Les marxistes et l'État

Les derniers événements que nous venons de vivre en disent plus long sur la nature de l’État que bien des exposés. Sous l’effet de la crise du régime et de la tension extrême entre les deux pôles de la société, l’État tend à se réduire à sa plus simple expression : une bande d’hommes armés. Le gouvernement, lui-même, se réduit à son plus simple appareil : conseil d’administration des affaires générales de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la classe exploiteuse et, singulièrement, des cercles dirigeants du Capital financier.

Les marxistes et l'État

Dans les périodes les plus stables, l’État apparaît comme étant l’émanation de la Nation, garant de loi et de la tranquillité publique et comme un ensemble d’institutions permettant la conciliation entre les forces sociales, une sorte d’arbitrage au nom de « l’intérêt général du pays ». Et, même, un « État-providence » qui redistribue les richesses, met à la disposition de la population des services publics et régule l’économie. Si les gouvernements ne paraissent jamais « neutres », l’État passe pour assurer le service quotidien du pays, dans l’atmosphère de la démocratie. D’autant plus sûrement que depuis de nombreuses décennies, les appareils bureaucratiques placés à la tête du mouvement ouvrier et leurs ténors présentent l’État comme une machine dont il suffirait de changer le conducteur pour qu’il devienne un État au service de la population et de « la nation » (et ses forces vives ou « tranquilles »), moyennant quelques modifications de structure.

Une « machine faite pour maintenir dans l'obéissance la majorité du peuple »

Évidemment, lorsque des partisans du marxisme affirment, sans ambages, que l’État est en réalité, quelle que soit son apparence ou les formes qu’il revêt, une « machine faite pour maintenir dans l'obéissance la majorité du peuple »1 , «une machine destinée à maintenir la domination d'une classe sur une autre » 2 , bien des gens « de gauche » retiennent un cri de stupeur et sont tentés de répondre : « on ne peut pas vous laisser dire cela ! ». Nous passons à leurs yeux pour des hérétiques de la « République », des intégristes de la bonne vieille théorie (qui n’a pourtant pas pris une ride) selon laquelle depuis des millénaires, la lutte de classes est le moteur de l’Histoire, Histoire faite par les hommes mais dans des conditions qu’ils n’ont pas choisies. Et, par là même pour des ennemis de l’État, objet de superstition politique. Or, la lutte des classes est un fait social, qui marque toute la vie quotidienne ; un fait social indépendant de la volonté des hommes, se manifestant «sous toutes ses formes et tous ses caractères de calme ou de bruit, de modération ou de violence » 3

« L’État de la classe la plus puissante »

Friedrich Engels a, dans son ouvrage, « l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État » mis en évidence la place et le rôle de l’État dans la société humaine, lequel État apparaît au moment où la société se scinde en classe exploiteuse (propriétaires) et classe exploitée (esclaves) : L'État n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société […]. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'« ordre »; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État . » Et, « Comme l'État est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée »4

L’État actuel qui, plus que jamais « menace de dévorer la société toute entière » est l’État de la bourgeoisie, de la façon la plus directe et, singulièrement, de sa fraction la plus parasitaire : le Capital financier, né de la fusion du capital bancaire et du capital industriel. Cet État, garant du principe d’inviolabilité de la propriété privée des moyens de production et d’échanges, garant de l’exploitation capitaliste de l’homme par l’homme, est l’ennemi des travailleurs et de la population laborieuse dans son ensemble (à suivre).

Daniel Petri,
le 2 février 2016

1 Trotsky-la révolution trahie - https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revtrahie/frodcp3.htm

2 Lénine. De l’Etat - https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/07/19190711.htm

3 Louis Niel, ancien secrétaire général de la CGT en 1909 cité dans : http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/Commentaires_sur_la_charte_d_Amiens-4.pdf

4 Engels https://www.marxists.org/francais/engels/works/1884/00/fe18840000o.htm

Modifié le mercredi 03 février 2016
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