.-C. Mailly déclarant, par exemple, dans les colonnes du Parisien en cette rentrée, qu'il était disposé aux négociations de mise en oeuvre du " service minimum " dans les entreprises. S'agissant des restes du PCF, nous les voyons à l'oeuvre à Aubervilliers contre les familles ivoiriennes, du côté de la matraque, main dans la main avec la préfecture sarkozyste du " neuf-trois " pour chasser les mal-logés et les pau­vres des abords de la capitale. Mais la palme de la déconfiture la plus complète revient indiscutablement au PS. Cette déroute pourrait se résumer à cette phrase définitive de cet ectoplasme qu'est François Hollande : " le grand soir, c'est fini ". Pitoyable.

l'appel de la mangeoire

En attendant, les ralliements directs ou indirects à Sarkozy se multiplient, Après le renfort direct de Kouchner, Besson, Amara et Bockel, venus du PS pour renforcer l'équipe gouvernementale, les incorporations se multiplient : Jack Lang, après avoir soutenu le projet de loi Pécresse sur les universités, a accepté la vice-présidence d'un " comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République ".
Jacques Attali ne s'est pas fait prier pour présider une commission sur les " freins à la croissance ". Hubert Védrine a été chargé de commettre un rapport sur la mondialisation. Rocard, soudain ressuscité, s'apprête à bosser sur les questions de l'enseignement. Cela n'empêche pas Sarkozy de les moquer devant les patrons du MEDEF : " Au fond, peut-être que je suis celui qui sait le mieux exploiter les richesses humaines du Parti socialiste. Ils ont des gens très bien, ils ne les utilisent point. Dans une autre vie, je pourrais peut-être faire directeur des ressources humaines ". Mais rien ne saurait résister, chez ces gens-là, à l'appel de la Mangeoire. Sur ce terrain, c'est encore Strauss-Khan qui remporte la palme en se présentant à la tête du FMI ... avec le soutien de Paris, Londres, Washington. Une ambition cyniquement cruelle et cruellement cynique ... Ces retournements de veste en rase campagne ne sont qu'apparents, ils révèlent au grand jour que l'appareil du PS est un appareil bourgeois de part en part. À la marge, il existe aussi un drôle de conglomérat à travers le bulletin Confrontations Europe où l'on retrouve dans un même effort de réflexion Rocard (encore lui !), Herzog (l'ancien économiste du PCF), Brard (le maire apparenté PCF de Montreuil) et Le Duigou (le numéro 2 et penseur de la CGT). Dans son dernier éditorial, Herzog y écrit : " Les rencontres économiques d'Aix-en-provence 2007 ont exploré la question : quels capitalismes pour le XXIe siècle ? Réunissant près d'un millier de participants, des personnalités venues du monde entier, cette remarquable réussite est le fruit de la créativité, de la convivialité, et de l'esprit d'initiative de Jean-Hervé Lorenzi et du " Cercle des Économistes ". Leurs réflexions et celles de Confrontations Europe convergent sur l'essentiel " ... À l'opposé de ces élucubrations réactionnaires et anti-ouvrières, les travailleurs ont plus que jamais besoin de syndicats indépendants qui défendent leurs conquêtes et leur feuille de paye, ils ont plus que jamais besoin d'un plan d'urgence et de défense et aussi et surtout d'un parti ouvrier, un vrai.
Modifié le dimanche 16 septembre 2007
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