Fuite en avant par ordonnances

« Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner
Où de droit absolu j’ai pouvoir d’ordonner ? — (Molière, Sganarelle)


Macron, avons-nous dit, est illégitime parce que minoritaire et minoritaire parce qu’illégitime. N’ayant été sacré roi par nul autre que Stéphane Bern, il entend ordonner sur ordre. Sa première cible est le Code du travail dans lequel la loi El Khomri a ouvert une brèche. Son gouvernement veut « très vite » consacrer la première ordonnance du roi sans couronne. Elle agirait alors comme une bombe à retardement à fort effet de souffle sur fond de crise politique aggravée.

Fuite en avant par ordonnances

Dès le lendemain du second tour, la crise politique a connu un nouveau pic. Sa véritable trame de fond, ce sont les 16 millions de NI-NI (abstentions, blancs et nuls) et l’effet pervers du duel Macron-Le Pen : un chef de l’État dont la majorité des voix forment un vote contre Le Pen. Sa base réelle dans la société est cinq fois plus exsangue que les 45% du corps électoral lui ayant apporté sa voix.

LR : échec et mat

Après la défaite historique du 27 avril, et pour la première fois depuis 1958 la disqualification du candidat de la droite gaulliste du second tour, la crise s'est transformée en maelström.

Édouard Philippe, député-maire LR du Havre, est nommé premier ministre.

Bruno Le Maire, député LR de l'Eure et ancien candidat à la primaire de la droite, est nommé ministre de l’Économie.

Gérard Darmanin, maire LR de Tourcoing, proche de Nicolas Sarkozy, est nommé ministre de l'Action et des Comptes publics.

L'onde de choc est extrêmement profonde. La République En Marche (LREM) ne présentera pas de candidats dans une vingtaine de circonscriptions où LR est sortant. En profitent notamment : Thierry Solère, Christian Estrosi, Xavier Bertrand, Benoît Apparu, Franck Riester, Hervé Mariton, Laure de La Raudière, Hervé Gaymard...

Jean-Paul Delevoye, président de la commission d'investiture de LREM se régale et explique : « Ce n'est plus une question de clivage droite-gauche mais... d'avenir et de passé . »

« La marque PS est démonétisée »

Tous les oracles qui, il y a encore dix ans, attestaient que la V e République allait se muer en un régime présidentiel à l’américaine basé sur le bipartisme UMP – PS sont probablement saisis d’effroi devant le spectacle de la décomposition avancée de ces deux partis. Le PS est à présent en lambeaux. Le sénateur-maire d’Alfortville (94) Luc Carvounas, ex -« vallsiste », dresse un bilan sévère. Epinglant Le Drian et Valls, il dit : « je suis étonné de cette migration du PS (…) Cela veut dire qu'ils soutiennent un Premier ministre issu des rangs les Républicains (…) Qui a deux maisons perd la raison ». Anticipant sur la déroute qui attend le PS aux législatives, Carvounas dit : « Si nous sommes 20, 30, 40 ou 50, on peut se dire que les grandes cascades commencent par des petites gouttes d'eau ! ». Et, de conclure provisoirement : « la marque PS est démonétisée » 1 .

Pour Malek Boutih, soutien de Macron et candidat de « la majorité présidentielle », « le PS n'est plus un parti politique », c'est un « tribunal politique ». Parole de traître...

Gérard Collomb, maire PS de Lyon, est nommé ministre de l'Intérieur, bien décidé à ne pas lever l’état d’urgence. Jean-Yves Le Drian, ancien ministre de la Défense d'Hollande-Valls, est nommé ministre des Affaires étrangères.

Les anciens ministres des gouvernements Hollande-Valls-Ayrault sont préservés de candidats LREM tels Manuel Valls, Myriam El Khomri, Stéphane Le Foll et Marisol Touraine.

Tant de perfidie politique jette une lumière cruelle sur l’état du régime de la Ve. Commence alors la fuite en avant pour tenter de prendre de vitesse la lutte de classes au moyen des ordonnances. Cette méthode n’est pas sans inconvénients. Elle laisse peu de marge au fameux « dialogue social ». Ce « dialogue social » est pourtant nécessaire pour hameçonner les syndicats, les réduire plus encore au rang de « partenaires sociaux ».

Les ordonnances en marche

Le premier ministre s’en explique : « C'est une réforme majeure (...) Cela veut dire une discussion avec les organisations syndicales, qui est indispensable, et une discussion parlementaire qui aura lieu à l'occasion du vote de la loi d'habilitation qui permettra au gouvernement de prendre des ordonnances dans le cadre défini par la Parlement. (…) On ne s'engagera pas dans une réforme aussi puissante sans une phase de discussion avec les partenaires sociaux et le Parlement. ( …) Nous aurons des rencontres bilatérales avec l'ensemble des organisations syndicales. Mais une fois que la discussion aura eu lieu, il faudra aller vite. On ne peut pas attendre deux ans pour achever cet exercice ».

Une première rafale de 3 ordonnances « musclant » la loi El Khomri est au programme de l’été qui vient :

- réforme du Code du travail

- fusion des CE et CHS CT

- barémisation des indemnités de licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse aux prud’hommes.

Où vont Mailly-Martinez ?

Cela laisse l’impression d’une grande assurance de la part du gouvernement. En renonçant à exiger l’abrogation de la loi El Khomri, Mailly-Martinez donnent, de fait, le feu vert au pouvoir en place pour mettre ses ordonnances en batterie. Ces assurances ne suffisant pas, Mailly en rajoute encore une louche. Sur le principe des ordonnances, il dit le 22 mai : « Si je suis d'accord avec le contenu non … Le tout est de savoir si le gouvernement va faire une vraie concertation » et se déclare « ni naïf, ni suspicieux » « on laisse une chance » 2 . La veille, il a dit : « De ce que j'ai pu entendre et lire, le message qu'envoie l'exécutif est que sur le code du travail, il y a des marges de manœuvre, de vraies marges de discussion. Si c'est le cas, Force ouvrière est prête à discuter » 3 . Or, s’agissant du contenu du dialogue social Edouard Philippe a été clair ce 21 mai : « discuter avec les syndicats pour enrichir et expliquer » 4 .

Il ne reste donc à Martinez qu’à jouer au chat et à la souris, moustache en bataille…Or, même en ayant le verbe haut, il n’entend même pas mettre l’abrogation de la loi Travail en préalable à toute discussion. Il l’a avalée et entérinée. Il commence donc par dire que « Ces ordonnances sont complètement irrecevables ! » puis, il module « « Réformer le Code du travail n'est pas une priorité. L'assouplir ne permet pas de lutter contre le chômage », le tout pour dire : « on soumettra au Premier ministre une dizaine de mesures urgentes à prendre pour le pays. Si on écoute nos propositions, nous voulons bien parler du Code du travail . Mais notre objectif est de renforcer les droits des salariés. ». Ici, il y a évidemment maldonne : comment pourrait-on renforcer les droits des salariés si la loi El Khomri actuelle n’est pas abrogée ? Il précise alors : « Nous voulons être écoutés et qu'on prenne le temps de la discussion en tirant les enseignements du passé. Quand on veut dialoguer et qu'on est attaché au bien-être des salariés, on ne discute pas pendant les vacances. L'expérience de la loi Travail devrait attirer l'attention de ceux qui nous gouvernent aujourd'hui » 5 . Il en rajoute encore une pincée : « Qu'un Premier ministre contacte les organisations syndicales la première semaine de sa prise de fonction est plutôt une bonne chose. C'est une attitude correcte . » 6

Avec des déclarations de ce type, le gouvernement n’a aucune raison de temporiser. D’autant moins que Martinez a appelé à voter Macron, tout comme le Berger (CFDT) du Medef.

Le présent, bien souvent, éclaire le passé. Au printemps 2016, en opposant temps forts et grèves tournantes (et « blocages ») au mouvement instinctif vers la grève générale, Martinez et Mailly « accompagnaient » le passage de la loi El Khomri. Le gouvernement et les médias tançaient vertement Martinez quand il perdait le « contrôle » des événements et de « ses troupes ». Va-t-on assister à nouveau à la reprise du même scénario ? Einstein a dit un jour : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à des résultats différents ». Depuis 95, les généraux de la CGT adoptent toujours la même stratégie. Mais, là encore, il y a toujours un rapport entre les moyens que l’on emploie et la fin que l’on vise. Quelle « fin » visent Mailly-Martinez ? Tout sauf le libre développement de la lutte de classes, sur son terrain direct, qui permet les combats victorieux. Tout sauf la satisfaction des revendications vitales et le maintien des conquêtes sociales que le capitalisme ne peut plus supporter. Mais la CGT et FO ne sont pas identifiables à cette poignée de « généraux ». Syndicalistes et salariés sont unis sur la base d’une même aspiration : Abrogation totale de la loi El Khomri – A bas les ordonnances !



Stéphane Nakache, 22 mai 2017



1. https://www.pressreader.com/france/le-figaro/20170520/281724089486752
2. http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/mailly-pas-choque-par-la-pratique-des-ordonnances-s-il-est-d-accord-avec-le-contenu-7788596061
3. http://newscdn.newsrep.net/h5/nrshare.html?r=3&lan=fr_FR&pid=14&id=pXd1597ee5g_fr&app_lan&mcc=208&declared_lan=fr_FR&pubaccount=ocms_0&referrer=200620&showall=1
4. http://newscdn.newsrep.net/h5/nrshare.html?r=3&lan=fr_FR&pid=14&id=pXd1597ee5g_fr&app_lan&mcc=208&declared_lan=fr_FR&pubaccount=ocms_0&referrer=200620&showall=1
5. http://www.europe1.fr/politique/martinez-cgt-reformer-le-code-du-travail-nest-pas-une-priorite-3336719
6. http://www.lejdd.fr/politique/philippe-martinez-les-ordonnances-de-macron-sont-irrecevables-3337022

Modifié le mardi 23 mai 2017
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