Etat d’exception…

La France, c’est bien connu, est le pays de la liberté d’expression, terre d’asile et des droits de l’homme. Nous aimerions tant y croire. Le racisme est combattu  avec vigueur par un Premier ministre qui, en ces temps de vaches maigres, alloue même un budget pour éradiquer cette hydre. Là encore, nous aimerions y croire. Qui sait, Amadou y croyait, peu ou prou. Jusqu’au soir de sa mort, au commissariat du X ème arrondissement. Bavure ou conséquence du racisme ordinaire de l’Etat ?

Amadou, père de famille, venait de quitter le département sinistré de l’Aisne pour trouver du travail à Paris. Ce soir-là, peu avant le printemps, des policiers le surprennent en flagrant délit de tenir « des propos incohérents ». Ils n’hésitent pas une seconde : un homme noir tenant des propos incompréhensibles, en ces périodes troublées, est peut-être – sait-on jamais – un terroriste en puissance,  sinon  un  « islamo-fasciste ». Allez donc savoir. Ces policiers tentent de le menotter. L’homme a le mauvais goût de se débattre. Ils pratiquent donc – est-ce indiqué dans leur manuel d’interpellation ? – une « manœuvre d’étranglement ».

La mort d’Amadou, père de famille

Nous connaissons la suite tragique de cette arrestation totalement et exclusivement arbitraire : Amadou meurt. « Plus d’un mois après son décès, sa famille n’en connaît toujours pas les causes » lit-on dans l’Express [publié le  20-04-2015]. Au reste, nous ne saurons pas s’il avait réellement tenu des propos incohérents, s’il a réellement cherché à se débattre. Arrivé au commissariat à 0h25, il décède officiellement à 2h30. Une enquête est ouverte, des policiers sont suspectés de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans l’attente, à la différence de bien des prévenus, ils conservent l’anonymat. Le ministre de l’Intérieur, fort disert sur les faits divers et le Premier ministre tenant le rôle occasionnel d’antiraciste de salon, n’ont aucune déclaration à faire sur ce drame qui a coûté la vie à un jeune père de famille au chômage. Ceux qui se targuent de représenter le mouvement ouvrier organisé n’élèvent aucune protestation.

La toile de fond de ce drame est pourtant visible à l’œil nu : généralisation des contrôles au faciès, islamophobie galopante  (qui se drape sous les plis de la volonté gouvernementale de susciter « un islam de France » - un islam catholicisé en quelque sorte, un islam dépouillé à l’extrême, tenu en laisse, dans un carcan tricolore). Cette atmosphère délétère et âcre est distillée depuis le gouvernement, depuis Valls en particulier. Tandis que les directions syndicales et le Front de gauche font davantage que « modérer le conflit de classe ». Ils s’acharnent à l’empêcher.

«Désespérance sociale» ? Où ça ?

Seule une extrême-gauche patentée ne voit dans le climat social et au fond des urnes rien d’autre que de la « désespérance sociale » (formule en vogue dans ce conglomérat de cliques qu’est le NPA    ). Une façon comme une autre de se mettre au diapason des appareils bureaucratiques qui encadrent le mouvement ouvrier, lesquels se couvrent  de leurs capitulations permanentes en répétant sans cesse « les gens ne veulent pas se bouger ».
Pendant que ces gens-là palabrent en dénigrant les masses, le gouvernement prend mesures après mesures préparatoires à la répression des « mouvements de contestation sociale ». Tel est le véritable objectif que poursuit le projet de loi renseignement. Tous surveillés ! Tel est le fin mot de cette loi qui sera soumise au vote des députés le 5 mai prochain. Comme disait André Breton : «  l’imaginaire est ce qui tend vers le réel ». Le système de surveillance généralisé, individuel et collectif, imaginé en 1948 par Georges Orwell dans son célèbre livre 1984, tend donc à se réaliser. Bien entendu, comme toujours en matière de Droit, « le fait précède la loi ». Cette surveillance s’opère mais, dans l’ombre, honteusement, « au-dessus des lois ». La loi, si elle devait être votée et promulguée, sanctionnera le fait accompli et libérera tous les freins à cette dérive totalitaire.

L’univers de 1984 d’Orwell

Là encore, le mouvement ouvrier est tenu à la réserve, sinon au silence, par ses dirigeants chargés d’orchestrer la « paix sociale ». Le Front de gauche fait part de son « inquiétude » face à ce projet de loi. Pour un peu, il s’en excuserait ! La protestation démocratique vient du syndicat des avocats de France, du syndicat de la Magistrature, de la Ligue des droits de l’homme.  Face à cette fronde naissante, Valls, bien que battu à plate couture aux dernières élections dites « départementales », se targue d’exprimer au travers de cette loi le vœu de la majorité des Français. Comme tous les bonapartistes au petit pied, il vend de la « Sécurité ». En outre, l’’UMP défend le projet de loi de Valls comme si c’était le sien ! Comme si les adversaires de son projet inique, digne du pire Etat d’exception, étaient pour « l’insécurité », pour le « laisser-faire » en matière d’attentats ignobles. Foutaises ! Tout démocrate sérieux sait qu’il ne saurait y avoir de sécurité sans liberté, que la pire des insécurités est celle que génère un appareil d’Etat de plus en plus totalitaire, un Etat dont les lois de « surveillance » fondent une police politique de fait.. L’atteinte à la vie privée prépare toujours la violation des libertés publiques. Elles sont d’ailleurs déjà gravement malmenées : les contrôles au faciès, les arrestations arbitraires entravent la liberté de circulation…

L’autoritarisme d’un Régime aux abois

Cet autoritarisme est l’expression d’un Régime aux abois qui ne peut plus « modérer le conflit de classe » parce que sa base sociale dans la population se dérobe sous ses pieds. Le gouvernement sait pertinemment qu’il doit sa déroute électorale de mars dernier non à la coalition de fortune UMP-UDI-Modem et à la dite « montée du FN », mais à la     grande masse des abstentionnistes ouvriers et populaires, dont une grande partie avait voté Hollande, avec le double espoir que Sarkozy soit chassé du pouvoir et que Hollande soit « un moindre mal ». C’est bien là que le bât blesse : le gouvernement a été rejeté par ce que les politologues appellent « l’électorat de gauche » et, tout naturellement, il a emporté dans sa débâcle, le Front de Gauche. Quant à la dite « extrême gauche », elle semble avoir sombré dans sa propre désespérance (qui procure il est vrai le confort intellectuel, fait de toutes les apparences et de tous les faux semblants). A tout le moins, le NPA  a encore brillé par son inconstance : après avoir annoncé au lendemain d’un congrès très compliqué ( février 2015) : plus jamais, d’alliance avec le Front de gauche aux élections), il s’est glissé dans plusieurs binômes avec le Front de gauche et EELV. Le NPA : un parti qui ne fait pas ce qu’il dit. Le NPA : un parti de bobos et de gogos, comme nous l’avions pressenti avant sa création, en espérant nous tromper. Les gogos sont partis, (7000 en cinq ans !) restent les bobos…

Lutte de classes sur toile de fond abstentionniste

Laissons à ceux-là le soin de fragmenter la longue suite des événements depuis deux ans : sur fond d’abstentions massives à chaque échéance électorale, mouvement des bonnets rouges le chômage et l’écotaxe, grève généralisée et prolongée des cheminots, grève des pilotes d’Air France, grève des médecins et professions de santé, grève historique totale de 27 jours à Radio-France (avec en fin de grève, une AG     massive désavouant les appels ouverts ou implicites à la reprise des responsables syndicaux, de toutes nuances).
 Reste à tous les tenants de l’ordre établi , du FN jusqu’à la « gauche » à agiter le spectre des « migrants » cherchant à affluer, au péril de leur vie et de centaines de mort, en masse en France qui ne « peut pas » les « accueillir », n’est-ce pas Monsieur Rocard ?

Tisser le linceul du vieux monde

Ces tentatives de « migration » sont décrites, à volonté, comme des invasions. Qu’elles soient la rançon des guerres et des dictatures fomentées par l’impérialisme mondial, et singulièrement, l’impérialisme français, importe peu aux défenseurs de tous bords de l’impérialisme français. Quant aux chiffres, ils sont désarmants : les mêmes qui jouaient les va-t’en guerre virtuels contre Bachar El Hassad ont  proposé d’« accueillir» en tout et pour tout 1000 syriens. Ainsi, dans son dernier rapport annuel, Amnesty international rappelle que « parallèlement à ce programme d’accueil, la France a choqué en interpellant 85 Syriens à leur arrivée à la gare de Lyon le 27 mars 2014. Ils n’ont pas eu la possibilité de demander l’asile et se sont vu notifier une obligation de quitter le territoire français dans un délai d’un mois. » [20 minutes. 25-02-2015]
 Bien entendu, ceux qui, comme nous, se placent du côté des migrants, et en toute circonstance, du côté des opprimés passeront pour des « compassionnels ». A la vérité, nous sommes engagés dans un combat contre la barbarie impérialiste, dont les crimes horribles de Daesh ou d’El Hassad, sont partie intégrante, comme tant d’autres.

Plus que jamais, nous faisons nôtre le chant des Canuts de Lyon, insurgés en 1831-1834 :
« Nous tisserons le linceul du vieux monde, Car on entend déjà la révolte qui gronde » ( Aristide Bruant ».1894)

Daniel Petri,
avril 2015

Modifié le jeudi 30 avril 2015
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