Pedro Carrasquedo (1951-2015) : premiers points de repères biographiques 

« La vie d’un homme est la somme de ce qu’il a fait » a écrit un jour le romancier Dashiell Hammett. Et, dans le cas de Pedro Carrasquedo, quand la vie s’en va, cette « somme » devient une œuvre. Une œuvre humaine, militante, chaleureuse et politique. Un œuvre pleine de vie, de fraternité ouvrière dont « la somme » ne saurait être restituée en un seul article. Pedro, qui aimait à rappeler ces mots de Marx « les individus ne sont pas tels qu’ils se représentent eux-mêmes, mais tels qu’ils agissent en réalité ». 

Pedro, dans tous les combats qu’il a livrés, était toujours tendu vers le but fixé. Rien de ce qui était humain ne lui était indifférent, ses centres d’intérêt et ses préoccupations étaient multiples et vastes, tout comme l’étendue de ses connaissances. Tour à tour attachant, entraînant, drôle, tranchant et pédagogue, ouvert et intransigeant, Pedro était un « battant », un soldat de la Quatrième Internationale.

Révoltes

Refusant l’exploitation, l’oppression et la misère (son père est électricien, sa mère couturière), Pedro s’engage jeune : à 14 ans, il fait ses griffes militantes chez les anarchistes à l’égard desquels il conservera un grand respect toute sa vie, en mémoire du combattant anarchiste espagnol Buenaventura Durruti. Élève au lycée Voltaire, à moins de 17 ans, Pedro participe activement à la grève générale de mai 1968. Il sera d’ailleurs le dernier Secrétaire du cercle de la Fédération des Étudiants Révolutionnaires (FER) du Lycée Voltaire. En 1969, le bac en poche, Pedro entre à l’Université Paris IV-Sorbonne et intègre l’Institut Hispanique où il s’inscrit en licence, puis en maîtrise. « Naturellement », Pedro milite au sein du syndicat étudiant UNEF … il est devenu trotskyste, militant de l’OCI qui restera, sous ses diverses appellations, son Parti… Jusqu’au jour de son exclusion, en 1992, pour avoir « rompu le centralisme démocratique… de bonne foi (!!!) ».

Un combat internationaliste conséquent

En 1974, sollicité par son parti, l’Organisation communiste internationaliste (OCI), Pedro interrompt ses études pour devenir permanent au siège national. Il y occupera des responsabilités politiques de premier plan (entre autres, membre du comité central ; responsable d’activités internationalistes Amérique latine/Catalogne/Pays basque ; responsable de régions ; journaliste pour Informations ouvrières) jusqu’en 1992. On lui doit la création du Comité National de Défense des Droits Démocratiques des Travailleurs Immigrés (CNDDTI), une des rares organisations en France, ces années-là, à dénoncer et à combattre les camps de rétention administrative des sans-papiers (camps créés par la loi dite "Mitterrand-Deferre-Le Pors" du 29 octobre 1981), luttant ainsi pour la régularisation de tous les sans-papiers et contre le racisme. Le comité de parrainage du CNDDTI comprend alors, entre autres : Maître Yves Dechezelles, avocat au Barreau de Paris, Jean Rouch, cinéaste et ethnologue, Michel Leiris, écrivain et ethnologue, Pierre Broué, historien, Jacqueline Lamba, artiste-peintre, compagne d’André Breton, Daniel Guérin, écrivain, Denis Langlois, avocat et écrivain, Félix Guattari, philosophe, Alex Métayer, comédien, Gérard Bloch, mathématicien, Barbe, dessinateur . Pedro est également en charge de la question nationale basque et les rapports du PCI avec Herri Batasuna (Union populaire en euskara), une organisation politique active en Espagne, dans les communautés autonomes du Pays basque et de Navarre, entre 1978 et 2000, ayant comme objectif la fondation d’un grand État basque (Euskal Herria), indépendant et socialiste.

Exclusion et …Arrestation

Le 10 mai 1992, Pedro ainsi que trois autres membres du Comité central du PCI : Jean-Paul Cros, (trotskyste depuis 1964 et Directeur d’école qui sera en 2000 le leader de la grande grève totale de deux mois et victorieuse des instituteurs du Gard et de l’Hérault pour les effectifs), Antonio Guzman, responsable de l’appareil technique et Alexis Corbière, responsable du travail jeunes. 120 militants se solidarisèrent des exclus et se joignirent à eux pour créer le Groupe « La Commune », d’abord en tant que fraction publique du PCI, puis en tant qu’organisation indépendante (association à caractère politique déclarée) avec son journal mensuel La Commune et ses statuts. La raison véritable de cette exclusion résidait en réalité dans « des désaccords politiques profonds sur le devenir du parti, ses méthodes de construction et le refus de la création d’un « Parti des travailleurs » autoproclamé, simple projection du PCI sous une autre étiquette au lieu d’être un authentique point de départ pour un parti ouvrier de masse . » comme Pedro l’a expliqué lui-même. Sur le plan international, la Commune rejoignit les Morénistes argentins, dont les continuateurs sont aujourd’hui le Movimiento socialista de los trabajadores (MST). Ce regroupement englobe également d’autres courants et organisations en Amérique latine et en Europe, en particulier au Venezuela et au Brésil, mais aussi en Biélorussie et en Espagne.

Ce même jour, le 10 mai 1992, Pedro Carrasquedo et sa compagne seront arrêtés pour avoir hébergé des militants indépendantistes basques. À l’issue d’une garde à vue de quatre jours, Pedro Carrasquedo sera inculpé pour « association de malfaiteurs à titre principal ou connexe ». Lambert publie le soir même dans Le Monde un communiqué indiquant que Pedro ne fait plus partie du PCI. Le PCI ne prendra jamais position pour la levée de son inculpation. En revanche, Lambert fera donner ses « gros bras » contre les militants de La Commune, leur portant coups et blessures.

Une campagne internationale pour la levée de son inculpation et de celle de ses co-inculpés se développa alors. La pétition internationale recueillit des milliers de signatures, parmi lesquelles celles de Gilles Perrault, Claude Bourdet, Théodore Monod, Yves Dechezelles, Pierre Broué, Benjamin Stora, Alain Krivine, Maurice Rajsfus, Michel Lequenne, Jean Ziegler, Ignacio da Silva, dit « Lula » etc. Il sera relaxé à l'issue du procès qui se tiendra en 1995.

Comité Chômeurs-Salariés d’Alfortville

Habitant d’Alfortville, Pedro va créer dans cette commune ouvrière et populaire une organisation originale : le Comité Chômeurs-Salariés d’Alfortville, dont l’axe sera la question du logement Ce comité, le CCSA, mènera des actions exemplaires et payantes : réquisitions collectives de logements au grand jour, envahissements de la mairie. Le CCSA sera représenté au conseil municipal de cette ville tenue par le PS, avec des scores de 7 à 8% (et des « pointes » à 15 et 17% dans les cités), de 1995 à 2008. Le bilan est : 300 familles logées sous « un toit, un bail en HLM » grâce à l’intervention du CCSA qui, vingt ans après sa création, poursuit son activité.

Un combat syndicaliste exemplaire

Dans le même temps, Pedro intègre le ministère de la Culture en 1993, en tant que secrétaire de documentation-archiviste, aux Archives départementales de Seine-et-Marne (77). En 1994, Pedro rejoint les Archives nationales de Paris et se syndique à la CGT-Archives.

Ainsi, en avril 1995 il va diriger la plus importante grève que les Archives nationales avaient jamais connue. Avec un taux de grévistes de 70 % et après deux semaines d’une grève sans précédent, la victoire est totale : plus de 60 créations de postes de fonctionnaires sont arrachées. Pedro intègre alors les instances de direction de la CGT-Culture (Commission Exécutive et Bureau National) au cours de son 4e Congrès, réuni au mois de juin 1995. En novembre-décembre de la même année Pedro dirige la grève générale de novembre-décembre 1995 aux Archives contre le « Plan Juppé », la contre-réforme des retraites et l’étatisation de la Sécurité-sociale.

Il deviendra ensuite archiviste-bibliothécaire au musée national du château de Pau (Pyrénées atlantiques) et délégué du personnel (des chargés d’études documentaires) au ministère de la Culture.

La Commune – pour un parti des travailleurs

En 2009, à la veille de la fondation du Nouveau Parti anticapitaliste, (NPA), l’organisation La Commune se dissout et intègre le NPA où elle devient simple courant. Le NPA regroupe alors 9000 membres. 5 ans après, à peine un millier. Suite à des désaccords majeurs avec la direction du NPA (notamment devant ce qu’ils voient comme « un opportunisme et une prostration devant le front de gauche »), les membres du courant La Commune s’en séparent en juin 2014 et reconstituent l'organisation La Commune-pour un parti des travailleurs.

Voilà ainsi retracée la trame non dégrossie du « parcours du militant », de Pedro Carrasquedo, authentique et valeureux dirigeant ouvrier. À présent, Pedro va devenir une grande figure, haute en couleur, du mouvement ouvrier révolutionnaire de notre temps. Son histoire nous est précieuse, elle sera, à n’en pas manquer, une référence bien vivante pour la génération qui vient à la lutte des classes. Il nous appartient maintenant de la restituer dans toute sa plénitude.

Modifié le dimanche 08 novembre 2015
Voir aussi
La Commune n° 100

La Commune n° 100

dimanche 08 novembre 2015

Sommaire : • Air France : La violence patronale• Editorial : Réforme ou rupture ? • Chronique d'une chute de régime : Hollande, la dictature à tête de veau • Retraites : Accord AGIRC/ARRCO : Accord scélérat ! • Pedro Carrasquedo, membre fondateur de La Commune, nous a quittés... • Pedro Carrasquedo (1951-2015), premiers points de repères biographiques • POI : Gluckstein plus...

Figure dans les rubriques
Journal trimestriel


HAUT