En rase campagne

Chronique d'une fin de RégimeÀ 70 jours du premier tour des élections présidentielles, pour les journalistes de tout poil, il est d'abord et avant tout question des RG. Certains vols de scooter mobilisent les forces de l'ordre et défraient la chronique. Et les média, subitement, retirent le tapis rouge qu'elles avaient déroulé devant Madame Royal. La candidate du PS n'est plus en tête des sondages, paraît-il. Elle dispute à Sarkozy ses " valeurs ". Quant au ministre-candidat Nicolas Sarkozy, il passe allègrement de la " rupture " à " l'ouverture " ...Pendant ce temps-là, Christelle entame une grève de la faim. Cette travailleuse vient d'être licenciée par la direction des Wagons-lits (groupe Accor) après avoir été accusée sans preuve de malversations. Il faut dire que Christelle est une militante du syndicat SUD-Rail en Gare de Lyon. Le groupe Accor s'était déjà distingué dans la pratique des licenciements antisyndicaux. Dans son livre 7 millions de travailleurs pauvres, Jacques Cotta témoignait déjà du cas de " Faty-la-rebelle " qui travaillait sur les chantiers de nettoyage du groupe Accor. Cette salariée a dû mener un difficile combat contre son licenciement. Ironie du sort, une DRH du groupe Accor fait partie de la HALDE, censée lutter très officiellement contre les discriminations à l'embauche ! Autre cas de répression antisyndicale : le licenciement d'Amandine, déléguée syndicale chez Virgin, boulevard Montmartre à Paris. Voilà ce qui se passe réellement pendant que Sarkozy et Royal font mine de s'attendrir sur le cas des travailleuses et travailleurs pauvres.

Souriez, vous êtes fichés !

Évidemment, ces licenciements manu militari doivent sembler bien dérisoires à côté des " révélations " sur ces fonctionnaires des Renseignements Généraux qui ont fiché sans vergogne un membre du staff de Ségolène Royal ou qui sont à l'affût aux abords du domicile de Nicolas Sarkozy. Soudain, François Bayrou découvre avec stupeur " la République des fiches " ! Incroyable ! Quelle candeur naïve chez ce centriste qui a été ministre de Balladur ! Et quel scoop ! Mais, au fait, quel militant ouvrier n'a pas sa " fiche " chez les " RG " ? Oui, monsieur Bayrou, la Ve République est la République des fiches, c'est un Régime génétiquement policier.

Vols de scooters en rase campagne

La police a retrouvé le scooter volé du fils Sarkozy. Pour ce faire, elle n'a pas lésiné sur les moyens. Noblesse oblige. Pour retrouver cet objet, il aura fallu faire des recherches ADN. Ce qui déclenche les foudres des ténors du PS. Le ministre de l'Intérieur n'a-t-il pas usé ou abusé de son autorité pour le scooter de son fils ? Il est rarissime en effet que la police retrouve des scooters volés, elle n'en a en général pas les moyens. Seulement voilà, la police a déployé les mêmes trésors d'énergie et autres moyens scientifiques pour tenter de retrouver le scooter ... du fils Hollande. No comment sur ce ridicule épisode qui, paraît-il, fait le piment de cette campagne présidentielle.

Le PS en piteux état

À la fin de cet épisode, c'est encore le PS qui semble être en piteux état. Paradoxalement, c'est Sarkozy qui dans son discours inaugural (14 janvier) en appelle à Jean Jaurès et à Léon Blum, les deux grandes icônes de la social-démocratie française. En fait, depuis qu'elle brigue la magistrature suprême, Ségolène Royal n'a pas cité une seule fois en un an ces deux monstres sacrés du PS : Jean Jaurès, le fondateur du Parti socialiste unifié (SFIO- Section française de l'Internationale ouvrière) en 1905 et Léon Blum, le chef de file de ces socialistes qui, en décembre 1920, vont " garder la vieille maison " et continuer la SFIO au moment où la majorité de ce parti répond à l'appel de Lénine et Trotsky et fonde le PC, section française de l'Internationale Communiste. En citant ces deux personnages, Sarkozy a montré à sa façon que Ségolène Royal n'avait qu'un lointain rapport avec la social-démocratie d'antan d'où le PS actuel est issu. La manoeuvre était facile.

l'effet Sarkozy

Sarkozy s'efforce d'être agile et jongleur pour subjuguer et dérouter tout à la fois électeurs et adversaires. Pour un peu, il voudrait pouvoir dire comme Le Pen qu'il est " socialement de gauche et économiquement de droite ". Tendu vers le but, il a conquis l'UMP et en a fait un état-major politique à l'image de ce qu'était le RPR à ses débuts. Il a réussi à s'inféoder les chiraquiens qui semblaient les plus résolus : Fillon, puis Raffarin, puis Juppé, puis Alliot-Marie. Il a domestiqué Christine Boutin. Pour un temps, la crise de l'UMP semble avoir été conjurée. Hormis Chirac, Villepin, Debré et la fille du chef de l'État, toute la droite dite " républicaine " fait désormais bloc derrière Sarkozy. Sarkozy tisse maintenant une toile serrée dans tout le pays. l'UMP est l'ébauche du " parti de l'Ordre " qui manque à la bourgeoisie, c'est-à-dire un parti adossé sur la base populaire qui fait défaut au Régime depuis si longtemps : petits patrons, ouvriers qualifiés des PME, contremaîtres, petits commerçants, artisans, enseignants, cadres ... en bref, ce que la classification officielle surnomme de façon impressionniste " les classes moyennes ". Cette base populaire encadré par un " parti " godillot pourrait alors être retournée contre la classe ouvrière et ses conquêtes désignées à la vindicte populaire comme des privilèges.

Sarkozy n'invente rien de cette stratégie-là. C'est le vieux rêve bonapartiste de 1958 qui s'empare de cet ambitieux. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car il faut, à ce jeu, savoir beaucoup promettre et donner fort peu. Les composantes de la population que Sarkozy cherche à séduire risquent fort, demain, de se sentir dupées dans cette " France d'après " qui ne pourra tenir les promesses affichées. Le rêve bonapartiste de Sarkozy pourrait bien se briser sur le rapport des forces réel déterminé par la victoire du non le 29 mai 2005 et la mobilisation victorieuse de la jeunesse contre le CPE.

Haro sur les cheminots

Sarkozy semble faire sien le proverbe Shadock qui dit : " si vous voulez éviter qu'il y ait trop de mécontents, il faut toujours taper sur les mêmes " : sans-papiers, jeunes, chômeurs, cheminots. Toute l'arrogance du personnage est maintenant tournée contre les régimes spéciaux qui ont échappé à la réforme des retraites amorcée par Raffarin en 2003. À l'arrogance se mêle le bluff. Sans se démonter, Sarkozy affirme que la réforme des régimes spéciaux permettrait de financer l'augmentation des petites retraites. Or, le propre du régime spécial, c'est de ne pas être financé par le régime général. Partant, Sarkozy " oublie " de dire que les cheminots ont en taux de cotisation supérieur de 8 % au taux de cotisation des salariés du privé et que le " déficit " est dû uniquement aux dizaines de milliers de suppressions d'emploi qui ont mis à mal la SNCF comme " service public au service du public ". Ce déficit est donc financé par l'État, au prorata des suppressions d'emploi que la direction de la SNCF continue à perpétrer, et non par le régime général. Si le régime spécial des cheminots était dissout dans le régime général, c'est le régime général qui devrait financer le déficit dû aux suppressions de l'emploi. Comment pourrait-il alors financer l'augmentation des petites retraites ?

De plus, parmi les plus petites retraites, il y a les pensions des cheminots. Mais que disent Royal, Dray et autres à ce sujet ? Ces " anti-Sarko " disent qu'il faut " mettre à plat les régimes spéciaux ". Quelle différence cela fait-il avec Sarkozy ? Alors, à gauche, tout le monde dit que Sarkozy est dangereux et inquiétant. Ce qui est tout à fait vrai. Mais comment le combattre ? En l'imitant ? Certainement pas !

D'autre part, Sarko " oublie " de dire que les commerçants, les exploitants agricoles, les notaires cotisent peu mais bénéficient des compensations que leur attribue le régime général assis sur les salaires.

S'agissant des retraites, les salariés comprendront vite que la " mise à plat " des régimes spéciaux sera propice à une nouvelle augmentation de la durée de cotisation dans le privé, de 42 à 45 ans. Le vrai problème pour les capitalistes et ceux qui les servent en politique réside en ceci que les retraites représentent 153 milliards d'euros qui échappent à tout circuit financier car les cotisations des actifs servent directement les pensions des retraités.

Nicolas Sarkozy, pourtant soucieux " d'équité ", ne semble pas ébranlé lorsque l'on apprend que l'indemnité de départ du patron de Carrefour s'élevait à 98 millions d'euros, à laquelle s'ajoute 1,3 million de retraite par an. Il est vrai que personne ne lui a posé cette question dans ces média qui lui sont acquis. Ce n'est là qu'un exemple parmi des centaines.

Que reste-t-il des OP HLM ?

Le logement s'est invité dans la campagne, lit-on dans les journaux à grand tirage. Qui ne promettra pas le droit au logement ? Les uns et les autres s'insurgent contre le sort jeté aux mal-logés et aux plus démunis ou à ces 30 000 travailleurs pauvres devenus SDF. Et c'est pourtant dans l'indifférence générale que le gouvernement vient de décider par ordonnance de changer le statut des Offices Publics HLM pour les transformer en établissement à caractère commercial. À ce propos, la fédération CGT des services publics écrit : " Cette introduction d'une logique commerciale dans la gestion du logement social est incompatible avec la notion de service aux locataires et la garantie du droit au logement. Cela constitue un pas supplémentaire pour la privatisation des Offices Publics HLM en voulant soumettre le logement aux seules règles de la concurrence alors que nous traversons une grave crise du logement ". Pendant la campagne, les mauvais coups continuent.
Modifié le mercredi 21 février 2007
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